Autisme et soins dentaires : quelle prise en charge ?

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  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire n°13 - 3 avril 2019
Information dentaire
Article analysé : Thomas N, Blake S, Morris C, Moles DR. Autism and primary care dentistry : parents’ experiences of taking children with autism or working diagnosis of autism for dental examinations. Int J Paediatr Dent 2018 ; 28 (2) : 226-238.

L’autisme est reconnu comme un handicap en France depuis 1996. Selon l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), les troubles du spectre de l’autisme (TSA) se manifestent par des altérations de la capacité à établir des interactions sociales et à communiquer, ainsi que par des anomalies comportementales.
Les enfants autistes présentent un fort risque de troubles dentaires et rencontrent de grandes difficultés pour recevoir une prise en charge préventive et curative adaptée, d’autant que l’expression de ce trouble est extrêmement variable d’un patient à l’autre. Les auteurs de cet article se sont appuyés sur l’expérience des parents d’enfants atteints pour déterminer les thèmes émergents relatifs à l’amélioration de leur prise en charge.
Dix-sept parents volontaires du sud-ouest de l’Angleterre ont ainsi répondu à un entretien semi-structuré dans le cadre d’un protocole réglementé.
À la suite de l’analyse objective des réponses collectées, le premier thème émergeant concerne la flexibilité de l’équipe soignante et de l’environnement de soin qui doivent pouvoir s’adapter à la personnalité, aux angoisses et aux facteurs d’apaisement de chaque enfant. Cela concerne aussi bien l’aménagement spécifique de l’environnement que l’attitude des soignants qui doivent être en hyper empathie, en particulier dans leur langage corporel auquel ces enfants sont très sensibles. Cela nécessite un important travail en amont pour connaître ces spécificités
afin de créer un environnement amical et rassurant. La communication, fondée sur des explications claires avant et pendant les séances, est particulièrement importante et il ressort de ne pas déroger à ce qui a été initialement prévu et expliqué à l’enfant.
Le deuxième thème concerne la confiance des parents en l’équipe soignante. Ils doivent se sentir considérés et respectés par les soignants et non injustement jugés pour la situation dentaire de leur enfant. Les stratégies individuelles qu’ils ont développées pour préparer leur enfant aux soins dentaires doivent être prises en compte et appliquées. L’article souligne la difficulté quotidienne des parents face à l’ensemble du tableau des TSA qui ne permet pas toujours d’accomplir les mesures d’hygiène ou de prévention dentaire alors que la quasi-totalité des parents y sont attentifs. De plus, les soignants doivent intégrer que l’échec d’une séance dentaire peut avoir des conséquences importantes pour l’enfant au retour à la maison, avec de fortes angoisses et des épisodes de violence sur une longue période pouvant compromettre toute séance ultérieure.
Le troisième point d’importance révélé concerne la continuité du service dans le suivi de l’enfant et de ses besoins avec, surtout, un archivage fiable des données collectées. La perte de données, le changement de soignants ou de stratégie ont toujours des conséquences très négatives tant sur la compliance de l’enfant que sur la confiance des parents.
Le quatrième point important relevé concerne la nécessité d’un parcours de soins simplifié pour accéder, dans un délai raisonnable, à une prise en charge spécialisée et adaptée.
Les auteurs de cette étude considèrent donc que les parents sont les meilleurs experts pour expliquer les besoins de leurs enfants. Des soins dentaires spécifiquement organisés devraient être appliqués avec une grande flexibilité par l’équipe soignante en totale coopération avec les parents dont les informations doivent être prises en compte pour permettre une prise en charge adaptée des enfants autistes.

