Prévention bucco-dentaire en milieu scolaire

  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire (page 40-45)
Information dentaire
L’analyse des données d’une cohorte d’enfants recueillies lors d’une action de prévention bucco-dentaire en deux temps a permis de tirer deux enseignements majeurs : d’une part, il convient d’agir en amont de la classe de CP afin d’enrayer précocement la progression de la maladie carieuse et, d’autre part, il convient de renouveler les sensibilisations à l’hygiène sur des délais courts afin d’ancrer les habitudes.

A quel âge, à quel rythme ?

Dans le cadre de « l’initiative mondiale pour la santé à l’école », l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) constate que « les écoles offrent un cadre important pour la promotion de la santé où elles permettent de toucher les […] enfants, le personnel enseignant, les familles et la communauté dans son ensemble » [1]. En France, la carie dentaire touche 60 à 90 % des enfants d’âge scolaire [2]. La Haute Autorité de Santé (HAS) dénombre entre 20 et 30 % d’enfants âgés de 4 à 5 ans présentant au moins une carie non soignée [3]. Cette problématique est identique outre-Atlantique. Une étude (1998-1999) sur la santé bucco-dentaire des enfants québécois de 5-6 ans révèle que, dès leur entrée en maternelle, 42 % d’entre eux ont déjà expérimenté une atteinte carieuse sur dents temporaires et que, dès la maternelle, les jeunes écoliers ont développé près de 70 % de toutes les caries qui se formeront sur leurs dents temporaires [4].
Deux questions principales se posent : où placer le curseur d’âge pour les actions de prévention bucco-dentaire et quel rythme leur appliquer pour donner une efficacité optimale à ces interventions en milieu scolaire ?
En 2013/2015, l’UFSBD Rhône Alpes a lancé un projet expérimental d’éducation à la santé bucco-dentaire visant à revoir deux fois les mêmes enfants (CP-CE2) afin de constater les inflexions, entre les deux passages, de la maladie carieuse, des habitudes d’hygiène et du recours au soin bucco-dentaire.

Matériel et méthodes

L’action consistait en une séance collective d’éducation et un entretien individuel avec chaque enfant. Le relevé des données buccales a été effectué par la même équipe de dépisteurs les deux années, ce qui minimise le risque de variabilité d’appréciation de la qualité d’hygiène. Les écoles ont été choisies, avec l’accord de l’Agence Régionale de Santé (ARS), dans des secteurs où il n’y avait pas eu d’action de prévention les années précédentes : zones Réseau Réussite Scolaire (RRS) au sein de villes présentant des quartiers défavorisés.
La base expérimentale compte 99 enfants examinés en CP la première année (âge moyen 6,2 ans) et en CE2 la seconde année (âge moyen 8,2 ans) : 56 garçons et 43 filles.

Résultats

Évolution dentaire naturelle entre les deux passages (tableau 1)

En CP, 98 % des enfants présentent 18 dents de lait et seulement 2 incisives définitives. Seulement 2 % ont les 4 dents de 6 ans en position fonctionnelle.
En CE2, 76 % des enfants présentent encore 12 dents de lait ou plus, dont 11 % pour lesquels la totalité des incisives définitives n’est pas encore évoluée. Les dents de 6 ans sont totalement évoluées pour 97 % d’entre eux. Le début de renouvellement des canines et molaires temporaires n’est effectif que pour 16 % des enfants. Si aucune différence entre sexes n’apparaît sur l’évolution des premières molaires définitives, le renouvellement dentaire lactéal est plus précoce chez les filles que chez les garçons.
Ce renouvellement dentaire naturel influe sur le CAO mixte qui, mécaniquement, devrait pouvoir à ces âges présenter des valeurs à la baisse.
Évolution de l’état clinique et du suivi de soins (tableau 2)

