Classes III squelettiques approche chirurgicale

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  • Publié le . Paru dans L'Orthodontiste n°5 - 15 décembre 2015
Information dentaire
Pour terminer notre série sur les thérapeutiques des classes III squelettiques, nous avons interrogé le Docteur Monique Raberin, MCU-PH à Lyon et auteure de nombreux articles sur la chirurgie orthognathique, et l’approche chirurgico-orthodontique de ces patients.

Dans les classes III squelettiques, quelles sont pour vous les principales indications de la chirurgie, à quel moment posez-vous l’indication chirurgicale et comment organisez-vous le calendrier de prise en charge de ces patients ?
Monique Raberin Le diagnostic de la dysharmonie maxillo-mandibulaire (DMM) de type classe III peut être réalisé très précocement. Vers l’âge de 6-8 ans, le pronostic peut être chirurgical si une dolichomandibulie est suspectée lors de l’examen clinique.
L’analyse céphalométrique de Delaire reposant sur le pilier antérieur permet de confirmer le pronostic orthopédique ou chirurgical : toute longueur excessive mandibulaire ainsi détectée impliquera un pronostic chirurgical (1).
Comme l’a montré l’équipe de Delaire, seules les classes III squelettiques relevant d’une faible expression sagittale de la croissance mandibulaire associée à un déficit majeur de la croissance tridimensionnelle du maxillaire relèvent de l’orthopédie précoce à traction postéro-antérieure du maxillaire.
Chez l’adulte ou l’adolescent en fin de croissance, l’amplitude des compensations sagittales des incisives et les anomalies esthétiques (absence de pommettes, concavité faciale) sont des variables essentielles de la décision thérapeutique (2). Le terrain parodontal et la capacité de résistance radiculaire aux mouvements dentaires peuvent être aussi des freins à un traitement à compromis ou « à camouflage » (3) en présence d’une classe III squelettique de faible intensité.
Les anomalies transversales, soit induites, soit primitives à cette dysmorphie, par endomaxillie et/ou latéromandibulie aggravent souvent le tableau clinique, participant ainsi à la décision chirurgicale.
Les objectifs de la préparation orthodontique préchirurgicale sont établis à partir des données radiologiques 2D qui permettent la simulation du montage chirurgical et de connaître l’intensité des déplacements des bases osseuses. L’analyse 3D permet d’optimiser les sites des ostéotomies et d’ostéosynthèse par mesure de l’épaisseur osseuse, augmentant les chances d’une cicatrisation osseuse rapide. Ces innovations radiologiques sont des éléments complémentaires pour améliorer la réussite chirurgicale dans les cas complexes de chirurgies bimaxillaires de classe III à formes associées multiples.
Les moulages ou les empreintes numériques sont des éléments importants dans le choix des mouvements orthodontiques préchirurgicaux puisqu’ils révèlent les limites des redressements sagittaux des incisives et transversaux des secteurs latéraux.
Si la prise en charge chirurgicale se confirme en fin de croissance chez un enfant ou adolescent, l’évolution de la dysharmonie dentomaxillaire liée à l’endomaxillie associée doit être surveillée. Une disjonction intermaxillaire peut être programmée pour la mise en place des canines maxillaires.
La fragilité de la gencive attachée des incisives mandibulaires et des zones des prémolaires et canines maxillaires justifie parfois une préparation parodontale avec une possible distraction alvéolaire pour éviter l’apparition ou l’aggravation des déhiscences gingivales (4).
Pour pallier cette fragilité parodontale et pour éviter des décompensations incisives à risque, l’amplitude des mouvements de chaque base osseuse doit être limitée : dans la grande majorité des classes III, la chirurgie sera bimaxillaire.
En présence d’une récidive à un traitement orthodontique avec extractions de prémolaires maxillaires ou d’une fragilité parodontale des zones maxillaires latérales, une préparation chirurgicale préalable sera envisagée par disjonction intermaxillaire chirurgicale (5).
Cette phase chirurgicale primaire peut être indiquée en cas de déficit transversal, comme nous venons de l’indiquer, mais aussi en présence d’une classe III squelettique très sévère avec diminution de la dimension verticale d’occlusion par pertes dentaires postérieures, notamment chez les seniors. On réalise alors une inversion du protocole habituel avec une « surgery first » pour ces classes III à délabrement latéral.
La phase post-chirurgicale est déterminante pour la stabilité du montage chirurgical.
Le nivellement de l’arcade inférieure qui n’a pas été volontairement réalisé lors de la phase préchirurgicale, en cas d’hypodivergence associée, est alors le principal objectif. Les tractions verticales d’intercuspidation sont indiquées pendant les 3 mois suivant l’intervention.
Comme pour toute chirurgie orthognathique, un respect de 6 mois de contention par le multi-attaches est obligatoire pour permettre une calcification des berges des traits d’ostéotomie.
En conclusion, le calendrier de prise en charge des classes III chirurgicales s’organise en fonction du stade de croissance osseuse et de maturation dentaire du patient. La préparation se doit d’être pluridisciplinaire et fait intervenir chronologiquement l’orthopédie transversale du maxillaire, la parodontologie, la chirurgie primaire transversale pour en garantir la réussite.

