Le port du foulard par une patiente pendant les soins

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  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire (page 40-42)
Information dentaire
La dissimulation du visage est interdite (hors cas de nécessité médicale) conformément à la loi du 11 octobre 2010 qui a pour fondement l’Ordre public et l’interaction sociale. Cependant, les patients ont droit au respect de leurs croyances et rien ne doit entraver l’exercice de leur culte sous réserve des contraintes découlant des nécessités de la qualité des soins, des impératifs de sécurité, de santé et d’hygiène, ou de la liberté d’autrui. Chaque patient doit être traité avec égards, ses croyances respectées, son intimité et sa tranquillité préservées.
Toute situation est particulière et doit s’adapter au travers d’un dialogue respectueux entre le patient et son praticien.

Situation

« Une patiente demande à conserver un foulard couvrant son cou et une partie de sa lèvre inférieure. Or, je dois pratiquer un examen clinique pour une 47 très infectée nécessitant un examen extra et intrabuccal rigoureux.

Je sais que mes patients peuvent porter des signes ou tenues religieuses. Cependant, afin de procéder à un soin de qualité et en toute sécurité, j’ai besoin de voir le cou, la joue, et d’avoir un accès rigoureux à la cavité buccale.

Comment expliquer cette situation à ma patiente ? Suis-je tenu de pratiquer l’acte dépourvu de conditions parfaites de sécurité et d’hygiène ? Sans le retrait du foulard, puis-je refuser de pratiquer mon examen et laisser la patiente avec son infection ? Dois-je alors lui faire signer une décharge ? »


Réflexions du Docteur Paul Atlan

Gynécologue et psychiatre

Responsable de la consultation Éthique et religion à l’hôpital Antoine-Béclère de Clamart et à l’Hôpital Foch de Suresnes

Dans le système de soins public, il existe une interdiction de port de signes d’appartenance religieuse pour le corps soignant, mais pas d’interdiction pour le patient, sauf à dissimuler son visage (loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010).

Dans le système de soins privé, il n’y a aucune interdiction de porter des signes d’appartenance religieuse aussi bien pour les praticiens que pour les patients, sauf bien évidemment à se dissimuler le visage pour des raisons évidentes de reconnaissance de l’identité des divers protagonistes.

La clause de conscience

Il est essentiel, pour évaluer les attitudes possibles et légales, d’envisager ce qu’est la clause de conscience :

– tout médecin a le droit de refuser la réalisation d’un acte médical qu’il estime contraire à ses convictions professionnelles et éthiques dans le respect de la loi, sauf urgence mettant en jeu la vie du patient (problématique de non-assistance à personne en danger), cas dans lequel il existe un consensus éthique pour agir ;

– en cas de refus de pratiquer un acte médical, le praticien est tenu d’en avertir clairement le ou la patiente et l’informer qu’il devra choisir un autre praticien ;

– de plus, le praticien peut refuser ses soins en raison de la prise de risques injustifiés encourus par le patient s’il ne suit pas les prescriptions et demandes du praticien, mais ce dernier doit prouver par une traçabilité écrite ce refus de soins, mais également accéder à la partie du corps à soigner comme dans le cas qui nous intéresse. La loi Kouchner du 4 mars 2002 impose aux médecins de respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix et après avoir tout mis en œuvre pour la convaincre d’accepter les soins (« aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne », article L 1111-4 du Code de la santé publique).

En conclusion

Le praticien ne doit pas pratiquer un acte dépourvu de conditions de sécurité et d’hygiène.

Dans ce cas, il doit convaincre la patiente de signer l’attestation de refus de soins (voir modèle page suivante) et, en cas de refus de signer cette attestation, il doit en informer immédiatement son Conseil de l’Ordre.

En pratique, cette problématique doit être rarissime et n’être qu’un cas d’école, car le praticien doit, par ses explications de ce que doit être une pratique de bons soins, arriver à convaincre dans la majorité des cas ses patientes du bien-fondé de son attitude.

