Caries profondes et considérations pulpaires

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  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire n°37 - 28 octobre 2020 (page 6-7)
Information dentaire
Article analysé :
Bjørndal L, Simon S, Tomson PL, Duncan HF. Management of deep caries and the exposed pulp. Int Endod J 2019 ; 52 (7) : 949-73.

Il faut se l’avouer, la plupart des caries profondes diagnostiquées cliniquement et radiologiquement nous invitent, par quasi-réflexe, à sortir le matériel nécessaire au traitement endodontique. Il est vrai que très souvent, si les douleurs lancinantes et persistantes qui accompagnent la pulpite irréversible ne sont pas déjà présentes, on redoute qu’elles surviennent après une restauration de la dent que l’on pourrait juger a posteriori trop « timide » vis-à-vis du traitement endodontique, obligeant une réintervention en urgence, alors qu’un traitement endodontique conduit d’emblée et dans des « conditions favorables » supprimerait ce risque sans trop de suites opératoires, quand une évolution de type nécrotique aggraverait encore davantage le pronostic final de la dent. Si ce raisonnement vise la tranquillité du praticien, représente-t-elle encore vraiment la meilleure approche vis-à-vis de la pérennité de la dent sur le long terme ?

Les auteurs de cet article s’attachent à répondre à cette question par une revue de littérature narrative très documentée qui propose une présentation très détaillée et argumentée de l’état des connaissances actuelles sur la gestion thérapeutique des caries profondes. Après avoir expliqué les mécanismes étiopathogéniques du processus carieux et considéré la réponse histopathologique des tissus dentinaires et pulpaires concernés, ils passent en revue les différentes approches conservatrices susceptibles d’éviter la pulpectomie et le traitement endodontique complet.

Tout d’abord au niveau dentinaire avec l’éviction carieuse sélective en 2 étapes ou en un seul temps permettant d’éviter l’effraction pulpaire. Plus sûre, l’éviction en 2 étapes consiste à éliminer l’essentiel de la dentine cariée puis à placer pendant plusieurs mois un matériau de temporisation à base d’hydroxyde de calcium ou des biocéramiques à base de silicate de calcium, avant d’éliminer le reste de dentine affectée une fois qu’une barrière dentinaire a pu se reformer sous l’effet conjoint des promoteurs tissulaires dentinaires et pulpaires. La technique en un seul temps consiste à laisser une partie de dentine affectée sous une obturation d’usage étanche, mais les auteurs mettent en garde sur un risque de contraction secondaire de cette dentine qui risque d’aboutir à une perte d’étanchéité de l’obturation puis à une nécrose pulpaire.

Les auteurs discutent alors deux options thérapeutiques : l’une « cariologiste » basée sur la recherche absolue d’une préservation d’une barrière dentinaire, même fine, au-dessus de la pulpe afin de bénéficier du potentiel de réparation induit par cette dentine, et l’autre plus « endodontiste », préférant une exposition pulpaire maîtrisée afin de promouvoir le potentiel de réparation dentinaire induit par la pulpe maintenue vitale. Sont alors évoquées les techniques de coiffage pulpaire direct, de pulpotomie partielle visant à éliminer un ou deux millimètres de pulpe inflammatoire ou la pulpotomie camérale intégrale préservant la vitalité des cellules pulpaires dans les canaux radiculaires.

Les effets bioactifs positifs des biocéramiques au silicate de calcium que sont le MTA et la Biodentine sont parfaitement expliqués dans ce protocole opératoire, mais les auteurs insistent surtout sur l’importance de faire le bon diagnostic du niveau d’inflammation pulpaire et de son potentiel de réponse biologique basé sur l’anamnèse de la lésion et sur les signes cliniques observés afin d’envisager la bonne démarche thérapeutique. Ils proposent enfin d’envisager la pulpotomie camérale complète comme un traitement pérenne, plus rapide cliniquement et moins délétère qu’un traitement endodontique complet pour le traitement des pulpites irréversibles, la partie radiculaire de la pulpe étant le plus souvent non atteinte par l’inflammation aiguë.

Toutefois, s’ils appuient toute leur argumentation sur de solides bases bibliographiques, les auteurs concluent que des résultats solides issus d’études cliniques randomisées sur un nombre de sujets suffisant manquent encore pour dégager une méthode, un protocole ou des matériaux permettant de proposer une procédure clinique sûre et indiscutable sur l’abord des lésions carieuses profondes à enjeu pulpaire. Mais ils n’en sont pas moins convaincus qu’une voie plus conservatrice que la pulpectomie complète représente d’ores et déjà une approche à discuter et à appliquer absolument lorsque les bonnes conditions sont réunies, dans l’intérêt de nos patients.

3 Questions à

Stéphane Simon

PU-PH en odontologie restauratrice endodontie (en disponibilité), pratique libérale à Rouen exclusivement limitée à l’endodontie et à la traumatologie, directeur de l’organisme de formation Endo Académie et co-auteur de l’article rapporté

Dans le traitement des caries profondes, quel est l’intérêt des approches conservatrices d’éviction carieuse sélective et des traitements endodontiques avec maintien de la vitalité pulpaire par rapport à une biopulpectomie réalisée dans de bonnes conditions ?

