CCAM : enjeux et craintes, obstacles et perspectives

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  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire (page 34-36)
Information dentaire
Neuf ans après les médecins, les chirurgiens-dentistes vont, à leur tour, changer de Nomenclature. Quoi qu’on en pense, au 1er juin prochain, la Classification Commune des Actes Médicaux (CCAM) remplacera la NGAP. C’est la loi et il faudra l’appliquer (Journal officiel du 30 novembre 2013). L’occasion pour l’Information Dentaire d’entamer aujourd’hui avec Marc Sabek, notre spécialiste du droit professionnel, une série d’articles pratiques pour vous accompagner dans ce changement.

Michel Pompognoli : Autant poser la question directement, quel intérêt de changer de nomenclature, avec tout ce que cela comporte comme contraintes techniques, de temps à consacrer, de changement d’habitudes, etc. ?


Marc Sabek : Curieuse question quand on constate que pas une seule publication, pas une seule conférence, qui aborde, de près ou de loin, la prise en charge des actes, ne fait l’économie de pointer « l’obsolescence de la NGAP ». Et maintenant qu’on s’apprête à la remplacer par une nomenclature médicale, on va s’en plaindre ?!

C’est le premier avantage et il est de taille : ancrer la médecine bucco-dentaire dans une perspective médicale alors que les professions paramédicales restent dans une NGAP « résiduelle », selon la dénomination consacrée par l’Assurance maladie. Ce mot « résiduel » veut tout dire, surtout dans le contexte actuel où notre profession est attaquée de toutes parts, précisément sur sa médicalité, pour la transformer en « service de prestations » pour ne pas dire en « espace commercial de vente de prothèses ».

Concrètement, comment la CCAM assure-t-elle cette « médicalité » du chirurgien-dentiste ?


Simplement, il n’y a plus de distinction, pour les actes communs, entre chirurgien-dentiste et médecin. Dès lors que l’acte est réalisé par chacun dans son domaine de compétence, c’est le même code et le même libellé de la CCAM qui est utilisé. Et l’Assurance maladie rembourse (ou ne rembourse pas) le patient suivant la même base. Adieu les querelles sur la cotation des actes chirurgicaux “à plateau lourd” par les chirurgiens-dentistes, adieu les approximations et les exceptions transitoires qu’on a connues ces dernières années pour éviter de perdre en capacité professionnelle.

À propos de remboursement, qu’est-ce qui change par rapport à la situation actuelle ?


Globalement, les tarifs de responsabilité de l’Assurance maladie et les actes pris en charge restent identiques. On peut cependant noter quelques modifications, quelques revalorisations. Ainsi, la couronne sur implant sera prise en charge à hauteur de la couronne dento-portée, alors qu’actuellement elle est non remboursable. De même, la désobturation endodontique, acte qui n’a pas d’existence réelle pour le moment, sera un acte distinct de l’obturation endodontique. Il est prévu comme un acte non remboursable, donc ses honoraires obéiront à la règle de l’entente directe avec devis préalable.

Je vois ! Que des avantages ! On a dit sans langue de bois ! Qu’est-ce qui régresse ?


C’est un deal entre les syndicats et l’Assurance maladie et donc, nécessairement, il y a des actes moins évidents à accepter, surtout pour ceux qui y ont recours plus que les autres. Je pense notamment à la contention métallique collée à laquelle on a attribué la valeur monétaire de 96,40e (actuelle SC40 pour une « attelle métallique dans les parodontopathies »). À l’évidence, ça ne paie pas les frais de fabrication ! Mais on nous a assuré que ces actes (peu nombreux) seraient amenés à une revalorisation prochaine.

Techniquement, le système de cotation en CCAM paraît plus complexe. Quelles vont être les difficultés techniques ?


Le passage à la CCAM était déjà inscrit dans le texte de la convention de 2006. Depuis huit ans, les négociations et les discussions montraient que, sans être informatisé, il n’est pas possible, en médecine bucco-dentaire, d’utiliser la CCAM.

Contrairement aux médecins généralistes ou spécialistes ayantpeu d’actes techniques dans leur pratique, le chirurgien-dentiste a déjà plusieurs centaines d’actes à la NGAP. Ils seront plus de six cents en CCAM, compte tenu du mode adopté pour la facturation à l’Assurance maladie.

Or, on estime de 10 à 12 % le nombre de chirurgiens-dentistes non informatisés. Pour eux, il semble impossible qu’ils puissent s’en sortir sans recours à un ordinateur et à un logiciel de qualité.

Il n’y aura pas d’exception pour ceux qui partent bientôt à la retraite ? Pas de période transitoire ?


Je vais me faire des amis (sourires…). Quelles que soient l’époque et l’évolution technique, on a toujours eu et on aura toujours ceux qui seraient bousculés, ne peuvent finir leur carrière “peinards”. À ma connaissance, il n’y a pas de période transitoire prévue. S’il y a des difficultés, je suppose que les instances conventionnelles doivent les examiner.

Mais les logiciels ne sont pas prêts !


