Eros et Thanatos

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Klimt sur un kilim magique

Bonne nouvelle, l’Atelier des Lumières prolonge son éclairage inédit sur le chantre viennois de l’Art Nouveau. Dans cette « exposition » virtuelle, virtuose et virevoltante, l’œuvre de Klimt est approchée comme jamais, révélée comme nulle part ailleurs par la numérisation qui détoure, agrandit, rapproche et explore en détail ses peintures, célèbres ou méconnues. Jouée par 140 vidéoprojecteurs, la valse immersive des images tapisse les 3 300 m² de surfaces (sol, plafond, murs hauts de 10 mètres, miroirs, bassin) de cette ancienne fonderie où elle fait rejaillir des étincelles d’or. Klimt, fils d’orfèvre, y nage comme un poisson dans l’eau et le visiteur, enveloppé de vues d’époque et baigné de Wagner, Strauss, Mahler, Puccini, est irrésistiblement entraîné dans la Vienne fastueuse qui festonne ses palais.

En cette fin de siècle, la capitale impériale jette l’or par les fenêtres au nom de la grandeur de l’Autriche et le peintre, devenu son maître décorateur après Makart, fait ruisseler cette pluie de lumière avec une égale prodigalité. Il a compris son contrat ; à la tête du mouvement Secession, il invente un art décoratif riche, spectaculaire et total qui recouvre tous les autres, peinture, musique, architecture. Un vertige de prestige saisit la société huppée du Ring et Klimt en réponse enlumine ses murs de frises symbolistes et mythologiques. L’érotisme qui les nimbe fait scandale mais fascine par la note mortifère que le peintre associe à la beauté capiteuse, laissant percer sous la chair épanouie le masque émacié de la camarde. Symbole des cycles de la vie, à l’en croire, cette obsession reflète les troubles d’une ville sensuelle et libre qui découvre l’inconscient et meurt de la syphilis.

Au début du nouveau siècle, âge d’or de Klimt et apogée de son style, les plus belles femmes le sollicitent : ses portraits les couvrent d’or, d’argent, de bijoux rutilants, de pierres fines. Sous le voile d’onirisme teinté de saphisme, presque toutes diffusent un charme serpentin, vénéneux, fatal. Belles à faire peur, diraient les Précieuses, spectrales dans leurs robes d’or où se fondent les yeux égyptiens, les spirales grecques, les carrés byzantins et les volutes celtiques.
Femmes-fleurs aussi, parfois ; elles exhalent alors le frais parfum des jardins japonistes et impressionnistes que Klimt a délicieusement arpentés et que n’oublie nullement ce voyage en images. Les paysages s’y invitent en effet – enrichis d’échos du disciple Egon Schiele et prolongés par un autre volet, très réussi, consacré au peintre viennois Hundertwasser. Les vergers, tapis fleuris, forêts ou rives de Klimt portent sa touche géométrique, mais avec une poésie sereine et pleine de santé qui contraste avec la morbidezza urbaine, faisant de la nature luxuriante le contrepoint, voire l’antidote, de la ville luxurieuse. Cette vitalité édénique s’étend au giron féminin par la grâce d’un Klimt amoureux et tendre envers la maternité. Elle s’exprime avec bonheur dans la séquence intitulée « Klimt, les femmes et la couleur », au son particulièrement bien adapté du « Chœur à bouche fermée » de Madame Butterfly. Inoubliable, ce ballet coloré est très représentatif de la démarche de Culturespaces qui pousse les murs, fait changer d’échelle le regard, le séduit et l’instruit par imprégnation et révolutionne ainsi, non seulement le rapport à l’art, mais son accessibilité même.
Gustav Klimt
L’Atelier des Lumières
38 rue Saint-Maur, Paris 11e.
Prolongé jusqu’au 6 janvier
Réservation conseillée sur
atelier-lumieres.com
*Outre Klimt, voir Kupka, Mucha, Egon Schiele, resp. Id n° 21 du 30 mai, n° 37 du 31 octobre et n° 39 du 14 novembre 2018.

Neurones et névroses

Impossible de clore une saison d’art marquée par un net intérêt pour l’occulte et les jeux de l’amour et de la mort* sans une visite au Dr Freud. Le MAHJ lui consacre, première en France, une exposition qui réunit un ensemble exceptionnel de 200 œuvres d’art, documents et instruments – dont le baquet de Mesmer ! – éclairant à la fois son exploration pionnière de l’inconscient et les flamboyances intellectuelles de la Mitteleuropa. Sous la houlette de Jean Clair, auteur de la mémorable exposition Vienne, l’apocalypse joyeuse, 1880-1938 en 1986, on suit les connexions du neuro­logue entre rêves, hypnose, saisie du refoulé et psychanalyse. Les cercles artistiques ont joué un rôle majeur dans la diffusion de sa pensée. Le surréalisme vient en tête, bien que Freud ait confié à Zweig qu’il tenait ses membres pour « fous à 100 % – disons plutôt, comme pour l’alcool, à 95 % ». L’art prend cher, sur le divan…

Sigmund Freud
Du regard à l’écoute
MAHJ – Musée d’art et d’histoire du judaïsme
71 rue du Temple, Paris 3e
Jusqu’au 10 février

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