Questions à…

Patrick Baudot
Praticien à l’Office d’Hygiène Sociale de Flavigny-sur-Moselle,
qualifié MBD, titulaire des DU de Psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent malade chronique et handicapé (Nancy), de psychiatrie de la personne âgée (Limoges) et d’autisme et troubles apparentés (Tours)

Vous êtes très engagé pour une meilleure prise en charge des patients fragiles et vous recevez régulièrement des patients autistes dans votre activité hospitalière. Quelles difficultés principales rencontrez-vous dans cette prise en charge ? Comment les surmonter ?
Tous les patients fragiles que nous recevons dans la structure ont la particularité de ne pas exprimer la gêne ou la douleur comme une personne dite normale, du fait de leurs maladies, de leurs traitements ou de leur sensation au niveau de la zone de la bouche, dite d’espace personnel. On considère que comme ils se plaignent peu ou différemment, ils n’ont pas de besoins (leur attitude peut changer, ils peuvent ne plus manger, être agités…). Cela est vrai aussi bien pour les malades souffrant de pathologies neurodégénératives comme la maladie d’Alzheimer, que pour des patients atteints de handicaps lourds ou d’autisme. La prévention, qui se caractérise par le dépistage et l’apprentissage du brossage, est primordiale dès le plus jeune âge. Pour cela, on se base sur une triade : la formation des aidants, par exemple sur le brossage ou les paroles positives à délivrer avant le rendez-vous ; la désensibilisation qui permet, sur plusieurs séances, d’amener le patient à se brosser les dents ou à rester calme pendant la consultation ou le soin ; le renforcement positif qui permet de récompenser le patient selon l’acte réalisé (par une activité sensorielle comme la musique ou une image, par un cadeau…).

En France quels sont les moyens ou structures adaptés à la prise en charge spécifique des enfants autistes ?
Le dépistage de l’autisme, ou plutôt des patients atteints des troubles du spectre de l’autisme (TSA, nouvelle dénomination), s’est développé depuis les plans nationaux qui se sont succédé avec la création des Centres Ressource de l’Autisme et la formation des pédopsychiatres. Depuis peu, la notion de degré de sévérité est apparue, allant du niveau 1 (correspondant aux patients Asperger) au niveau 3 (patients ayant besoin de beaucoup d’aides et d’apprentissages).
On considère actuellement que 1 % de la population française est atteinte de TSA sous différentes formes.
La santé bucco-dentaire, comme l’ophtalmologie et la gynécologie, est souvent citée comme prioritaire dans le dépistage et les soins, car il existe une interaction certaine avec le confort de vie du patient et ses réactions non appropriées en cas de douleur (le patient aura du mal à exprimer et à localiser sa douleur). Les structures d’accueil peuvent être le praticien libéral mais aussi les centres de santé spécialisés et les structures hospitalières. Il est à noter que la sédation consciente au protoxyde d’azote (MEOPA) a une efficacité limitée.

En omnipratique libérale, comment aider ou conseiller les parents d’enfants autistes ?
Selon le niveau du patient atteint de trouble du spectre de l’autisme, le praticien libéral pourra tout à fait enseigner le brossage, dépister les caries et faire de petits soins en appliquant les trois principes précédemment vus : la formation des aidants pour dédramatiser la visite chez le dentiste, une désensibilisation qui peut prendre plusieurs séances et le renforcement positif. Le praticien libéral pourra s’appuyer sur des outils et applications pour tablettes comme celles développées par l’association SOHDEV (Santé Orale, Handicap, Dépendance Et Vulnérabilité) de Lyon ou le programme çATED de la faculté de Nantes. Il est important de prendre du temps avec le patient et de l’adresser à des praticiens plus expérimentés en cas d’échec, les soins chez les patients TSA niveau 3 étant par exemple très compliqués hors anesthésie générale.
La nouvelle convention ne va pas assez loin pour ces patients autistes puisque la désensibilisation n’est pas prise en compte et l’accès au supplément facturable mis en place pour les personnes en situation de handicap sévère est plus que restrictif. De nouvelles propositions un peu plus humaines et moins comptables devraient, je l’espère, faire leur apparition dans ces prochains mois afin d’impliquer l’ensemble des chirurgiens-dentistes dans la prise en charge des patients fragiles.

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