Par Isabelle Fouilloux-Patey
Dès le début du confinement, j’ai participé à la mise en place de la régulation téléphonique des urgences dentaires dans mon département, tout en assurant des gardes dans mon service hospitalier. Compte tenu du contexte infectieux lié à l’épidémie de coronavirus, un tri des patients s’est avéré nécessaire et parfois ardu !
Répondant à l’appel de Martin Hirsch, je me suis portée volontaire pour endosser le rôle d’infirmière dans un service hospitalier. J’ai été contactée le jeudi 2 avril à 21h par l’APHP, pour m’inviter à faire une formation d’infirmière en réanimation, qui débutait par 2 jours de théorie le samedi et le dimanche suivant, prolongés par 2 jours de formation en service de réanimation. Ensuite, les renforts étaient mis à disposition de l’APHP pour aller dans les services en déficit de personnel.
J’ai été affectée en réanimation médicale de nuit à l’hôpital H. Mondor. Ce fut un véritable changement de vie, particulièrement pour concilier vie de famille, travail en réanimation, suivi des étudiants et je profite de ce message pour remercier mes collègues et notamment Jean-Marie d’avoir assuré pendant mes moments de récupération !
Mon arrivée en réanimation n’était pas prévue sur les plannings et le personnel en place a découvert que les renforts Covid ne connaissaient rien à la réanimation : alors j’ai endossé le rôle d’étudiante, j’ai suivi « à la culotte » mes deux infirmiers de choc Anthony et Sunny. C’était tout à fait du compagnonnage.
L’ambiance de réanimation est très particulière : un grand silence, une sérénité des infirmiers et aides-soignants, mais des bips sonores de tous les côtés et des alarmes qui se déclenchent en permanence, qu’il faut interpréter car cela ne signifie pas toujours qu’il s’agit d’une urgence. Je me rends compte que ces patients nécessitent des soins fréquents, des changements de médicaments dans les pousse-seringues, des changements de position dans le cadre spécifique de la prise en charge du Covid, avec la mise en decubitus ventral des patients (ils passent 18 heures sur le ventre, et on doit les faire « crawler » toutes les 2 heures, c’est-à-dire leur changer la tête de côté avec les tubes dans la bouche, imaginez la technique que cela nécessite).
Les patients sont tous intubés et ventilés, certains sont en circulation extra-corporelle, voire aussi sous dialyse. Je m’intéresse à leur histoire de la maladie, à leur vie, d’après les informations notées dans les dossiers. Je suis marquée par le fait que ce sont des patients relativement jeunes (moins de 60 ans) avec quelques comorbidités telles que HTA, surpoids, mais pas toujours.
Durant mes années d’étude, j’étais aide-soignante en service de gériatrie et j’avais pris pour habitude de parler au patient même si leur sénilité ne permettait pas un échange réel. J’ai agi de la même façon en réanimation et, lorsque j’entrais dans la chambre des patients, je m’adressais toujours à eux en essayant de personnaliser au mieux mes propos. Une nuit, le patient était en cours de réveil, je lui parle et lui demande s’il souffre. Pour la première fois je le vois faire légèrement non de la tête. Je continue à lui poser des questions et oui, il comprend et me répond par des hochements de tête ! Je lui demande de me serrer la main et je ressens une légère pression sur ma main ! Quelle émotion ai-je pu ressentir d’un patient revenir à la vie…
A côté de cela, j’ai côtoyé la mort. Je reste hantée par cette mère de famille de 39 ans, maman de 4 enfants de 16 mois à 10 ans, qui s’est éteinte une nuit d’avril, loin de son conjoint et de ses enfants… Quelle tristesse, quel manque d’humanité de mourir loin des siens…
A l’ouverture du nouveau bâtiment RBI (Réanimation Blocs Interventionnels) de Mondor, j’ai été affectée à l’Unité de Soins Continus (USC). Les patients que je vois maintenant sont désintubés, en cours de sevrage d’oxygène et doivent récupérer de toutes les drogues administrées pendant leur long séjour en réanimation (3 à 4 semaines). J’apprends que le réveil est souvent compliqué avec des patients perdus, incohérents au départ, puis qui se reconnectent à leur passé et présents en quelques jours. Là, dans ce contexte pathologique lié au Covid, le retour à la réalité est très difficile : les patients sont quasiment tous agressifs verbalement et physiquement, cela fait peur ! Heureusement que je suis restée dans ce service, ce qui m’a permis de voir l’évolution positive de certains au bout de plusieurs jours d’errance cognitive…
De nombreux renforts ont participé à la vie du RBI. J’ai eu la grande surprise de croiser des étudiants en dentaire ainsi que des enseignants qui jouaient le rôle de coursiers la nuit entre les différentes unités et les laboratoires en acheminant les prélèvements, d’autres distribuaient les tenues. Nous avions du mal à nous reconnaitre derrière les masques mais les quelques mots échangés me procuraient beaucoup de bonheur et me donnaient du courage pour affronter la réalité du Covid.
Quand je pense à Mme D., une des dernières patientes prises en charge, âgée de 31 ans, intubée, ventilée début avril, alors enceinte de 30 semaines, qui a été ensuite césarisée : sa fille Awa est en réanimation en néo-natologie et sa maman découvre à son réveil qu’elle était enceinte, qu’elle a accouché… que c’est difficile, quelle tristesse dans ses yeux, d’autant plus qu’elle récupère très vite sur le plan cognitif mais est dans un état d’épuisement inimaginable. Quand pourra-t-elle faire connaissance de sa fille et la prendre dans les bras ? J’ai eu du mal à retenir mes larmes en discutant avec cette patiente tellement sa situation m’émouvait.
Je lui ai dit au revoir en finissant mon service, en lui souhaitant le meilleur. Elle doit être transférée dans un service de rééducation le plus proche du service dans lequel est sa fille.
J’ai rencontré des gens extraordinaires, des cadres de service, Anne-Cécile et Armelle, des infirmiers de réanimation, Anthony, Sunny, Agathe, Etel, Fanny, et une aide-soignante, Gaëlle : tous ont été confrontés à des renforts de tous horizons, pas toujours faciles à manager, mais moi j’ai trouvé un nouvel environnement avec des professionnels de haut niveau et avec de grandes qualités humaines. On a partagé des discussions pas forcément longues mais intenses sur la vie, lors des pauses dîner à 2-3h du matin. Le Covid change la façon de percevoir la vie : on n’est pas grand-chose au final… J’ai aussi rencontré des infirmières libérales géniales, Déborah et Christine, venues en renfort avec lesquelles on a travaillé en bonne intelligence et qui m’ont appris des actes techniques tels que les prises de sang veineuses et artérielles. Notre démarche était de soutenir les équipes en place et de rendre service.
Je viens de finir mes nuits en réanimation et je me projette sur la reprise dans le secteur bucco-dentaire. Autant à l’hôpital c’est relativement facile, puisque l’on est protégé par l’institution qui gère le matériel, et parce qu’on participe aux réflexions des conditions de reprise. Au cabinet, je sens que c’est plus complexe. Je me pose des questions innombrables. J’ai donné tous mes masques à une amie généraliste en début du confinement et je n’en ai plus… Je réfléchis aux flux d’air qui sont présents dans mon cabinet et à la façon de les gérer. Je vais maintenant m’atteler à rendre mon cabinet le plus sécurisant possible pour le Covid….
Évidemment, j’ai été confrontée à la face la plus sombre du Covid et cela restera ancré et influencera forcément ma pratique.
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