Paris 1874 – le kairos des impressionnistes

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  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire n°19 - 15 mai 2024 (page 48-53)
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Si le kairos des Grecs définit ce moment propice à saisir avant qu’il ne s’envole, alors les impressionnistes l’ont sans doute trouvé en ce mois d’avril 1874 où, pour la première fois, ils osèrent exposer sous leurs couleurs, tour de force qui parut plutôt un coup de force. Aussi est-ce la date officiellement retenue pour fêter aujourd’hui leur 150e anniversaire, même si tout s’est noué bien avant, à travers d’autres liens et conjonctions favorables : constitution fortuite du noyau dur – Monet, Sisley, Bazille, Renoir – dans l’atelier de Charles Gleyre dix ans plus tôt, admiration commune pour Corot, Courbet, rencontre et renfort d’énergiques aînés dont Manet et Degas au Groupe des Batignolles, découverte de Turner. Mais si, en art, on entend par kairos cet instant inexplicable où l’œuvre apparaît soudain réussie et achevée aux yeux de son auteur, c’est bien là que le mot peut pleinement s’appliquer à ces peintres, premiers à restituer l’impression, le mouvement, la vie saisie dans l’éphémère. Impression, mouvement : il semble que tout soit dit en deux mots, et pourtant ce ne sont pas les artistes eux-mêmes qui les ont accolés par volonté d’école, mais leurs contemporains par dérision de cancres, contribuant involontairement à faire naître le mouvement impressionniste. Phare cette année de célébrations partout en France, l’exposition du Musée d’Orsay a choisi de porter sur ce printemps de 1874 un double pinceau de lumière qui éclaire la scène tour à tour, côté Salon et côté jardins.

Double spectacle et ce qui s’y joue de neuf

Les quelque 130 œuvres réunies pour cette confrontation permettent de se faire une juste idée sur ce que le public a pu voir dans les mêmes semaines, bien qu’en deux lieux au poids relatif très différent : lourd pour la manifestation officielle à machinerie bien huilée qui fait d’avance le plein aux Champs-Élysées, léger pour l’opération commando qui tente sa percée sur le boulevard ce 15 avril 1874. C’est elle que nous découvre une visite des lieux reconstitués en réalité virtuelle, d’autant plus précieuse qu’on savait peu sur cet événement dont la presse a créé la légende mais qu’aucune photo n’a fixé et qui n’a attiré que 3 500 visiteurs – lesquels y ont trouvé plus à rire qu’à dire, et pas grand-chose à voir. Ce jour-là, 35 boulevard des Capucines, une poignée d’artistes réunis en société anonyme inaugure sa propre exposition, en marge du Salon officiel, quoique certains y figurent. Anonymes, ils le sont, en ce qu’ils n’éprouvent pas le besoin de se donner un nom. Ils en comptent pourtant de grands dans leurs rangs, comme Degas qui a dégoté le lieu – l’atelier loué par Nadar – ou Manet qui toutefois ne se pose pas en chef de file et n’y expose pas. Mais dissidents, rebelles, marginaux ? Indépendants épris de liberté, plutôt : ils estiment que leur peinture peut être vue autrement qu’en trouvant grâce au Salon ou refuge aux Refusés.

L’idée de jury, qui a fait des ravages un an plus tôt encore, leur est devenue insupportable : son temps est passé, et venu celui d’exposer eux-mêmes. Courbet l’a fait, Cézanne en clame le droit et, depuis cinq ans, autour de Manet, le chorus enfle au groupe des Batignolles, grossi des voix de Pissarro, Berthe Morisot, Zola, Nadar. La guerre de 70 a retardé la récolte, mais le fruit est mûr et promet beaucoup, sauf à connaître des pépins. Le 27 décembre…

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