Même si l’on est convaincu avec Albert Einstein que « la science sans religion est boiteuse, et la religion sans science aveugle », il est indispensable de garder à l’esprit que la loi de la République est la loi.

Traçabilité des refus de soins

Exemple d’attestation de refus de soins

Je soussigné Mme 

certifie que le Dr m’a expliqué les risques encourus.

Je déclare avoir été informée clairement et avoir compris ces risques.

Je déclare souhaiter refuser les soins que me propose le Dr

Mon choix de refus de soins proposés est motivé par les raisons suivantes :

Signature du médecin

Signature du patient

Ce certificat est rédigé en double exemplaires, une copie remise à la patiente, l’autre conservée dans le dossier médical.

Réflexions du Professeur Fethi Maatouk

Professeur Hospitalo-Universitaire en Odontologie Pédiatrique et Prévention, Faculté de Médecine Dentaire, Université de Monastir (Tunisie)

Ancien Président du Conseil Régional de l’Ordre des Chirurgiens-Dentistes du Centre (Tunisie)


La mondialisation a entraîné un brassage ethnique et une véritable évolution socioculturelle. De ce fait, les patients des cabinets dentaires ont évolué, présentant parfois des attitudes psychosociales ou un code vestimentaire déconcertant, défiant les normes sociales et l’Ordre public.

Les patients sont aussi devenus, à juste titre, mieux avertis et plus exigeants pour des soins sécurisés de qualité. Cette qualité ne dépend pas seulement de l’expertise du praticien, mais aussi de la relation praticien patient. Ainsi, le praticien a besoin de travailler dans une ambiance sereine « dans le respect de la vie et de la personne humaine » (article R. 4127-202 du Code de la santé publique). Il doit éviter toute discrimination, comme le précise l’article R. 4127-211 : « Le chirurgien-dentiste doit soigner avec la même conscience tous ses patients, quelles que soient leur origine, leurs mœurs et leur situation de famille, leur appartenance ou leur non-appartenance à une ethnie, une nation ou une religion déterminées, leur handicap ou leur état de santé, leur réputation ou les sentiments qu’il peut éprouver à leur égard. »

Dans la situation présentée, le praticien ne peut poser un diagnostic valide sans pratiquer des examens clinique et radiologique rigoureux. Il doit notamment examiner la joue, palper les ganglions submandibulaires. Il a le devoir d’en informer la patiente et lui indiquer clairement que la loi stipule qu’il « ne doit en aucun cas exercer sa profession dans des conditions susceptibles de compromettre la qualité des soins et des actes dispensés ainsi que la sécurité des patients… » (article R. 4127-204).

Cependant, l’article R.4127-232 énonce que « hors le cas d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité, le chirurgien-dentiste a toujours le droit de refuser ses soins pour des raisons personnelles ou professionnelles, à condition :

1° De ne jamais nuire de ce fait à son patient ;

2° De s’assurer de la continuité des soins et de fournir à cet effet tous renseignements utiles ».

Le droit de refuser les soins ne s’applique donc pas pour cette patiente qui présente un cas d’urgence susceptible de se compliquer dramatiquement en l’absence de soins.

Aussi, le refus de soin dans cette situation ne peut s’appliquer, et pourrait relever de la discrimination engageant la responsabilité du praticien au regard de l’article R. 4127-211 susmentionné. Cette responsabilité ne saurait être dégagée malgré une décharge signée par la patiente.

Devant cet imbroglio juridico-déontologique, certains points importants doivent être soulignés :

– « le patient a le libre choix de son chirurgien-dentiste » (article R. 4127-210) ;

– la présence de l’assistante lors des soins protège le praticien contre de fausses accusations et peut en principe, et si besoin, rassurer la patiente ;

– la mise en danger même potentielle de la sécurité du praticien, de son équipe et des autres patients doit être prioritaire.

Pour en savoir plus

Dossier « Laïcité et soins », Conseil de l’Ordre des Médecins, consultable à l’adresse http://www.ordmed31.org

Atlan P, Frydman R. Laïcité et hôpital. Gynécologie Obstétrique et Fertilité 2009 ; 37 (3) : 278-279.

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