Un beau visage est un avantage préférable à toutes les lettres de recommandation. » C’est ainsi qu’Aristote expliquait l’importance de l’esthétique dans les relations humaines. Les auteurs chinois de l’article rapporté précisent qu’un sourire plaisant et harmonieux améliore la qualité de la communication entre les personnes, augmente sensiblement l’estime de soi et son acceptation dans la société. Parmi les principaux acteurs des expressions faciales, le sourire joue un rôle majeur dans l’esthétique du visage. L’importance que les patients lui accordent ne s’est pas altérée depuis l’époque antique des philosophes grecs. L’article considère au contraire une inflation des demandes en vue de l’améliorer, ce qui modifié les objectifs de la dentisterie moderne du rétablissement des fonctions vers un équilibre esthétique et fonctionnel.
L’étude conduite par les auteurs s’est intéressée à l’évaluation esthétique de quatre caractéristiques liées au sourire parmi différents genres et sous-groupes professionnels incluant des professionnels dentaires (D), des professionnels de santé non dentaires (ND) et des profanes (P). L’originalité de cette étude parue dans une revue de chirurgie maxillofaciale est de considérer la forme et l’agencement des dents, mais aussi les rapports avec les lèvres. Des photographies de sourire ont été sélectionnées et modifiées à l’aide d’outils numériques afin de proposer différentes versions de sourires par variation des paramètres esthétiques suivants : rapport de l’épaisseur des lèvres supérieure et inférieure, ligne du sourire/indice du sourire reflétant le niveau de visibilité des dents, courbure de la lèvre supérieure et arc du sourire (convexité de l’arcade dentaire antérieure maxillaire). Ces images ont été évaluées par 1 469 sujets chinois par le biais d’un questionnaire.
L’analyse des résultats collectés montre que, de manière générale, les caractéristiques préférées selon les critères évalués sont un ratio d’épaisseur de lèvre supérieure/inférieure de 1:1,5, une situation de la ligne du sourire (indice du sourire) moyenne qui révèle l’intégralité de la hauteur des dents de l’arc antérieur mais pas la gencive au-dessus des collets, une courbure de la lèvre supérieure concave (vers le nez) et une convexité dans l’agencement des dents maxillaires antérieures dessinant une ligne des bords incisifs parallèle à la courbure de la lèvre inférieure. Si ces valeurs sont généralement considérées comme les plus séduisantes, les auteurs remarquent des différences d’appréciation selon le genre et la profession des participants. Ainsi, les femmes sont plus sensibles à l’esthétique du sourire avec un sens plus critique vis-à-vis des imperfections par rapport aux hommes. Dans leur discussion, les auteurs émettent l’hypothèse qu’elles accordent davantage d’importance au potentiel de séduction du sourire que les hommes. De même, ils notent, sans trop de surprise, une différence de sensibilité concernant l’évaluation du rapport d’épaisseur des lèvres, du niveau de visibilité des dents et de courbure de la lèvre supérieure chez les professionnels du dentaire, que les auteurs attribuent à leur expérience professionnelle.
La courbure de la ligne incisive antérieure, parallèle à la lèvre inférieure, fait toutefois l’unanimité quels que soient le genre et l’expérience professionnelle. C’est donc un critère très fort de satisfaction esthétique des patients. En comparaison avec les autres données de la littérature, les auteurs remarquent que le ratio d’épaisseur de lèvre qui obtient la préférence des participants correspond au nombre d’or, rapport de proportions idéales bien connu des architectes antiques notamment. Un excès de visibilité de la gencive maxillaire associé à une ligne du sourire haute n’est généralement pas apprécié, car susceptible de révéler des défauts parodontaux ou un excès de croissance alvéolaire du maxillaire. Mais les auteurs rapportent aussi qu’à un niveau raisonnable d’exposition, la gencive visible peut aussi être perçue comme un signe de jeunesse. Cela montre que même si l’étude révèle une certaine concordance de jugements sur les principaux critères esthétiques, elle reste une notion subjective dont la perception peut varier selon les individus. Concernant l’index du sourire reflétant le niveau d’exposition des dents, les orthodontistes et chirurgiens maxillofaciaux expriment une nette préférence pour des valeurs médianes. Mais les auteurs soulignent que leurs objectifs de traitement, notamment les corrections des classes II et III conduisent à cette situation. Ils évoquent en particulier l’influence des traitements chirurgicaux par bascule du maxillaire impliquant la transformation d’une lèvre supérieure concave (vers le nez) en une lèvre supérieure convexe dont les commissures sont plus hautes que son centre. Finalement, les auteurs concluent que le grand public a une perception relativement uniforme de l’esthétique du sourire, et que les traitements cliniques tendent généralement à s’aligner sur ces préférences. Mais l’évaluation de l’esthétique du sourire diffère selon le genre, la profession et sans doute d’autres critères culturels ou sociaux. Il est donc essentiel, pour les auteurs de cette étude, de concevoir des plans de traitement adaptés aux besoins spécifiques de chaque personne.