Le premier enseignement est la croissance du CAO mixte qui, malgré le renouvellement dentaire naturel, ne baisse pas.
La seconde remarque concerne l’augmentation du recours au soin qui passe de 32 % à 53 % des enfants. Pour ceux présentant un besoin immédiat (C > 0), l’absence totale de prise en charge des lésions constatées diminue de 29 % à 15 %.
Enfin, le pourcentage d’enfants sans carie active (absence de besoin de soins) passe
de 11 % à 19 % (stabilisation de la maladie).
Le besoin de soins est :
– absent de manière constante les deux années pour 45 % des enfants ;
– absent la première année et présent la seconde pour 14 % des enfants (nouveaux cas) ;
– présent la première année et absent la seconde (soins effectués entièrement sans nouvelle lésion ou chute naturelle de la dent) pour 11 % des enfants ;
– présent les deux années pour 29 % des enfants.
Le pourcentage d’enfants nécessitant des soins a augmenté de 3 %, mais le volume des atteintes diminue, passant de 134 à 120 lésions actives à traiter en 2015.
Le pourcentage d’enfants nécessitant des soins mais n’ayant jamais été soignés baisse de 14 %. Il y a donc un retour vers le soin entre les deux passages, retour confirmé par l’indice de traitement qui passe de 32 % à 53 % entre les deux années.

Prévalence et incidence de la maladie carieuse (tableau 3)

En 2013, la prévalence de la maladie carieuse était de 51,5 %, 58 % en 2015 ; l’incidence est de 17 % de nouveaux cas sur deux ans. 6 enfants présentant des caries et/ou des obturations en 2013 sont classés dans le groupe « indemnes de caries » en 2015 par le fait du renouvellement dentaire naturel.
À noter, l’incidence de la maladie carieuse sur dents définitives avec 21 % de nouveaux cas (indemnes en 2013, touchés par la maladie entre 2013 et 2015), soit un enfant sur 5. Rappelons que ce sont principalement des atteintes des dents de 6 ans et que, pour la majorité des enfants, ces dernières ne sont apparues que depuis 2 ans ou moins.
La prévalence du besoin de soin immédiat passe de 40 % à 43 % entre 2013 et 2015. En denture définitive, l’incidence des nouveaux cas sur ces deux années, de 16 %, est inquiétante car, pour la plupart de ces enfants, les dents n’étaient pas apparues en 2013.

Progression de la maladie
Parmi les nouveaux cas d’atteinte par la maladie carieuse (CAO nul en 2013, CAO non nul en 2015), la progression du CAO est de +2,52 versus +0,28 pour les autres enfants (test F = 12,91, p 10-3).
Parmi les nouveaux cas avec besoin de soins (C nul en 2013, C non nul en 2015), la progression du nombre de caries non soignées est de 2,35 versus – 0,55 pour les autres enfants (test F = 20,47, p 10-3).

Évolution de la qualité d’hygiène (tableau 4)

Globalement, la qualité d’hygiène baisse significativement entre les deux années. Si les données sont homogènes en première année entre les garçons et les filles, lors du deuxième passage, les filles présentent une hygiène significativement meilleure que les garçons et un gain en qualité, contrairement aux garçons.
Un relâchement net est constaté dans le groupe ayant une bonne qualité d’hygiène initiale. Si nous considérons la dichotomie bonne qualité/qualité moyenne ou insuffisante :
– l’hygiène est insuffisante les deux années pour 49 % des enfants ;
– insuffisante la première année et bonne la seconde pour 13 % ;
– bonne la première année et insuffisante la deuxième pour 21 % ;
– bonne les deux années pour 16 % des enfants.
Si en 2013 il n’y avait pas de lien statistique entre l’hygiène et le sexe de l’enfant, en 2015, le fait d’être un garçon augmente le risque d’une hygiène défaillante par 2. Ainsi, 65,7 % des garçons présentent une hygiène moyenne ou insuffisante, contre 34,3 % chez les filles (RR = 1,91).
Évaluation des risques
L’hygiène moyenne ou insuffisante augmente le risque de maladie carieuse (RR = 1,84 en 2013, RR = 1,39 en 2015).
La présence d’atteintes dentaires sur dents temporaires (soignées ou non) en 2013 multiplie par 3,4 le risque d’atteinte des dents permanentes en 2015 (RR = 3,43).
La présence de lésions non soignées en 2013 multiplie par 3 le risque de retrouver des lésions non soignées en 2015 (RR = 3,06).

