Cellulites cervico-faciales et hospitalisation d’urgence

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  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire n°31 - 18 septembre 2019
Information dentaire

Parmi toutes les urgences, la cellulite faciale est de celles que l’on ne doit jamais refuser ni négliger car son évolution peut être dramatique pour le patient. Les cellulites cervico-faciales sont définies comme des infections des espaces aponévrotiques profonds de la face et du cou dont l’origine est souvent dentaire. L’absence de barrière anatomique permet la diffusion rapide de l’infection de la base du crâne vers le médiastin. Dans la majorité des cas, une prise en charge dès l’apparition de la tuméfaction cutanée avec application d’une antibiothérapie adaptée associée au traitement de la cause permet une résolution sans séquelles. Mais certains signes de gravité justifient une prise en charge hospitalière compte tenu du risque d’évolution rapide vers le diaphragme, susceptible d’engager le pronostic vital.

Paru en 2017, cet article est encore particulièrement intéressant par son approche épidémiologique des cellulites faciales prises en charge en milieu hospitalier, de leurs caractéristiques et de leurs évolutions dans une population assez comparable à la nôtre. En s’appuyant sur une analyse rétrospective des données d’hospitalisation de 2012 et 2013 sur tout le territoire des États-Unis, les auteurs se sont intéressés aux hospitalisations principalement attribuées à une cellulite faciale. Ils ont tenté d’identifier les facteurs associés, tels que les frais d’hospitalisation, la durée du séjour, l’évolution et l’apparition de complications infectieuses. Sur cette période, 74 480 hospitalisations concernant des patients de plus de 18 ans ont été identifiées comme concernant des cellulites. Le patient type est une femme (55 %) d’une quarantaine d’années (âge moyen 47,5 ans) avec au moins un facteur de comorbidité associé (diabète, hypertension artérielle, pathologies immunitaires, pulmonaires, cardiaques, rénales, consommation d’alcool, de drogues…).

Si, dans cette étude, la plupart des patients admis purent sortir immédiatement avec un traitement à domicile, la durée moyenne d’hospitalisation était de 3,3 jours. La grande majorité des admissions étaient justifiées. 30,4 % des cas ont eu une complication, principalement infectieuse, jusqu’à la septicémie (1,7 %). Le taux de mortalité rapporté est de 0,2 % (115 cas). Quand les patients sont déjà à un stade avancé d’infection au moment de l’admission, la propagation de l’infection est parfois inévitable. Les auteurs insistent sur l’importance d’identifier rapidement les patients à risque afin de leur appliquer le plus rapidement possible le traitement antibiotique et chirurgical adapté.

L’étude révèle par ailleurs que les patients de niveaux socio-économiques défavorisés présentent le plus de risque de cellulites car ils ont, aux États-Unis, plus difficilement accès aux soins dentaires réguliers et sont moins sensibilisés à l’importance de la prise en charge rapide des infections dentaires. Le coût des frais de santé et l’absence de prise en charge par une assurance d’État constituent un frein à la consultation d’urgence et à l’hospitalisation pour certains patients non assurés. Plus des deux tiers des admissions ont pour origine une carie dentaire non traitée.

Les auteurs concluent sur l’importance des programmes de prévention pour diagnostiquer précocement les besoins en soins et limiter les risques de carie. Ils plaident aussi pour une amélioration du diagnostic précoce des cellulites chez les patients les plus à risque pour une mise en œuvre plus rapide du traitement adapté afin d’éviter les complications et leurs conséquences sur la santé du patient et en matière d’économie de la santé.

 

QUESTIONS À

Éric Gérard
spécialiste qualifié en chirurgie orale, praticien hospitalier, odontologiste des hôpitaux, chef du pôle tête et cou et du service d’odontologie du CHR Metz-Thionville

Quelle attitude recommandez-vous en première intention face à une cellulite cervico-faciale d’origine dentaire ?

Osons tout d’abord insister sur une évidence : le traitement d’une cellulite cervico-faciale ne doit jamais faire appel au traitement antibiotique seul. Cette attitude conduit presque toujours à l’échec, à l’aggravation de la situation, et constitue une faute. La thérapeutique d’une cellulite se fonde impérativement sur un triptyque associant drainage de la collection, traitement de la cause et antibiothérapie efficace. Le drainage de la collection est, de loin, la phase la plus importante. Une collection suppurée constitue un espace mort avasculaire, donc inaccessible à la diffusion des antibiotiques à dose usuelle. Son drainage est donc impératif, et s’effectue par une incision suivie d’un débridement/dissection douce des cloisons au moyen d’un décolleur, de ciseaux à pointes mousses (de type Metzenbaum) ou simplement au doigt si l’abord est suffisamment large.

