RÉALITES CLINIQUES
Vol. 36 n° 3 – Septembre 2025
Sexe et bouche

72,00

UGS : REV60125N3 Catégorie : Editeur : Information DentaireAnnée : 2025Volume : 36Numéro : 3Nombre de pages : 52
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Description

Sexe et Bouche

Coordinateur scientifique : Jean-Christophe Fricain

Sommaire

Avant-propos : Les dentistes sont-ils concernés par le sexe ?
Marie-Madeleine, Manon Bestaux

Éditorial
Jean-Christophe Fricain

Évolution des pratiques sexuelles : quel impact sur l’épidémiologie des infections sexuellement transmissibles ?
Loredana Radoï

La syphilis et autres IST bactériennes
Fabrice Campana, Arthur Falguière, Jean-Hugues Catherine

Infections à HPV : bénignes ou malignes ?
Adrien Deville, Anne-Laure Ejeil

Manifestations buccales des hépatites
Antoine Dubuc, Sarah Cousty

Herpès buccal et herpès génital : que faut-il retenir ?
Juliette Rochefort, Camille Isnard

Manifestations orales de l’infection par le VIH : les lésions que le chirurgien-dentiste doit connaître
Emmanuelle Vigarios

Prévention des IST au cabinet dentaire : quels messages délivrer à nos patients ?
Kevin-John Fouillen, Marie Orliaguet

Les abus sexuels chez l’enfant au cabinet dentaire : comment les repérer, comment protéger ?
Audrey Aussel, Marie Percot


Avant-propos

Les dentistes sont-ils concernés par le sexe ?

La question peut sembler incongrue, provocatrice, voire déplacée. Pourtant, elle mérite d’être posée avec sérieux. Je suis à la fois chirurgien-dentiste et sexologue clinicienne, et je vois chaque jour combien ces deux univers se croisent, parfois de manière subtile, parfois de façon éclatante. Car il n’y a pas de doute : nous, praticiens de la bouche, sommes concernés par le sexe.

Pourquoi ? Parce que nous travaillons sur un organe vital, esthétique et fonctionnel, mais aussi hautement symbolique, érotique et intime : la bouche. Organe de nutrition et de respiration, lieu de la parole, du sourire et de l’identité, elle est aussi celui du baiser, du plaisir et de la sexualité. Elle concentre des enjeux multiples, qui vont bien au-delà de la dent cariée ou de la prothèse à poser. Et chaque jour, sans toujours y penser, nous franchissons cette frontière délicate.

Depuis 2017, la Stratégie Nationale de Santé Sexuelle a inscrit le plaisir sexuel comme priorité de santé publique. C’est une évolution majeure : la sexualité n’est plus seulement abordée sous l’angle du risque, de la maladie ou de la prévention, mais reconnue comme une dimension positive de la santé, indispensable à l’épanouissement personnel. Les Journées Francophones de Sexologie et Santé Sexuelle en ont fait un thème central avec ce mot simple et pluriel : « Plaisirs ! ». Pluriel parce que multiples, diversifiés, élargis bien au-delà de la génitalité, ouverts à la sensualité entière, aux expériences corporelles et affectives. Mais ces plaisirs ne peuvent s’exprimer que dans le respect du consentement et de la liberté de chacun. Et c’est là que ma double casquette de dentiste et de sexologue me permet de tisser un parallèle essentiel : consentement et plaisir dans la sexualité, consentement et confiance dans le soin dentaire.

Car oui, nous pénétrons des bouches. Nos gestes ne sont pas sexuels, mais ils sont intimes. Et le franchissement d’une barrière corporelle n’est jamais neutre. Nous savons qu’il est indispensable pour soigner, mais comment est-il vécu par celui qui l’endure ? Dans le meilleur des cas, avec confiance et sérénité. Mais il peut aussi être accompagné d’angoisse, de malaise, de sidération, voire de souvenirs traumatiques. Cette effraction, même consentie, peut être ressentie comme une violence. Elle s’inscrit dans une relation asymétrique, celle du praticien qui agit et du patient qui subit.