Les urgences (tableau 5)

Le pourcentage d’enfants en situation d’urgence de soin passe de 11 % à 21 % entre les deux années de recueil. 16 % sont de nouveaux signalements.
L’examen des indices cliniques montre que la gravité des urgences a diminué entre les deux années (C moyen en baisse). Effectivement, le CAO a augmenté, mais en parallèle à l’augmentation de l’indice de traitement. Une partie des enfants détectés en 2013 a donc été prise en charge entre les deux années.
En 2013, 45 % des enfants justifiant d’une urgence ne présentaient aucun soin dentaire ; en 2015, ils ne sont plus que 19 % parmi les urgences détectées à n’avoir jamais été soignés.
Aucun lien n’a pu être établi entre sexe et urgence ni entre hygiène et urgence.

Discussion
Le deuxième passage dans ces classes expérimentales avait pour buts de suivre l’évolution de la maladie carieuse, de mesurer l’impact de nos interventions de prévention et de nourrir une réflexion concernant l’âge cible et le rythme de nos interventions. Plusieurs enseignements se dégagent de ces résultats :
– si l’on devait justifier la pertinence de cette action, la seule lecture de l’impact sur le recours aux soins devrait suffire avec une progression de 30 % à 50 % de recours aux soins et une diminution de 30 % à 15 % des enfants n’ayant jamais été soignés et ayant un besoin de soins ;
– l’impact est aussi plus que positif sur les enfants relevant d’une urgence de prise en charge, le nombre de lésions à traiter diminuant en parallèle avec une augmentation de l’indice de traitement ; la progression du nombre d’enfants concernés par une urgence de prise en charge reste cependant préoccupante.

Mais…

Le ciblage initial de nos interventions en classe de CP est déjà trop tardif ; le mal est déjà fait car la maladie carieuse est déjà installée pour presque la moitié des enfants en denture lactéale triplant le risque d’atteintes ultérieures lactéales et définitives ; il est alarmant de dénombrer 16 % de nouveaux cas d’atteintes des dents définitives sur deux ans et 20 % d’enfants de 8 ans relevant d’une situation d’urgence. En 2010, l’étude « Objectif Zéro Carie » menée par Prévadiès démontrait une accélération des atteintes carieuses dès l’âge de 4 ans [5] : prévalence de 4 % à 3 ans, de 9 % à 4 ans et de 16 % à 5 ans. Cette étude concernait des enfants dont les parents faisaient volontairement la démarche d’accéder à la visite de prévention, donc déjà conscients de l’importance de celle-ci. Les prévalences enregistrées en population générale ne peuvent qu’être supérieures à ces chiffres, compte tenu du lien qui les unit à la précarité sociale et du fait de l’augmentation de cette dernière. Dès 1999, le Haut Comité de Santé Publique (HCSP) tirait la sonnette d’alarme : « La montée progressive de la précarité dans des couches sociales de plus en plus larges […] induit de nouveaux comportements qui risquent, à moyen terme, de représenter une menace sérieuse pour la santé […]. C’est une proportion considérable de la population qui pourrait voir sa santé menacée » [6]. Selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), « en maternelle, 4 % des enfants de cadres ont au moins une carie non soignée, contre 23 % des enfants d’ouvriers » [7]. Le choix de la MSA de débuter les visites de prévention à l’âge de 3 ans se trouve conforté par ces constats. L’analyse des données de cet examen, en Picardie, fait état d’une prévalence de la maladie carieuse de 7 % parmi ces enfants de 3 ans soit le double de la prévalence relevée par Prévadiès au même âge [8]. Mais, malheureusement, aucun accompagnement n’est prévu entre 3 ans et 6 ans (âge du premier examen du protocole M’TDents).