Certains auteurs ont préconisé une surdécompensation des axes incisifs lors de la préparation orthodontique. Pouvez-vous nous en rappeler l’intérêt et les risques ? La recommandez-vous ?
Monique Raberin La préparation orthodontique classique à une chirurgie de classe III préconise un retour à la normalité des axes incisifs maxillaires et mandibulaires sur leur base osseuse respective. Ce principe a contribué au recours à des extractions de prémolaires à l’arcade supérieure pour permettre la linguoversion des incisives supérieures.
L’utilisation de vis d’ancrage entre canines et prémolaires permet après avulsion des dents de sagesse, une distalisation progressive et la linguoversion des incisives supérieures. Le redressement des incisives inférieures doit aussi être réalisé, contre-indiquant formellement toute avulsion ou fermeture d’espace à l’arcade inférieure, tout en respectant la hauteur de la gencive attachée (1). Comme il a été précisé, une préparation par distraction alvéolaire ou par une greffe gingivale libre ou conjonctive est parfois indiquée.
La surcorrection a été envisagée par certains auteurs pour pallier les mouvements de récidive chirurgicale. La stabilité chirurgicale dépend de l’intensité de la DMM, donc de la quantité des mouvements maxillo-mandibulaires réalisés.
Face à une classe III chirurgicale majeure, une seconde phase chirurgicale peut être planifiée dans le protocole initial à 6 mois d’intervalle permettant une progression par palier vers la normalisation sagittale. La surcorrection n’est pas un objectif à retenir d’autant que la gestion postchirurgicale des finitions orthodontiques ne sera alors pas simple à gérer. Elle conduit surtout à des déplacements osseux de plus grande amplitude à haut risque de récidive, car soumis au feed-back des muscles masticateurs.

Pour vous, quel est l’apport des génioplasties dans les classes III ? Quelles sont leurs principales indications dans les classes III et quels types de génioplasties préconisez-vous ?
Monique Raberin La génioplastie est une intervention se limitant à une correction des anomalies de forme (volume et position) du menton. La génioplastie peut être uni ou bidimensionnelle en fonction de la typologie verticale (6). Dans une réhabilitation du profil, la génioplastie complète la chirurgie de base en présence d’une macrogénie associée à la DMM de classe III.
Les génioplasties sont souvent nécessaires chez les hypodivergents et permettent une bascule de l’éminence mentonnière en arrière et vers le bas. La génioplastie apporte aussi des résultats bidimensionnels chez l’hyperdivergent en diminuant la hauteur symphysaire et en créant un sillon labio-mentonnier préalablement inexistant.
Une simulation peut être établie à partir de l’analyse céphalométrique spécifique du menton couplée à l’analyse esthétique des contours et courbes de celui-ci.
La génioplastie étendue de type « technique de wings » (7) apporte une amélioration du contour de l’ovale du visage par rapport à une génioplastie classique à ostéosynthèse antérieure. Cette technique apporte une amélioration des effets esthétiques et une meilleure intégration dans l’enveloppe musculaire faciale (8).

Quelles sont pour vous les principales indications de l’avancée maxillaire et du recul mandibulaire ? Les risques d’apparition d’un SAHOS ont-ils modifié votre approche thérapeutique ?
Monique Raberin Les analyses esthétiques et céphalométriques sont les principaux facteurs décisionnels des sites chirurgicaux avec comme médiateurs les limites des déplacements des bases osseuses en rapport avec le risque de récidive par les tensions musculaires.
Face à une rétromaxillie, l’indication d’une avancée maxillaire s’impose dans les limites de 7 mm de par les répercussions esthétiques. Une avancée plus importante donne un aspect simien au profil (6). Une dolichomandibulie objective un recul mandibulaire limité à 4 mm sous peine de réduction de l’espace aéropharyngé postérieur avec recul de l’os hyoïde pouvant être en effet à l’origine de SAHOS et d’un effet inesthétique d’épaississement des tissus mous du cou.
Le recul mandibulaire unilatéral, prescrit en présence d’une latéromandibulie, permet un recentrage du menton et ne présente pas les impacts fonctionnels iatrogènes du recul mandibulaire global en raison du bénéfice fonctionnel lié à l’harmonisation de la symétrie faciale.

La chirurgie des classes III induit souvent une modification faciale importante. Comment préparez-vous psychologiquement le patient à cette transformation ?
Monique Raberin Les répercussions de la chirurgie orthognathique d’une DMM de classe III ou d’une DMM de l’hyperdivergence induisent un bouleversement du visage et une perte de connaissance du « soi ». Une consultation chez un sophrologue, un orthophoniste et un kinésithérapeute est nécessaire pour la réalisation d’un bilan préalable psychologique et des fonctions orofaciales et la validation du protocole thérapeutique.
Ces intervenants en psychomotricité postorthognathique font partie de l’équipe pluridisciplinaire en charge du traitement d’un patient présentant une DMM de classe III et sont déterminants dans l’acceptation du nouvel équilibre esthétique et fonctionnel par une prise en charge de la rééducation immédiate après la phase chirurgicale et pendant les 3 mois suivants (1).
Cette prise en charge psychologique et fonctionnelle permet parfois de modérer les ambitions chirurgicales suite à la détection d’une faiblesse psychologique qui pourrait conduire à un abandon en cours de traitement.

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