On sait que la seule perte de la vitalité pulpaire n’entame pas significativement la résistance mécanique de la dent. Aucune preuve scientifique n’a pu prouver le contraire et seules les manœuvres instrumentales engagées pour mener à bien le traitement canalaire peuvent l’affaiblir par la perte de substance engendrée. Les récentes évolutions dans le domaine de l’instrumentation et de l’obturation canalaire limiteront d’ailleurs sans doute très vite cet impact. Je reste pourtant un fervent défenseur de la conservation de cette vitalité pulpaire car je suis convaincu que malgré toutes les technologies à notre disposition, nous ne pouvons garantir un taux de succès de 100 % pour nos traitements canalaires. Cela est d’autant plus vrai que, dans certaines situations, la complexité est telle que le pronostic dépend du plateau technique et de l’expérience de l’opérateur et qu’il est difficile d’apprécier réellement la qualité du traitement après obturation. Éviter le traitement canalaire présente donc un intérêt en termes de santé publique dans la mesure où il est plus simple techniquement, moins invasif et qu’en cas d’échec, un traitement du canal de sauvetage peut être entrepris. De plus, cette approche préservatrice s’intègre parfaitement dans le concept de dentisterie minimalement invasive qui s’impose progressivement de façon évidente.

Le diagnostic semble primordial dans ce type d’approche thérapeutique. Quels sont les éléments diagnostiques sur lesquels se focaliser pour envisager la bonne attitude thérapeutique en fonction de la situation clinique, mais aussi du profil du patient ?

Le diagnostic est en effet l’élément clé pour le pronostic de ces traitements. On incrimine souvent un échec sur un coiffage à une erreur de procédure, alors qu’il est fort probable que c’est avant tout l’appréciation de l’état physio-pathologique du tissu pulpaire au moment de la décision qui est déterminante, soit la bonne indication. Nos « outils » diagnostiques ne permettent de vérifier que la sensibilité nerveuse intrapulpaire, alors que c’est l’appréciation des véritables marqueurs de vitalité, voire de la souffrance pulpaire qui est déterminante.
Au cours des dix dernières années, des investigations ont été conduites sur l’évaluation de la vascularisation intrapulpaire à l’aide d’écho-dopplers, ou encore sur l’exploitation de marqueurs moléculaires de l’inflammation pour évaluer l’état physio-pathologique du tissu. Mais les écho-dopplers manquent de précision du fait de l’enfermement de la pulpe au sein d’une structure minéralisée qui complique considérablement la transmission du signal. Par ailleurs, l’accès aux marqueurs moléculaires pose de véritables problèmes pratiques. Il implique d’abord l’exposition pulpaire, ce qui exclut les approches indirectes, puis la réalisation d’un prélèvement de 10 μl. L’analyse est alors difficile, car la quantité de marqueurs disponibles est très faible et qu’ils devraient être comparés à ceux d’une pulpe saine pour fiabiliser les résultats. Cela est forcément compliqué en extemporané. Parmi d’autres voies d’investigations en cours, la seule thématique de recherche que j’ai conservée en relation avec deux laboratoires Inserm et CNRS porte sur les marqueurs moléculaires, mais en dehors de l’inflammation.

Enfin, le profil « génétique » du patient est probablement aussi impliqué, c’est ce que l’on appelle le facteur « hôte », que ce soit en parodontolgie ou encore en cariologie avec le schéma de Keyes. Ce sera probablement le sujet d’investigations à suivre !

Vous rapportez dans l’article une étude présentant de bien meilleurs résultats obtenus avec du matériel très spécialisé, en particulier un microscope opératoire. Comment sensibiliser les omnipraticiens à cette approche plus conservatrice dans leur exercice quotidien ?

L’endodontie est souvent associée à la notion de plateau technique. On peut parfaitement faire de l’endodontie sans microscope opératoire, même si tout est plus simple lorsque l’on y voit. Le plateau technique permet d’augmenter la précision du geste et la formation spécifique du clinicien avec une répétition du geste sur de nombreux cas améliore forcément le pronostic. Mais de combien améliore-t-on ce taux de succès ? Et est-ce que l’investissement (matériel et temps humain) se justifie en termes de santé publique ? C’est une question à laquelle je ne réussis pas à répondre, surtout en considérant le niveau de rémunération honteux associé à ces actes conservateurs.

Depuis presque vingt ans que j’enseigne, je considère mon rôle de formateur, chercheur, clinicien curieux, avec le devoir de partager mon expérience, d’essayer de synthétiser des facteurs qui me semblent pertinents pour justifier mes choix et les partager sous différents formats de communication. Mais je m’interdis de donner des conseils et encore moins des directives car l’expérience acquise au fur et à mesure des années régule ces facteurs, et la perception que j’en ai peut parfois changer, s’atténuer au cours du temps. Néanmoins, depuis dix-sept ans que je travaille sur cette thématique, mes principes de départ restent les mêmes. Tant que la pulpe peut être conservée, je préconise les traitements conservateurs.

Mon seul conseil est donc d’inviter les praticiens à la curiosité. Ne pas chercher dans la technique, le matériau, le plateau technique une réponse qui ne s’y trouve pas. Ce ne sont que des outils, qui très souvent ne permettent que de simplifier une procédure. La connaissance de ces aspects rationnels et des avis contradictoires constituent finalement le seul moyen de se forger sa propre opinion.

Enfin, ulcéré du traitement insupportable réservé à la profession en termes de rémunération et de reconnaissance de valeur de ces actes, je reconnais qu’il faut être solide et résistant pour ne pas tomber dans la facilité des soins de piètre qualité, au vu du niveau de rémunération octroyé par la nomenclature.

Pour aller plus loin

• Simon S. L’obturation canalaire avec une nouvelle famille de biomatériaux… en toute simplicité (Partie I).
BMC 2020 ; 5 (2) : 54-9.
• Simon S. L’obturation canalaire avec une nouvelle famille de biomatériaux… en toute simplicité (Partie II).
BMC 2021 ; 6 (1) : à paraître.

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