Or…
L’effet éducatif ne dure pas dans le temps, notamment en ce qui concerne l’hygiène. Rappelons que le risque carieux est doublé lorsque l’hygiène est insuffisante. L’éducation à une hygiène de qualité chez ces jeunes enfants ne peut porter ses fruits qu’avec la répétition des actions et l’implication des parents (nécessité de répétition à court terme pour ancrer les réflexes) ; dans notre enquête, le deuxième relevé ayant eu lieu deux ans après le premier passage, l’effet de la première sensibilisation s’est estompé ; une action similaire menée en Ile-de-France au sein de classes en Zones d’Éducation Prioritaire (ZEP) [9] avait permis de constater, outre un retour vers le soin, une amélioration globale de la qualité d’hygiène des enfants, le délai d’intervention entre les deux passages étant alors inférieur à un an. Il semblerait donc que le délai de deux ans soit trop important. L’action « Objectif zéro carie » menée par Prévadiès entre 2004 et 2009 a démontré qu’entre l’âge de 2 ans et de l’âge de 5 ans, une visite annuelle de prévention chez le chirurgien-dentiste pouvait infléchir significativement les courbes d’atteinte carieuse autant sur le nombre d’enfants touchés que sur le volume de dents atteintes. Ce rythme annuel permet de répéter les messages d’hygiène buccale et d’hygiène alimentaire afin de maintenir un effet positif sur la durée, tout en impliquant la sphère familiale. Comme le souligne le Pr Watt, « l’éducation pour la santé peut produire des changements dans les connaissances, les attitudes et les comportements mais ceux-ci n’interviennent que dans le court terme et ne sont pas maintenus à long terme. S’ils ne sont pas entretenus, les personnes régressent à leur situation initiale » [10]. Que penser alors des trois années qui séparent les visites M’TDents ? Il convient donc de réfléchir à répéter les actions de sensibilisation à intervalles courts afin de maintenir les acquis en matière d’hygiène buccale, d’hygiène alimentaire et, surtout, d’impliquer les familles dans ces actions. Comme le souligne Trentesaux, « en odontologie pédiatrique, pour certains patients vulnérables, polycariés, qui cumulent l’essentiel de la pathologie, la carie dentaire, initialement décrite comme une pathologie aiguë devient une pathologie inscrite dans la durée et la chronicité [qui nécessite] le développement d’une éducation thérapeutique intégrant une dimension familiale et bio-psycho-sociale » [11].

Conclusion
Les conclusions tirées de cette expérience doivent nous amener à revoir l’âge cible de nos premières actions en milieu scolaire. Si les actions en classe de CP doivent perdurer afin de promouvoir l’efficacité des sealants avant l’arrivée des premières molaires permanentes, il est nécessaire d’intervenir en amont pour infléchir la progression du CAO lactéal. Il est aussi nécessaire d’impliquer la sphère familiale et sociale dans ces actions.
Le deuxième enseignement de cette enquête est la nécessité de promouvoir des répétitions d’action à court terme afin d’ancrer les messages préventifs de manière à les rendre pérennes.


Abréviations utilisées

CAO : cumul du nombre de dents cariées, absentes pour cause de carie et obturées : il signe l’ampleur de la maladie carieuse passée et/ou présente, soignée ou non.
CAO mixte : indice CAO calculé sur l’ensemble de la denture lactéale et définitive.
C : nombre de dents atteintes par une carie non traitée ; il traduit le besoin de soins immédiat.
IT : part des dents soignées dans l’indice d’atteinte CAO (O/CAO).
TxC : taux de dents atteintes par la maladie carieuse sur l’ensemble des dents évoluées ; il signe aussi l’ampleur de la maladie carieuse en tenant compte de l’évolution dentaire.

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