Jean-Yves Chauve, le médecin du Vendée Globe souvent sur les dents

  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire
Information dentaire
Depuis près de quarante ans, Jean-Yves Chauve, médecin de profession et marin par passion, veille sur les skippers.
Lors du prochain Vendée Globe, dont le départ est fixé le 6 novembre, il sera joignable 24 heures/24 pour les petits pépins, les gros bobos et les rages de dents.

Propos recueillis par Raphaël Godet

Quels sont les soucis dentaires les plus récurrents en mer ?
Il y a la classique inflammation de la gencive, la traditionnelle couronne qui saute, l’amalgame qui tombe, l’aphte qui apparaît avec la fatigue, la dent qui se casse en deux après un choc sur le bateau. Je n’ai jamais eu d’histoire de dents de sagesse, enfin pas encore !

Comment réagissez-vous quand le problème survient ?

D’abord, il faut rassurer le skipper qui est loin, seul, et souvent désemparé. Il faut lui dire que l’on va trouver une solution. Ensuite, on détermine la gravité du problème pour proposer la meilleure solution de soins. Avec la technologie actuelle, c’est plus facile : on demande au navigateur de se prendre en photo pour voir ce qui se passe. Sauf que ça n’a pas toujours été aussi simple…

C’est-à-dire ?

Trois grandes “histoires de dents” ont marqué l’histoire du Vendée Globe. Celle de Guy Bernardin en 1989, celle de Bertrand De Broc en 1992, et celle de Bernard Stamm en 2012 (lire encadré). Mais le grand public ne connaît pas forcément les coulisses de ces interventions.

Racontez-nous !
Dans les années 1980, l’esprit était très différent. Le skipper fonctionnait beaucoup en autonomie : « Je suis sur mon bateau, je me débrouille. » En cas de pépin, la communication était très aléatoire, elle se faisait par propagation des ondes, ça marchait une fois sur deux, et la qualité était très mauvaise. Autant vous dire qu’on ne comprenait pas toujours exactement quel était le souci.

Et en 1992 pour le cas Bertrand De Broc…
C’était déjà un peu mieux. Il n’y avait pas encore de téléphone à bord des bateaux.
Alors on s’envoyait des télex par fax. Chaque message mettait un temps fou pour arriver à destination. Entre 15 et 20 minutes… Et pendant ce temps, le marin souffrait le martyr…

Vous souvenez-vous du premier message envoyé par Bertrand De Broc ?
Bien sûr. « Message urgent du groupe LG, je me suis entaillé la langue, 5-6 millimètres de profondeur sur 2 centimètres de large. A plus, Bertrand. » Vous voyez, c’était extrêmement court. Avec l’aide d’un stomatologue, nous avons pu l’aider à distance et lui proposer des soins adaptés pour réparer sa fichue langue.

Lors du dernier Vendée Globe, c’est Bernard Stamm qui a eu un problème de dents ?
Là, c’était très simple : on a fait une visioconférence, et hop on a pu piloter à distance le skipper et lui dire quoi faire.

Cela signifie donc que les marins sont formés aux premiers soins ?
Exactement. Avant chaque départ, ils suivent une formation médicale. Durant celle-ci, ils sont sensibilisés à l’hygiène buccale, et aux traitements des problèmes dentaires. Avant de prendre le large, ils doivent également consulter leur chirurgien-dentiste. Ce serait ballot de perdre une course pour une rage de dents. Je pense que les sponsors l’auraient mauvaise…

Quel matériel trouve-t-on dans leur pharmacie de secours qui pourrait aider en cas de problème dentaire ?
Des antibiotiques, des antalgiques puissants qui permettent de tenir un certain temps, quitte à rejoindre un port ou se faire récupérer par un autre bateau si jamais ce n’est pas possible.
J’exige aussi que les skippers emportent un miroir pour pouvoir regarder l’état de leur bouche. C’est tout bête, pour autant certains n’en avaient pas avant. Cela permet de faire un état des lieux, de se rassurer. L’idée, c’est que le skipper puisse faire un certain nombre de gestes pour réparer une dent et continuer la course.

Peut-on se voir refuser une inscription au Vendée Globe à cause d’un problème de dent ?
Non. Il y a un certain nombre de contre-indications, mais l’état dentaire n’en fait pas partie. En fait, c’est de la responsabilité du skipper lui-même.

Diriez-vous que les mentalités ont évolué ?
Complètement ! Les marins ont pris conscience qu’ils devaient prêter un œil attentif à tout ce qui peut déconcentrer de la compétition, et les dents en font partie. Aujourd’hui, étant donné les enjeux financiers, ils ne peuvent pas négliger leurs dents, leur bouche… Leur quotidien à bord est extrêmement régulé, et le brossage des dents fait partie des tâches quotidiennes, répétitives, qu’il faut faire.

Après, reconnaissons que ce n’est pas simple de se brosser les dents en pleine mer…
Pour autant, je leur conseille de le faire comme dans la vraie vie, c’est-à-dire après chaque repas. ça, c’est la théorie. Après, il y a la réalité : oui, les marins ont autre chose à faire en mer. Du coup, si sortir la brosse à dents est trop compliqué pour eux, je leur conseille d’utiliser des chewing-gums sans sucres, des pâtes ou des liquides désinfectants pour garder une hygiène buccale correcte.

Des chirurgiens-dentistes vous aident-ils pour faire le meilleur diagnostic ?
Oui, je suis entouré de plusieurs référents dentaires et de stomatologues. Leur point commun, c’est qu’ils ont tous une expérience maritime, c’est indispensable. Parce que le souci, c’est qu’on intervient à distance, pas dans un cabinet. On est obligés de proposer des méthodes pas toujours très orthodoxes. Mais on garantit que ça ne nuira pas au skipper.

Certains, paraît-il, tentent de conserver leur bout de dent cassée…
Oui, c’est vrai ! Ils le gardent jusqu’à l’arrivée aux Sables d’Olonne, en espérant pouvoir le recoller. Sauf qu’un mois après, c’est un peu tard. Souvent, ça se termine par un implant.


Les dents de la mer
Oui, on peut perdre un Vendée Globe à cause d’un problème dentaire. Depuis toujours, l’Everest des Mers a été le théâtre d’histoires « buccales » rocambolesques.

Guy Bernardin, Vendée Globe 1988-1989
C’est la faute du sandwich !
Guy Bernardin est furieux. Il doit abandonner la course à cause d’une rage de dents.
Le navigateur a mangé un sandwich le jour du départ, et il est persuadé que c’est lui le coupable.
La douleur est insoutenable. Une croûte de pain se serait coincée dans ses dents.

Bertrand De Broc, Vendée Globe 1992-1993
L’histoire a fait le tour du monde.
Le 9 janvier 1993, en plein Atlantique, le cordage d’une voile frappe violemment le visage de Bertrand De Broc. Diagnostic : un œil tuméfié et la langue profondément coupée.
Pas le choix, il faut recoudre pour éviter une infection. Avec les moyens du bord, le navigateur se lance, en suivant les conseils du médecin de la course.
L’opération dure trois heures. Quelques jours plus tard, pour un problème de quille cette fois, le Breton  abandonnera.

Bernard Stamm, Vendée Globe 2012-2013
Aïe, la molaire ! Le skipper suisse s’est cassé une dent en mangeant.
Là aussi, il faut soigner.
L’opération est réalisée pratiquement sans anesthésie et sans trucage, avec des instruments sommaires. Et pendant ce temps, le bateau tangue et lui grimace à l’approche du nerf dentaire mis à vif. Malin, le marin a eu la bonne idée de tout filmer. Tout en veillant la barre…

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