Diagnostic différentiel des douleurs persistantes après réalisation d’un traitement endodontique initial

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Information dentaire

Environ 5,3 % des patients recevant un traitement endodontique souffrent d’une douleur dite persistante, c’est-à-dire persévérant depuis un minimum de 6 mois après l’intervention thérapeutique (Nixdorf et al 2 009). L’HAS évalue à 6 millions le nombre de traitements endodontiques réalisés en France par année. On peut donc estimer que, chaque année, environ 318 000 Français ne voient pas leur symptomatologie soulagée par la thérapeutique endodontique. Cette douleur dentaire chronique, quelle que soit son origine (odontogène ou non odontogène), altère fortement la qualité de vie des patients. Établir le diagnostic différentiel de leurs douleurs est donc d’une importance primordiale. La prise en charge adéquate et précoce de ces patients, la mise en place d’une thérapeutique appropriée ne peut qu’améliorer le pronostic de leur pathologie et évite l’installation à plus long terme du phénomène douloureux.
Cette étude prospective se propose de décrire les tableaux cliniques ainsi que les différents diagnostics qui ont été établis chez des patients rapportant une douleur persistante, après la réalisation d’un traitement endodontique initial. Les dossiers de 354 patients, suivis à intervalles de temps régulier, sur une durée de 6 mois après la réalisation d’un traitement endodontique initial, ont été étudiés. Seuls 38 d’entre eux (11 %) ont satisfait aux critères d’inclusion d’une douleur dite persistante à 6 mois :
– patient rapportant une douleur dentaire dans la région où a été effectué le traitement endodontique initial ;
– niveau de douleur supérieur ou égal à 1 sur une EVA (échelle visuelle analogique de 0 à 10).
19 de ces patients ont accepté de réaliser une évaluation clinique supplémentaire. Elle a été faite de façon indépendante par un endodontiste ainsi que par un spécialiste des douleurs oro-faciales. Des clichés rétro-alvéolaires ainsi qu’un CBCT ont été réalisés de manière systématique. 2 des patients reçus ne rapportaient plus de douleurs lors de l’examen clinique et ont donc été exclus. Pour 7 des 19 patients (37 %), la douleur s’est révélée d’origine odontogène : parodontite apicale de la dent ayant bénéficié du traitement endodontique ou pulpite irréversible d’une dent adjacente. Cet échec thérapeutique est à mettre en relation avec une désinfection insuffisante du système canalaire puisque des canaux non traités ainsi qu’une anatomie en C ont pu être identifiés. De plus, l’un des patients présentait une guérison retardée en rapport avec une pathologie systémique (lupus). Afin de pouvoir apprécier la guérison ou l’extension d’une pathologie endodontique, l’examen des clichés radiographiques préopératoires est ainsi de rigueur.
8 patients (42 %) ont reçu le diagnostic de douleurs non odontogènes. 7 des 8 patients souffraient d’une arthromyalgie ou ADAM (algies et dysfonction de l’appareil manducateur), cette pathologie n’ayant pas été identifiée au préalable. Cela illustre l’importance de la réalisation d’un examen clinique approfondi, dynamique et élargi aux tissus mous de la sphère orale. Prendre conscience qu’il existe des troubles pouvant occasionner des douleurs référées aux secteurs dentaires facilitera l’orientation du patient vers des services et praticiens compétents dans le domaine. La douleur ressentie par le dernier patient a été jugée d’origine neuropathique. Les 2 derniers sujets (11 %) ont présenté une pathologie mixte : une ADAM associée à la pulpite irréversible d’une dent adjacente ou à une parodontite apicale de la dent ayant reçu le traitement endodontique. Pour 83 % (6 patients) des patients diagnostiqués avec une douleur d’origine odontogène, la douleur était bien localisée contre 25 % (2 patients) pour le groupe des douleurs non odontogènes. À noter que les douleurs rapportées par les patients, bien que considérées comme légères à modérées par les auteurs, restent limitées (0,6/10 sur une EVA pour le groupe des douleurs odontogènes contre 1,5/10 pour les douleurs non odontogènes). L’intensité des douleurs ressenties ne permet pas une distinction évidente entre les deux groupes. Les signes cliniques observés dans cette étude sont ceux classiquement décrits pour le diagnostic des lésions d’origine endodontique, non odontogènes et neuropathiques :
– sensibilité à la percussion et à la palpation pour les pathologies endodontiques ;
– sensibilité à la palpation des muscles masticateurs pour les patients souffrant d’ADAM ;
– allodynie mécanique au toucher pour les douleurs d’origine neuropathiques.
L’origine endodontique a toujours pu être mise en évidence sur les examens radiographiques quelle qu’en soit la cause canal oublié, anatomie particulière, obturation insatisfaisante), d’où l’utilité de procéder à un examen tridimensionnel afin de visualiser la dent dans tous les plans de l’espace. Au contraire, la majorité (75 %) des examens radiographiques des patients avec une douleur non odontogène s’est révélée tout à fait normale.

Bien que le nombre de patients inclus dans cette étude soit bien trop restreint pour en tirer des conclusions définitives, il apparaît que, le plus souvent, la douleur persistante dont se plaignent les patients n’est pas d’origine endodontique mais au contraire non odontogène avec une fréquence élevée pour les algies et dysfonctions de l’appareil manducateur. D’autres pathologies peuvent être responsables de douleurs référées dentaires, telles que des névralgies faciales (névralgie essentielle du Trijumeau) ou encore des troubles vasculo-nerveux, ORL… Dans ces situations, le traitement endodontique a été réalisé à tort suite à un diagnostic erroné. Les résultats de cette étude soulignent l’importance de la réalisation d’un examen clinique global et approfondi afin de parvenir à un diagnostic pertinent. L’impossibilité de mettre en évidence la pathologie dont souffre le patient aboutit bien trop souvent à une prise en charge inadéquate, des actes bucco-dentaires injustifiés et à la persistance des symptômes rapportés.

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