Accident d’irrigation endodontique

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Information dentaire
L’irrigation canalaire est une séquence clé dans la réussite du traitement endodontique. De par ses propriétés antimicrobiennes et de dissolution des tissus biologiques, l’hypochlorite de sodium (NaOCl) est l’irrigant le plus efficace et naturellement le plus employé à dessein. Qui n’a jamais constaté de douleur intense exprimée par son patient au moment d’une irrigation canalaire ? Les auteurs de cette étude se sont intéressés à ces aléas les plus graves qualifiés d’accidents d’irrigation qui, selon leur importance, peuvent conduire à d’importants symptômes et à de lourdes séquelles. Ils nous proposent ainsi une revue de littérature systématique qui repose sur l’analyse de 40 articles publiés entre 1974 et 2015, afin de nous livrer une synthèse des connaissances dans ce domaine. Ils en soulignent la difficulté du fait du manque de déclaration systématique aux assurances et de l’absence de standardisation concernant le relevé d’informations relatif à ces accidents.
Ils nous dévoilent tout d’abord que la plupart de ces accidents concernent les femmes et les dents maxillaires. Ils proposent alors l’hypothèse d’une moindre densité osseuse et d’une corticale plus fine dans ces deux situations. Une ouverture apicale majorée, une perforation radiculaire, la forme de l’aiguille ou encore la proximité de structures particulièrement vulnérables comme dans le cas des dents antrales sont autant de facteurs également susceptibles de favoriser l’extrusion d’hypochlorite et la sévérité de cet accident. Les symptômes associés sont une douleur sévère quasi systématique et une hémorragie canalaire dans un tiers des cas rapportés. Un œdème qui peut être important se développe dans la majorité des cas de quelques minutes à quelques heures après l’accident. Lorsque les sinus sont atteints, de l’hypochlorite peut s’écouler par les narines, accompagné d’un fort goût de javel et d’une sensation de brûlure, voire d’une épistaxis et d’une congestion sinusienne. La communication des sinus avec le nez limite la gravité des symptômes en permettant l’évacuation plus rapide de l’irrigant dont le temps de contact avec les tissus est ainsi limité. Les symptômes ultérieurs survenant dans les heures puis les jours suivants peuvent causer des œdèmes faciaux, des hématomes et de profondes lésions des tissus interstitiels, jusqu’à leur nécrose accompagnée de décharges bactériennes purulentes. Des lésions nerveuses sensitives et motrices ont également été rapportées avec des séquelles permanentes, de même que des emphysèmes tissulaires crépitants, qui sont, eux, généralement transitoires. Des cas plus graves encore ont conduit à des lésions ophtalmiques, des dysphagies et même des détresses respiratoires consécutives de l’œdème.
La conduite à tenir évoquée par les auteurs est d’abord palliative et protectrice. Le saignement et l’usage d’une aspiration peuvent contribuer à évacuer une partie de NaOCl. L’application de poches froides pourrait limiter l’œdème et, dans de rares cas, un drainage chirurgical peut se révéler nécessaire pour décomprimer l’hématome et débrider les tissus nécrosés. Une prescription de paracétamol/AINS en association serait particulièrement efficace comme antalgique tandis que des pénicillines sont recommandées pour prévenir l’infection. Des stéroïdes peuvent aussi être employés pour limiter l’œdème, de même qu’un décongestionnant nasal en cas d’atteinte sinusienne. L’évolution des symptômes et leur résolution prennent en général quelques semaines, mais certains processus cicatriciels peuvent être beaucoup plus longs et laisser de séquelles permanentes. Le manque de rapport systématique standardisé à la suite d’accident d’irrigation constitue une limite à la connaissance exhaustive de leurs causes et de leurs conséquences. Les auteurs proposent alors un formulaire de compte rendu normalisé pour recueillir des données liées au patient, aux techniques d’irrigation utilisées, à l’accident proprement dit, et au suivi du patient. La diffusion de ce dernier et son utilisation permettraient ainsi de mieux identifier les facteurs de risque et donc de mieux prévenir les extrusions d’hypochlorite de sodium.

questions à… Fréderic Bukiet


PU-PH à la Faculté d’odontologie d’Aix-Marseille Université, responsable de la discipline Dentisterie Restauratrice et Endodontie, responsable de l’Unité Fonctionnelle d’Endodontie (Assistance publique des Hôpitaux de Marseille), Coresponsable du Diplôme d’Étude Supérieure Universitaire en Endodontie de Marseille (DESUEM), membre certifié de l’European Society of Endodontology (ESE)