Commentaires
La subjectivité de l’esthétique laisse naturellement penser qu’elle ne pourrait pas être conceptualisée puisqu’elle n’obéit à aucune règle universelle. Dans notre domaine, elle ne doit pas pour autant s’abandonner aux lois du hasard, en particulier lorsqu’elle s’applique à la restauration d’une composition dentaire. En dentisterie esthétique, la conception d’un projet de restauration doit se conformer à certaines contraintes morphologiques tout en respectant son environnement biologique et en assurant son rôle fonctionnel. Elle impose de trouver la solution la plus adaptée tant du point de vue esthétique que biologique et fonctionnel. L’aspect créatif proprement dit s’exprime sur la définition de caractères individuels variables, et sur leurs interrelations particulières qui devront en même temps être rapportées aux autres éléments du visage, mais aussi à la personnalité du patient et aux exigences sociales pour assurer l’aspect esthétique de l’ensemble. Les choix cliniques font qu’une réalisation exprime l’authenticité esthétique du naturel ou, au contraire, l’aspect d’une prothèse artificiellement bien intégrée mais qui ne fait naître aucun sentiment de beauté chez l’observateur. Il nous faut donc tout d’abord réussir l’intégration d’une restauration dans son contexte, sans quoi le résultat ne souffrirait pas seulement d’un manque d’authenticité, mais constituerait simplement un échec d’intégration esthétique.
Nos illustres prédécesseurs, Lombardi, Abrams, Frush et Fisher, Rufenacht, Magne et Belser, Fradeani ont, parmi tant d’autres, défini des données de référence pour établir les principes d’intégration esthétique dentaire fondés sur la base d’observations constantes et répétées, d’interrogations pertinentes sur des conceptions thérapeutiques sans cesse réévaluées et améliorées. Toute décision affectant l’esthétique d’une composition doit être motivée par une observation extrêmement attentive de l’environnement avec lequel elle va interagir. La capacité d’observer n’est pas innée, elle demande initiation, entraînement et perfectionnement constant pour développer des facultés de perception qui pourront se matérialiser avec succès dans le choix des formes et des agencements des compositions dentaires. La quête esthétique dans nos sociétés occidentales s’est imposée comme un véritable facteur d’intégration culturel et social. En effet, l’importance de la beauté y est amplifiée et, comme le souligne la rédactrice médicale Françoise Saint-Pierre, la beauté y sert d’argument de vente, elle est une qualité nécessaire, une exigence parfois tyrannique, un désir de perfectionnisme sans limites. Si les techniques ont beaucoup évolué, la connaissance par les patients des possibilités thérapeutiques auxquelles ils peuvent prétendre s’est aussi considérablement développée. Par ailleurs, l’espace médiatique projette l’image d’icônes aux sourires « stéréotypés » qui constituent des références de beauté, de normalité, ce à quoi ressembler pour prétendre être parfaitement intégré dans son époque et dans son monde. Cette pression du « toujours plus beau » incite aussi cliniciens et chercheurs à améliorer leurs techniques et développer des thérapeutiques nouvelles, qui seront aussitôt diffusées au plus grand nombre dans un espace médiatique en perpétuelle inflation, là où la loi du marché crée l’offre et suscite la demande.
L’esthétique dentaire est aujourd’hui l’affaire de tous les omnipraticiens qui doivent pouvoir répondre à ces demandes, d’abord en donnant les informations complètes afin d’éclairer véritablement le patient sur la thérapeutique envisagée, de lui proposer toutes les possibilités thérapeutiques relatives aux données acquises de la science incluant la maîtrise d’outils en perpétuelle évolution et contribuant à la définition des projets de traitements. Le jeudi 15 mai dernier, l’Académie Nationale de Chirurgie Dentaire proposait, à l’initiative de son président Marwan Daas, une journée de formation professionnelle sur les sujets les plus actuels. Thomas Sastre y a révélé les dernières possibilités proposées par les scanners intra-oraux et faciaux pour définir des projets esthétiques personnalisés. Mais Béatrice Aknine a expliqué avant lui les risques juridiques de glissement d’une obligation de moyen vers une obligation de résultat lorsque des perspectives esthétiques sont présentées, avec toutes les limites de compréhension ou d’interprétation sous-jacentes. Dans ce domaine si sensible, la communication avec les patients devient plus que jamais essentielle. Et cette évidence impose de fait la formation continue dans tous les domaines comme un outil indispensable à l’exercice de notre profession.
Commentaires