Le cubisme dans tous ses éclats
Dernière ligne droite cette semaine pour voir le cubisme sous le bon axe. On connaît l’histoire à grands traits : en 1907, le triangle amoureux des jeunes peintres c’est Gauguin, l’art primitif et Cézanne qui conseillait de tout traiter « par le cylindre, la sphère, le cône ». Braque et Picasso en tirent les plus fortes leçons, inventant si conjointement le cubisme – certains de leurs paysages sont confondants de similitude – qu’il est impossible de les départager. Il faudrait pour cela avoir suivi heure par heure les intéressés, établir qui a vu quoi chez qui, et à quelle occasion : chacun circule d’ateliers en galeries et en musées, Matisse et Derain montent en 1906 et 1907 des statuettes et des masques à Picasso qui vient de découvrir la sculpture ibérique au Louvre, tandis que Braque, exposé par Kahnweiler, fait parler de « petits cubes », etc. Aussi bien la recherche en paternité n’est-elle pas l’objectif de cette exposition, sauf à considérer que tout ramène à la géométrie de Cézanne (« Notre père à nous tous » pour Picasso), que les deux compères vont éplucher jusqu’à la corde. Ce que propose cette vaste rétrospective – la première en France depuis 1953, riche de plus de 300 œuvres –, c’est d’abord un panorama complet du cubisme, vu dans sa progression, sa diffusion et son rôle aux sources de l’art moderne.
Avec une précision : mis au premier plan aujourd’hui, Braque et Picasso cachent la forêt qui s’est développée dans la décennie 1907-1917. C’est en bonne part sans eux, méconnus alors, que le cubisme existe en tant que mouvement, à travers les Salons et en particulier celui des Indépendants de 1911 où Delaunay, Gleizes, Le Fauconnier, Metzinger font scandale avant de triompher un an plus tard dans celui de la Section d’or. Un mouvement qui vit, explore et propose des voies différentes plutôt que divergentes, malgré un certain « écartèlement » noté par Apollinaire. Tous ces apports ont leur force, leur beauté et leur intérêt formel : introduction de signes, lettres et matériaux divers, limitation aux ligneux tons gris-bruns-beiges rappelant le travail sur bois de Gauguin et des primitifs (Braque utilisera beaucoup le papier « faux bois » dans ses collages), entrée d’accords plus éclatants chez Juan Gris, les Delaunay ou le trop oublié Auguste Herbin. Plus fondamental est le véritable éclatement intervenu dans cette période décisive : celui de la forme homogène, prisme et fil conducteur à suivre ici. Si Cézanne en est visiblement le pionnier, tout ne sort pas de l’eau de ses Baigneuses. Les lignes structurelles oui, la découpe de la linéarité en éclats fondus, bien sûr, de même que le relèvement des perspectives. Mais certes pas l’abandon – très contraire aux vues du maître d’Aix – des plans, du modelé et de la couleur au profit de la trame orthogonale, du regard multiple, des plans-facettes aplatis et de l’atonalité. Cette atomisation de la représentation du réel est bien ce par quoi le cubisme innove.
Très modernes, ces recherches sur la simultanéité des perceptions font écho aux questions du jeune XXe siècle autour des rapports espace-temps, physique-métaphysique, homme-machine. À sa façon, la déconstruction-reconstruction de la forme homogène répond aux réflexions de Bergson sur le « temps homogène », à la quatrième dimension ou « temps spatialisé », aux travaux de Langevin, à la relativité de Poincaré et d’Einstein. Une profondeur nouvelle inspire la démarche plastique ; peinture et sculpture cherchent au-delà des trois dimensions. Il y a, avec les cubistes, un haussement de la pensée que la guerre, pour beaucoup, fera voler en éclats. Les retombées en seront très diverses sur le futurisme, l’abstraction, le suprématisme de Malevitch, le sens de l’absurde du dadaïsme. En 1919, « le cube s’effrite », dit Cendrars, mais ses particules rayonnantes n’ont pas fini de traverser les champs de l’art et de l’esprit.
Vasarely – Le partage des formes
Jusqu’au 6 mai
Centre Pompidou – Niveau 6, Galerie 2
Jusqu’au 6 mai
Centre Pompidou – Niveau 6, Galerie 2
Cubisme
Jusqu’au 25 février
Jusqu’au 25 février
Centre Pompidou – Niveau 6, Galerie 1
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