Nous avons rarement appris à regarder nos gestes avec cette grille de lecture. Nous avons étudié la biomécanique, les pathologies, les techniques opératoires. Mais qui nous a formés à observer les signaux d’un patient qui se fige, qui ne bouge pas, qui attend que « ça passe » ? Qui nous a appris à débriefer après un soin, à vérifier comment il a compris ce qu’il s’est passé, à écouter ce qu’il a ressenti ? Pourtant, il n’est pas rare que les échecs thérapeutiques se logent précisément là : dans un acte vécu comme imposé, intrusif, incompris.
Comprendre le cycle de la violence, les mécanismes du stress post-traumatique, les comportements d’évitement ou de soumission, ce n’est pas un luxe pour notre profession. C’est une nécessité si nous voulons améliorer notre alliance thérapeutique. Nos gestes techniques ne suffisent pas : encore faut-il qu’ils soient reçus, acceptés et intégrés par le patient. La formation sexologique peut nous y aider. Elle nous apprend à repérer la sidération, à respecter le rythme de l’autre, à construire une relation où la parole est possible.

La bouche, nous le savons, est aussi une porte d’entrée vers l’organisme tout entier. J’ai consacré ma thèse, il y a plusieurs décennies, aux septicémies d’origine dentaire. J’étais déjà consciente que la bouche est une voie de contamination, et pas uniquement par les bactéries classiques de notre flore. Aujourd’hui encore, les chiffres rappellent que le sexe oral reste une voie non négligeable de transmission des infections sexuellement transmissibles. Nos patients s’y exposent, et il est de notre responsabilité de pouvoir en parler. Cela ne signifie pas que nous devenons conseillers en sexualité, mais que nous assumons notre rôle de professionnels de santé publique.

Pourquoi hésitons-nous tant ? Peut-être parce que parler de sexualité nous renvoie à l’intime, à ce qui dérange. Pourtant, il suffirait parfois de simples mots, d’une question posée sans jugement, d’une information transmise avec bienveillance. Rappeler que le préservatif reste une protection efficace. Rappeler que se protéger n’est pas une contrainte, mais une évidence. C’est un geste de prévention, comme se brosser les dents ou réduire sa consommation de sucre.

Nous devons aussi ouvrir les yeux sur nos jeunes patients. À l’ère numérique, un enfant qui tape « sexe » et « bouche » dans un moteur de recherche tombe rarement sur une définition académique. Il est exposé très tôt à des images brutes, violentes, souvent humiliantes, qui associent bouche et sexualité de façon brutale. Quand cet enfant vient sur notre fauteuil, il a déjà en tête des représentations qui brouillent les repères. L’expérience dentaire devient alors une scène d’apprentissage : celle où il découvre que son corps est respecté, que son consentement compte, qu’il a le droit de comprendre, de dire oui ou de dire non. Chaque soin est une micro-éducation au respect de soi et des limites.

Dans ma pratique, j’ai toujours défendu l’idée que le cabinet dentaire devait être un lieu de plaisir – non pas sexuel, bien entendu, mais un plaisir lié à la bouche : celui de comprendre son fonctionnement, de l’habiter pleinement, de l’aimer, de la préserver. J’ai toujours souhaité que mes patients sortent de chez moi non seulement soignés, mais aussi un peu plus autonomes, capables de prendre en main leur santé bucco-dentaire, conscients de leurs fragilités. La prévention, c’est cela aussi : apprendre à dire non aux caries, non au sucre, mais aussi non à toute pénétration non consentie, que ce soit sur un fauteuil ou dans la vie intime.

Alors oui, nous sommes concernés par le sexe. Parce que la bouche est au croisement du plaisir, du risque et du consentement. Parce que nos gestes soignants sont des intrusions intimes qui ne peuvent être ignorées. Parce que nos patients, enfants comme adultes, nous confient bien plus qu’une dent : ils nous confient une part de leur intimité, de leur histoire, de leur vulnérabilité.

Ce volume n’a pas pour but de sexualiser notre pratique. Il veut au contraire nous donner les outils pour la penser autrement, pour en saisir les dimensions invisibles, mais décisives. Comprendre ce qui se joue derrière nos gestes, c’est soigner mieux, avec plus de conscience et de respect. C’est garantir que la relation thérapeutique ne soit pas seulement technique, mais aussi humaine, éclairée et consentie.
Nous soignons des dents, certes. Mais à travers elles, nous rencontrons des vies. Et si notre exercice était aussi l’occasion de participer à une éducation au plaisir, à la responsabilité, et surtout à la liberté de dire non ?

Marie-Madeleine, Manon BESTAUX
Chirurgien-dentiste et sexologue hospitalière*

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