Vous avez dirigé l’étude rapportée dans cette rubrique. Quels sont les signes d’un véritable accident d’irrigation et comment en estimer la gravité ?
Cette publication internationale est le fruit d’un travail d’équipe fondé sur une revue systématique de la littérature et impliquant des auteurs français, américains et malaisiens. En premier lieu, ce type d’accident laisse souvent le praticien désemparé en présence d’un patient subissant une douleur immédiate et violente, y compris lorsque la zone opératoire concernée a été anesthésiée au préalable. Le diagnostic est donc immédiat et assez aisé. Une douleur subite et très intense lors de manœuvres d’irrigation endocanalaire suffit en général pour effectuer le diagnostic. Une hémorragie canalaire abondante accompagne souvent la douleur qui perdure. Si cette situation peut se révéler stressante à gérer sur le plan clinique, la communication avec le patient est alors essentielle, car ce dernier est dans l’incompréhension totale.
La gravité d’une extrusion d’hypochlorite de sodium est malheureusement difficilement prédictible, car elle dépend de nombreux paramètres liés au patient, à la situation clinique et au praticien. Fort heureusement, les situations les plus dramatiques, aboutissant à des séquelles esthétiques (suite à l’exérèse des zones nécrosées) et/ou neurologiques (paresthésie définitive par exemple) sont plutôt rares. Il est cependant important de noter que la cytoxicité de l’hypochlorite de sodium augmente avec sa concentration (il en est de même concernant son activité protéolytique sur les tissus organiques et antibactérienne sur le biofilm). Les concentrations recommandées sont comprises globalement entre 1 et 5 % selon les universités et les objectifs recherchés. La concentration de l’hypochlorite de sodium peut donc grandement influencer la sévérité de l’accident. L’apparition d’un œdème quasi immédiat peut contribuer à augmenter l’inquiétude déjà existante du patient et du praticien. La sévérité de ce type d’accident peut aussi être liée au volume de solution propulsée au-delà du foramen apical (cette donnée est néanmoins difficile à apprécier cliniquement) et au territoire anatomique concerné (en particulier si des structures nerveuses sont atteintes). Enfin, le patient lui-même, si son état de santé général révèle un risque infectieux majoré (immunodépression par exemple), peut constituer un facteur de gravité supplémentaire.

Vous pointez la diversité de données de la littérature et le manque de conclusions solides sur le sujet, quelle conduite à tenir recommandez-vous de manière systématique face à ce type d’accident ?
Concernant les rapports de cas cliniques publiés, il existe un manque notoire de standardisation dans le relevé d’informations effectué par le praticien. Certaines données essentielles sont parfois manquantes dans les « case reports », alors que d’autres n’ont pas de pertinence sur le plan clinique. C’est pourquoi nous avons proposé le formulaire standardisé que vous évoquez*. La gestion immédiate d’une extrusion d’hypochlorite de sodium implique en premier lieu d’interrompre le soin et de rassurer le patient en lui expliquant la cause de sa douleur. L’empathie est de mise dans de telles situations. Il ne faut surtout pas chercher à stopper l’hémorragie intracanalaire, quand elle existe, car elle contribue à l’évacuation d’une partie de la solution. Un rinçage à l’eau stérile ou au sérum physiologique, souvent proposé, n’a finalement que peu d’incidence sur l’évacuation de la solution et sa dilution puisque ce rinçage reste confiné au canal. En revanche, certains embouts fins peuvent être connectés à l’aspiration chirurgicale et insérés dans le canal pour favoriser le drainage. En général, une prescription d’antalgiques, de corticoïdes et d’antibiotiques est de mise pour gérer la douleur et limiter l’œdème et le risque de nécrose tissulaire. Dans des situations extrêmes, l’hospitalisation du patient peut être nécessaire. Il est aussi recommandé d’appliquer des poches de glace le jour de l’accident (afin de limiter l’œdème) puis des compresses chaudes les jours qui suivent pour stimuler la cicatrisation et limiter le risque de nécrose des tissus. Enfin, un suivi régulier du patient doit être instauré (à 24 heures, 48 heures, une semaine, 2 semaines…) pour surveiller l’évolution favorable ou non des symptômes et refermer la dent si elle avait été laissée ouverte du fait de l’impossibilité de stopper le drainage.
Quelles recommandations donneriez-vous pour prévenir le risque d’accident d’irrigation ?
Compte tenu des conséquences potentiellement sévères, il est avant tout capital de prévenir ce type d’accident. En premier lieu, l’analyse des facteurs de risque liés à la situation clinique proprement dite doit être effectuée en préopératoire (situation anatomique des apex, destruction osseuse éventuelle, proximité d’éléments anatomiques tels que sinus, nerf alvéolaire…, anatomie canalaire, présence de parodontites apicales, etc.). L’utilisation d’une concentration d’hypochlorite de sodium de l’ordre de 2,5 à 3 % semble un bon compromis entre efficacité recherchée et cytotoxicité. Contrairement aux idées reçues, les techniques d’activation-agitation des solutions d’irrigation sont très rarement incriminées dans les extrusions d’hypochlorite de sodium, contrairement à l’irrigation manuelle à la seringue, technique la plus utilisée. Munir les aiguilles d’irrigation d’un stop siliconé constitue une mesure préventive simple permettant de contrôler leur profondeur de pénétration intracanalaire. Lors d’une irrigation à la seringue, tout blocage de l’aiguille dans le canal est à éviter. Le débit d’irrigation doit être lent (entre 5 à 7 ml/min) et la solution dispensée à l’aide d’une seringue de 5 ml maximum. En effet, au-delà de cette contenance, la pression en sortie d’aiguille est décuplée du fait de la surface du piston de la seringue. L’influence du « design » de l’aiguille d’irrigation endodontique sur la répartition intracanalaire de la solution a fait l’objet de nombreuses publications, mais avec des résultats parfois contradictoires. Une aiguille à évent ou ouverture latérale pourrait néanmoins limiter le risque d’extrusion. Enfin, les techniques d’irrigation utilisant le principe de la pression apicale négative, comme l’EndoVac, peuvent être intéressantes pour prévenir ces accidents, mais leur utilisation clinique demeure un peu fastidieuse.
* Participez à l’amélioration des connaissances des accidents d’irrigation : téléchargez le questionnaire (http://bit.ly/irrigationendo) et renvoyez-le à Frédéric Bukiet : frederic.bukiet@univ-amu.fr

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