Je n’ai pas d’informations sur tous les logiciels. Il faut surtout veiller à ce que nos confrères ne soient pas pris en otage par certains éditeurs « indélicats », qui profiteraient de « l’aubaine » obligatoire de la CCAM pour alourdir les factures de leur fameuse « maintenance ». De ce point de vue, on aimerait bien que les syndicats et les Caisses s’entendent pour dénoncer toute dérive des éditeurs de logiciels. C’est d’ailleurs une opportunité pour nos confrères de changer de logiciel avant le passage en CCAM, en mettant en concurrence les éditeurs et en choisissant celui qui a déjà intégré un module CCAM pratique, aisé, intuitif.

Comment s’y retrouver alors qu’on ne connaît pas encore le catalogue exact des actes, le mode remplissage des feuilles de soins, etc.


Des formations commencent à se mettre en place et permettent de démystifier la question, surtout avec les bruits dissonants et qui ont dérouté beaucoup de confrères. Et à l’ID, nous allons mettre en place une rubrique régulière sous forme de fiche CCAM. Elle accompagnera la mise à jour de l’ouvrage Honoraires et Nomenclature qui gardera sa forme pratique, largement appréciée par nos confrères.

Marc, ne se dirige-t-on pas vers un contrôle encore plus serré de nos actes et par là même vers une perte de liberté et d’indépendance de nos décisions thérapeutiques ?


Compte tenu du niveau de précision actuel dusystème d’information de l’assurance maladie, la CCAM n’apportera pas de précisions supplémentaires pour les contrôles. Au contraire, elle va clarifier un certain nombre de points, actuellement litigieux à la NGAP (détartrages, couronnes sur implants, etc.). Pour la liberté thérapeutique, c’est plutôt l’inverse. Rappelons que la CCAM liste tous les actes médicaux, qu’ils soient ou non remboursables par l’Assurance maladie. Le chirurgien-dentiste va voir sa capacité professionnelle et donc sa liberté thérapeutique renforcées. Alors que, jusque-là, des actes médicaux étaient contestés du fait de leur absence totale d’un « catalogue » les répertoriant sous le seul prétexte de l’absence de prise en charge par l’Assurance maladie.

Quelle place maintenant pour le « tact et mesure » dans les devis ?


Avec la CCAM, nous resterons sur ce point avec le droit ante. C’est-à-dire qu’il y a des actes opposables (hélas, aucune amélioration, mais toujours des promesses), des actes non remboursables et des actes non opposables. Pour ces deux dernières catégories, le chirurgien-dentiste établit un devis préalable. Le tact et mesure s’applique alors avec ses composantes reconnues : la notoriété du praticien, la difficulté de l’acte, les moyens du patient, les écarts avec d’autres praticiens du même cru pour des actes de même difficulté, etc.

Quid du DP ?


Aucun changement n’est prévu pour les bénéficiaires du dépassement permanent. Ceux qui l’ont le gardent. Ceux qui pouvaient y prétendre avec la précédente convention n’ont plus le moyen de le demander depuis que la convention de 2006 l’a pratiquement exclu. Peut-être qu’après la mise en place de la CCAM on pourra entrer dans une phase de gestion efficace des relations entre les caisses et les syndicats et que des problèmes comme le DP seront à nouveau abordés. Mais ce n’est pas le seul problème critique.

Quelle place pour les praticiens qui ont un exercice exclusif comme l’implantologie, le traitement de l’édentation complète ? Pourront-ils continuer sans s’informatiser et remplir des feuilles de soins lapidaires (SPR 85 pas exemple) ?


Comme je l’ai déjà mentionné, il sera très difficile de travailler avec la CCAM sans être informatisé. On peut imaginer des exceptions à la marge. Quelqu’un qui ne réalise qu’un nombre très limité d’actes (que les prothèses complètes, par exemple) dont il a les codes et les valeurs sur un petit tableau sur son bureau !

Pour l’implantologie, les actes ne se limitent pas à une poignée, l’informatique est indispensable.

La télétransmission va-t-elle devenir obligatoire ou encore conseillée comme aujourd’hui ? Et, corollaire, les feuilles papier existeront-elles encore ?


Les nouvelles feuilles de soins seront également disponibles en papier. Mais, comme aujourd’hui, très majoritairement, la facturation à l’Assurance maladie se fait par télétransmission. La télétransmission est obligatoire de par la convention et la loi. N’oublions pas que les dispositions législatives existent pour faire payer au professionnel le coût de chaque feuille de soins papier !

Les mutuelles, assurances, vont-elles se conformer strictement à cette nomenclature ou continuer
à demander, réclamer des compléments d’information de plus en plus en violation du secret médical ?


Ah ! C’est carrément un autre sujet. La CCAM s’applique à tout le monde, c’est un fait. Les dérives des assureurs et, surtout, de leurs intermédiaires financiers, ne peuvent être jugulées que par la solidarité de la profession. Tant qu’il y a des confrères qui croient qu’ils sont plus malins que d’autres, à adhérer à des réseaux fermés, les promoteurs des plateformes assurantielles seront encouragés dans leur dérive pour mettre la profession sous coupe réglée.

Si chaque praticien connaissait les droits et obligations en matière de secret médical et les appliquait au quotidien, on n’en serait pas là. Mais peut-être qu’on devrait traiter ce sujet dans un autre épisode.

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