L’élévation sinusienne (ES) est une procédure chirurgicale permettant d’augmenter la hauteur osseuse crestale du maxillaire postérieur pour la pose d’implants dentaires. Malgré un taux de survie implantaire élevé (88,6 % à 100 % à 5 ans), cette technique est associée à un risque d’infections postopératoires variant entre 0,5 % et 11,6 %, atteignant 8,4 % selon la Société Française ORL (SFORL) [1, 2].
L’antibioprophylaxie (ABP) est souvent prescrite pour limiter ces complications, en prévenant les infections per et post-opératoires tout en réduisant l’antibiorésistance, un enjeu de santé publique inscrit dans la stratégie nationale 2022-2025 [3]. Cependant, l’efficacité de l’ABP est encore discutée et les recommandations divergent, traduisant un manque d’essais cliniques robustes.
Le résumé qui suit est une synthèse d’articles qui a pour but d’analyser les données disponibles concernant l’utilisation de l’ABP et par conséquent tenter de mieux adapter les protocoles.
1. Faut-il administrer l’ABP ?
L’étude de Zinser et al. (2013) a comparé l’impact de l’ABP sur le succès implantaire. Trois groupes ont été étudiés : ABP préopératoire (pre-op) seule, ABP pre-op et postopératoire (post-op), et absence d’ABP. Les résultats montrent un taux d’échec implantaire de 8,4 % avec ABP contre 12,9 % sans ABP (p = 0,07), sans preuve statistiquement significative [4].
Ces résultats suggèrent un bénéfice clinique potentiel mais non démontré scientifiquement. L’Agence nationale du médicament et des produits de santé (ANSM) et la SFORL recommandent une ABP systématique, mais cette recommandation repose sur un consensus d’experts plutôt que sur des essais randomisés [2, 5]. La Haute autorité de santé (HAS) défend une antibiothérapie systématique pour les actes invasifs (pose d’implants et/ou chirurgie péri-implantaire) avec possibilité de protocole postopératoire en cas de chirurgie des sinus maxillaires, tandis que la Société Française d’Anesthésie et de Réanimation (SFAR) privilégie une approche ciblée limitée aux patients à risque, notamment en cas de perforation sinusienne [6, 7].
Face à ces divergences, l’administration d’une ABP doit être optimisée et adaptée au patient.
2. Y a-t-il des ATB de prédilection ?
Pour Carreño Carreño et al. (2016) [8], le choix des antibiotiques (ATB) repose sur le spectre bactérien retrouvé lors d’une ES. L’amoxicilline/acide clavulanique (Amox/Clav) 875/125 mg est recommandée en première intention, avec une prise une heure avant l’intervention, suivie d’une administration toutes les 12 heures pendant 24 heures. En cas d’allergie à la pénicilline, les auteurs recommandent la ciprofloxacine 500 mg toutes les 12 heures comme alternative de premier choix.
La clindamycine, souvent prescrite en alternative, est associée à un taux d’échec implantaire accru (6 % contre 0 % pour l’Amox/Clav) [9], renforçant l’importance d’un choix adapté en fonction du patient.
3. Quand administrer l’ABP ?
L’ABP pre-op seule semble plus efficace avec des taux d’infection de 2,1 % contre 10,68 % pour une ABP post-op seule [1].
L’étude de Shuster et al. (2021) [10] a montré que l’administration trop précoce (> 1 heure avant) réduit l’efficacité, justifiant une prise idéale dans l’heure précédant l’intervention [1].
Quant à la SFAR, elle recommande une administration entre 120 et 60 minutes avant l’intervention pour assurer une concentration optimale dans les tissus. En cas d’intervention longue, une réadministration peropératoire peut être envisagée, mais reste difficile à mettre en œuvre [4].
4. Durée courte versus prolongée
L’étude de Shuster et al. (2021) a comparé une ABP courte (1 jour) et une ABP prolongée (7 jours). Les résultats montrent un taux d’infection de 1,6 % avec l’ABP courte contre 3,6 % avec l’ABP prolongée, sans différence significative (p = 0,6) [10].
La SFAR recommande une ABP limitée à 24-48 heures, tandis que la HAS justifie une antibiothérapie prolongée pour les actes invasifs comme le sinus lift [6, 7].
Une ABP courte semble donc aussi efficace qu’une ABP prolongée, limitant l’exposition inutile aux ATB et réduisant le risque d’antibiorésistance.
5. Les ATB topiques, une alternative ?
L’antibiothérapie topique pourrait représenter une option prometteuse. Choukroun et al. (2008) ont testé une irrigation sinusale et une hydratation du greffon au métronidazole 0,5 %, montrant une meilleure homogénéité du greffon et une réduction des œdèmes postopératoires, sans infection rapportée [11].
Même si cette approche limiterait l’exposition systémique aux ATB, aucune recommandation officielle ne la reconnaît encore comme standard [2, 5, 6, 7].
6. Facteurs de risque et approche ciblée
Certains patients présentent un risque accru de complications infectieuses nécessitant une ABP adaptée. La perforation sinusienne est le facteur de risque principal, augmentant le taux d’infection à 11,3 % contre 3,4 % en l’absence de perforation [1, 9].
D’autres facteurs doivent être pris en compte : tabagisme, présence de septa sinusien, de pathologies naso-sinusiennes ou d’une faible hauteur osseuse résiduelle. L’utilisation de la râpe à os est associée à un taux d’infection de 13 % contre 3 % lorsque celle-ci n’est pas utilisée (p = 0,002). L’allergie aux antibiotiques représente également un facteur de risque infectieux selon certains auteurs [1, 2, 12].
Face à ces risques, une ABP prolongée peut être justifiée, tandis qu’une ABP seule suffit pour les cas sans facteurs de risques associés. Un test de culture bactérienne peropératoire permettrait d’optimiser la prescription, bien que cette approche soit difficilement applicable en clinique [1].
Conclusion
L’antibioprophylaxie en cas d’élévation sinusienne est une pratique courante, mais son efficacité systématique reste discutée. Si certaines recommandations encouragent une ABP systématique, d’autres privilégient une approche ciblée en fonction des risques du patient.
De façon générale, une ABP courte suffit en l’absence de complications peropératoires, tandis qu’une prescription prolongée est indiquée en cas de perforation sinusienne ou en présence de facteurs de risque avérés. Il est alors recommandé de prescrire de l’amoxicilline/acide clavulanique pendant 7 jours ou de la ciprofloxacine pendant 9 jours. L’antibiothérapie topique pourrait être une alternative prometteuse, bien que des études complémentaires soient nécessaires pour valider son efficacité.
Ainsi, un équilibre entre prévention des infections et limitation de l’antibiorésistance doit guider les décisions thérapeutiques.
Points clés
• Adapter l’ABP au profil du patient pour limiter l’antibiorésistance.
• Administration optimale : une heure avant l’intervention.
• Amoxicilline/Acide clavulanique (875/125 mg) en première intention ; ciprofloxacine (500 mg) en cas d’allergie.
• ABP courte (24 heures) suffisante pour les patients sans facteur de risque.
• ABP prolongée (7–9 j) en cas de risque élevé (perforation, tabagisme…).
• L’ABP topique (métronidazole) est prometteuse mais non validée.
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