Comment gérer une phase prothétique après un temps implantaire inconnu ?

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  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire
Information dentaire
La science a incontestablement fait progresser l’implantologie dentaire. La qualité du matériel s’accroît. Cet essor industriel doit mener vers une meilleure prise en charge implantaire des patients. Aussi, la vigilance face à la question de l’honnêteté et du comportement éthique parmi les scientifiques doit se prolonger, des précautions sont à prendre, des limites sont à poser, une éthique est à construire ou à faire évoluer afin d’éviter que science et techniques ne se développent sans tenir compte du patient.

Situation

Je reçois une nouvelle patiente âgée de 46 ans, en bonne santé générale. Elle m’explique avoir fait poser quatre implants aux États-Unis il y a un an. Depuis, elle vit en France et désire continuer son traitement par une réhabilitation prothétique. Cependant, elle dit ne pas trouver de praticien qui puisse ou accepte de la prendre en charge.
Je ne connais pas le confrère qui a posé les implants, et ce dernier n’a donné à la patiente aucune information les concernant. Le système implantaire utilisé a, semble-t-il, disparu. Cependant, je ne veux pas abandonner cette patiente dans l’embarras.
Dois-je la prendre en charge alors que mon confrère américain ne pourra pas assurer le suivi de la pose des implants ? Comment gérer la phase prothétique sur des implants dont je ne connais pas la fiabilité et pour lesquels je n’ai pas de contact avec le fabricant ?
Dois-je retirer ces implants et les remplacer par des systèmes que je maîtrise mieux ?
Comment dispenser les meilleurs soins à cette patiente sans m’engager dans une situation qui me serait reprochable ?

Réflexions du Docteur Stéphane Milliez

Praticien attaché Hospitalier – Service dentaire de l’Hôpital Henri Mondor APHP Paris
Pratique implantaire exclusive

Recevoir une patiente qui a quatre implants posés par un confrère dans un autre pays et dont on ne connaît pas la marque est une situation forcément délicate.
Peut-on faire confiance à ces implants dont on ne connaît rien ? Sont-ils ostéo­intégrés ? Quels sont leur qualité et recul clinique ? Quel est le type de connexion prothétique ? Y a-t-il eu conception d’un projet prothétique ? Les axes des implants sont-ils compatibles avec la réalisation d’une prothèse pérenne ?
La solution de facilité serait de déposer les implants et de repartir sur un nouveau projet prothétique implantaire avec un système connu et maîtrisé. Cela n’est pas forcément une solution de facilité pour la patiente qui doit engager de nouveaux frais importants, alors qu’elle a déjà payé ses quatre implants aux États-Unis. Il faut évaluer le ratio coût-bénéfice-risque des différentes solutions thérapeutiques.

Si ces implants sont ostéointégrés et que leur positionnement apparaît compatible avec un travail de prothèse cohérent, les garder simplifierait le plan de traitement.
En adoptant cette solution, le praticien engage sa responsabilité non seulement sur le travail prothétique, mais également sur la fiabilité des implants, car il a accepté de les conserver comme support de sa réhabilitation prothétique.
Il faut tout d’abord identifier ces implants. La patiente connaît certainement le nom du praticien et la ville d’origine aux États-Unis. Une recherche sur Internet pourrait permettre de retrouver ce confrère et essayer de le contacter.
Un implantologiste expérimenté devrait reconnaître radiologiquement les principaux « grands » systèmes implantaires, même ceux qu’il n’utilise pas dans sa pratique. Cela se révèle plus compliqué si la marque est « locale » ou peu connue. Néanmoins, ces marques, surtout si les implants ont été posés récemment, ont tendance à copier les grands systèmes et il est possible de trouver des correspondances prothétiques une fois le type de connexion identifié.
Chez cette patiente, si les implants présentent des piliers de cicatrisation, il est possible de les dévisser et de visualiser le type de connexion prothétique. Cela nécessite de posséder différentes marques de tournevis implantaires jusqu’à tomber sur le bon, ainsi qu’une certaine connaissance des différents systèmes implantaires existant. L’expérience du praticien est primordiale avant de se lancer.
Si les implants sont enfouis, il faut lever un lambeau « d’exploration » pour les identifier grâce à la compatibilité du bon tournevis sur la vis de couverture. Il faudra probablement ré-intervenir pour mettre en place les piliers de cicatrisation adaptés.