Le traitement de la cause répond à une nécessité logique : il est illusoire d’espérer guérir efficacement une infection si l’on ne traite pas en même temps son origine. Dans le même temps, le geste étiologique permet d’évacuer une bonne partie de la collection suppurée si ce n’est sa totalité en cas d’abcès localisé. Une simple trépanation de la dent causale, quand elle est possible, est efficace à condition de laisser ensuite la dent ouverte jusqu’à résolution de la cellulite. Parfois, l’avulsion sera indiquée moyennant une anesthésie difficile mais possible (infiltration para-apicale complétée par une anesthésie loco-régionale et/ou une anesthésie intraligamentaire). La croyance selon laquelle l’avulsion conduirait à l’exacerbation de la cellulite est une légende urbaine. Parfois le geste étiologique s’avère impossible en raison d’un trismus serré ou de difficultés anesthésiques ; il faudra surseoir au geste en attendant un refroidissement de l’infection, et à condition de surveiller étroitement l’évolution.

L’antibiothérapie n’est que le troisième mousquetaire et ne se suffit pas à elle-même. Elle doit se conformer aux contraintes d’écologie bactérienne. Son spectre d’action doit correspondre de façon probabiliste aux espèces bactériennes les plus fréquemment présentes. Si l’association amoxicilline-acide clavulanique (Augmentin) présente un spectre trop large et doit rester un antibiotique de seconde intention, l’amoxicilline seule est insuffisante puisque plusieurs bactéries gram négatif anaérobies y sont maintenant résistantes (Fusobacterium nucleatum, Prevotella intermedia) : elle doit donc être associée au métronidazole (Flagyl). La dose doit être suffisante et bien répartie dans la journée afin de maintenir une concentration optimale, supérieure à la concentration minimale bactéricide.

En pratique, l’antibiothérapie de première intention associe l’amoxicilline (1 g trois à quatre fois par jour) au métronidazole (500 mg trois fois par jour) ; chez le patient allergique, on associera la clindamycine (600 mg trois fois par jour) au métronidazole. On ne peut que déconseiller le recours à l’association commerciale spiramycine 1,5 MUI + métronidazole 250 mg, qui est en réalité sous-dosée et inadaptée au traitement des cellulites malgré ce qu’indique son AMM.

Quels sont les signes qui justifient une hospitalisation du patient ?

Le bilan de gravité tient compte à la fois du terrain médical, des signes cliniques associés, de l’évolution, de la localisation.
Les patients fragilisés sur le plan immunitaire (diabétiques non équilibrés, immunodéprimés) sont considérés comme à risque.
Si la cellulite s’accompagne sur le plan local d’une dysarthrie, d’une dysphagie ou d’une dyspnée, il faut redouter une obstruction des voies aériennes supérieures. Sur le plan général, il faut s’inquiéter d’un état fébrile et d’une altération de l’état général.

Une virulence particulière de l’infection est suspectée devant une évolution rapide (majoration des signes en quelques heures), un front d’érythème à distance des limites périphériques de la tuméfaction et/ou une crépitation à la palpation (signant une gangrène gazeuse). Enfin, certaines localisations sont considérées d’emblée comme à risque : une cellulite pelvibuccale ou parapharyngée fait courir le risque d’obstruction respiratoire, une cellulite de la loge naso-génienne expose, chez le patient immunodéficient ou le jeune enfant, à une thrombophlébite du sinus caverneux via la veine faciale.
La présence de l’un de ces signes ou de plusieurs signes associés doit inciter à recourir à un avis hospitalier.

Quel type de prise en charge spécifique est assuré à l’hôpital ?

En milieu hospitalier, nous recevons fréquemment des patients atteints de cellulites traînantes et s’aggravant lentement en raison d’un traitement insuffisant, ou au contraire des cellulites d’emblée très virulentes qui indiquent un traitement immédiat et vigoureux. La priorité est d’obtenir un drainage complet de la collection, ce qui s’effectue parfois sous anesthésie locale ou loco-régionale si la collection n’est pas très importante ou en voie de fistulisation spontanée. Mais dans la plupart des cas, le recours à l’anesthésie générale est nécessaire. Elle permet le traitement étiologique, le drainage et le débridement par voie muqueuse et fréquemment par voie cutanée, le prélèvement bactériologique et la mise en place de drains. On associe au traitement chirurgical une antibiothérapie à haute dose, jusqu’à 6 g d’amoxicilline par jour associée selon les cas au métronidazole ou à l’acide clavulanique. Le patient regagne son domicile en moyenne après trois jours, une fois que les signes cliniques et biologiques se sont améliorés. Dans de rare cas d’évolution diffuse et/ou de mise en péril des voies aériennes, nous orientons le patient vers nos confrères chirurgiens maxillo-faciaux pour réalisation de larges cervicotomies et, si nécessaire, d’une trachéotomie.

Quelles sont vos recommandations pour réduire la prévalence des cellulites ?

Le volet préventif est primordial. Même s’il s’agit d’un lieu commun, insistons sur l’importance de traiter efficacement toute lésion infectieuse d’origine endodontique (ou autre) et de s’assurer de sa guérison. Les patients à risque doivent faire l’objet d’une attention toute particulière. En cas d’apparition de complications infectieuses, il est préférable d’intervenir dès les premiers signes et, si possible, avant la constitution d’une collection. Dans ces cas pris en charge précocement, l’antibiothérapie, à condition d’être suffisante et associée à un traitement étiologique, procure une amélioration très rapide et sans séquelle.

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