Si l’identification n’est pas possible ou si les axes implantaires sont jugés trop incompatibles avec une prothèse pérenne, la dépose des implants devient inéluctable. C’est probablement le meilleur service à rendre à la patiente afin de reprendre un projet prothétique qui arrivera au bout.
Le praticien peut ne pas vouloir engager sa responsabilité en gardant ces implants. Si un problème survient sur les implants par la suite, la patiente reviendra le voir lui et non le confrère américain.
En réalisant soi-même la chirurgie et la prothèse implantaire, la responsabilité est pleine et entière sur le même praticien. Celui qui ne réalise que la prothèse prend sa part de responsabilité en acceptant de réhabiliter des implants posés par un confrère (même de confiance).
La dépose des quatre implants est un acte technique. Il faut léser l’os le moins possible. Une préservation osseuse permet de préparer au mieux la pose des nouveaux implants quelques mois plus tard. Dans certains cas, il peut être possible de déposer les implants et d’en reposer lors d’une même intervention.
Cette situation soulève plusieurs autres questions.
Nous sommes responsables des implants que nous posons. Mais qui est responsable quand les pièces prothétiques d’une marque n’existent plus ? La société implantaire peut faire faillite ou être rachetée par la concurrence. Il est difficile d’obliger les marques à garantir la production de pièces quand l’implant n’est plus fabriqué. La CFAO peut être une réponse. Il faut pour cela que le modèle de connexion soit répertorié dans la base de données.
Enfin, comment réagir face à une patiente qui veut se faire poser quatre implants alors qu’elle part vivre à l’étranger ?
Réaliser la chirurgie implantaire selon un projet prothétique bien défini et transmettre ces informations au confrère qui réalisera la prothèse permet d’avancer significativement dans le plan de traitement et de diminuer les risques d’égression et de versions des dents voisines. Mais l’échec implantaire reste un aléa qui peut survenir. C’est pourquoi il semble préférable de ne pas s’engager dans un projet implantaire quand la patiente doit partir quelques jours plus tard, à moins qu’elle ne s’engage à revenir rapidement pour recevoir la suite du traitement.

Réflexions du Professeur Christophe Meyer

Professeur des Universités, Praticien Hospitalier
Chef de Service de Chirurgie maxillo-faciale, Stomatologie et Odontologie hospitalière
CHU de Besançon

Mondialisation mais aussi hyper­spécialisation de certains praticiens obligent, la situation décrite par le praticien est de plus en plus fréquente. Au-delà du problème éthique (faut-il que le praticien prenne en charge la phase prothétique chez une patiente à laquelle il n’a pas posé les implants ?), il s’agit aussi d’un problème technique (sera-t-il techniquement possible de réaliser la prothèse en l’absence d’information sur le système implantaire utilisé ?) et de responsabilité médicale (en cas d’échec de la réhabilitation dentaire, qui sera responsable ?).

Sur le plan éthique, le praticien a lui-même déjà répondu : il ne souhaite pas abandonner une patiente en demande de soins et c’est une bonne chose. L’éthique nous impose en effet d’avoir de l’empathie envers nos patients et rien n’est plus angoissant pour un patient que d’avoir l’impression d’être dans une impasse thérapeutique. Il faut se mettre à sa place. Le seul argument acceptable qui pourrait amener un praticien à refuser de soigner un patient serait, en dehors d’une situation d’urgence vraie où même cet argument ne tiendrait pas au nom de l’obligation à porter secours, qu’il s’estime incompétent dans le domaine dont relève le soin (l’implantologie dentaire ici), argument évidemment irrecevable de la part d’un praticien affichant sa compétence dans ce domaine. Enfin, même dans cette situation, le praticien se devrait d’adresser le patient à un confrère compétent. Le refus de soins, s’il peut éventuellement être justifié par l’incompétence, n’exonérerait donc en rien le praticien de ses obligations de prise en charge, le fait d’adresser à un confrère étant un type de prise en charge.

Sur le plan technique, s’agissant d’implants posés très récemment dans l’un des pays les plus développés au monde, il serait très étonnant qu’aucune information ne puisse être obtenue sur ces implants. La patiente possède, au minimum, les coordonnées du praticien poseur qui peut être contacté. Si le système implantaire
utilisé n’existe plus, le fabricant ou son repreneur s’engagent habituellement à fournir des pièces sur une période de plusieurs années. S’il s’agit d’une copie, rien n’empêche de piocher dans la gamme du copié. Rien n’empêche non plus le praticien de se rapprocher du fabricant du système qu’il utilise habituellement, les fabricants ayant souvent à cœur de rendre service à leurs clients.

Sur le plan de la responsabilité médicale, il est fondamental d’insister une fois de plus sur la qualité de l’information apportée au patient. Un patient est parfaitement capable de comprendre les risques encourus, ici l’échec de la réhabilitation, en insistant éventuellement sur le risque majoré du fait d’un système implantaire peu connu. Cette information et la qualité des relations entre un praticien et son patient permettent d’éviter un nombre considérable de conflits. En dernier ressort, l’expert qui serait malgré tout amené à donner son avis sur un échec est parfaitement capable de déterminer, en fonction du type d’échec, la part de responsabilité respective du poseur des implants et du réalisateur de la prothèse. Cet expert sera d’autant plus enclin à exonérer un praticien que celui-ci saura faire la preuve de l’obtention d’un consentement réellement éclairé de la part de son patient. D’où l’importance d’un dossier médical bien tenu.

En conclusion, l’obligation de prise en charge de ce type de patient ne fait pour moi aucun doute, quelle que soit cette prise en charge. Une fois ce fait établi, les aspects techniques et/ou juridiques doivent être gérés, le premier par une enquête minutieuse à laquelle le patient peut collaborer et le deuxième par une information claire et traçable du patient.

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