L’ego de Victor

  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire
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L’œil épiait à la ronde et regardait Vulcain

Hugo forgeant son image sur l’enclume mythologique devait s’attendre à la voir ternie par les trolls de la caverne. La presse satirique n’y manqua pas, tenant avec lui son meilleur client depuis Napoléon. Hugo, c’était du pain bénit : macrocéphalie idéale pour l’homme de tous les fronts, flamme du regard et fracas du verbe, coiffure toujours au vent de l’Histoire et fureur de taureau corseté d’écarlate. De la bataille d’Hernani en 1830 jusqu’à ses funérailles en 1885, il tint la une des caricatures. Bouillant, versatile et ambitieux, il avait compris qu’en bien ou en mal, l’important était qu’on parle de lui. Artisan de sa légende autant que défenseur des libertés publiques, il se garda bien de prendre la mouche, plus servi que gêné par cette caisse de résonance offerte à ses éclats. La France aime ses Lettres, le panache et le story telling victorieux ; elle a souvent rêvé d’allier à sa tête le sceptre et la plume. Par sa verve, sa popularité, sa détermination et sa longévité, Hugo pouvait apparaître un jour ou l’autre comme un personnage ressource. La presse, qui avait vu venir un homme potentiellement providentiel, le tenait à l’œil, soufflant le froid ou le chaud selon le pouls de la nation. Les petits dessins en disent plus long que les gros livres. La trajectoire de Hugo peut s’y lire comme un moderne « narratif » politique, animation médiatique d’une image créée à la fois par une main impérieuse et par une autre railleuse. C’est tout le sain contre-pouvoir de la caricature.
 

Le meilleur pitch de la légende du siècle

Centrés sur Hugo, monument du patrimoine toujours à revisiter, les quelque 150 caricatures réunies ici jettent alentour un éclairage neuf sur la société et la culture françaises, et pas simplement celles de « l’ancien monde ». On croit le connaître, notre Totor national, de « Demain dès l’aube… » aux Discours sur la misère ou contre la peine de mort. On l’a vu dans Notre-Dame sonner les cloches à l’injustice, réveiller à la Chambre les consciences endormies. Mais il s’est en somme présenté à nous tout auréolé de sa grandeur, couronné d’art, drapé de vertu républicaine. Ce qu’on découvre, c’est le work in progress de la statue sous le regard de ses contemporains, en temps réel. Il avait annoncé la couleur : « Je suis une force qui va… » Mais où ? Ceux qui le campaient dans ses poses théâtrales ne connaissaient ni la pièce, ni le rôle qu’il jouerait, ni ce qu’il représenterait. Ils ont peint, acte après acte, l’auteur s’avançant sur la scène, acteur de lui-même, César ou bien Tartuffe, qui pouvait connaître des succès aussi bien que des fours. Ils avaient bien calculé le poète et le brocardèrent en jeune lion remuant. Mais le fauve politique les inquiéta, renégat de la monarchie qui pactisait avec un faux républicain futur Empereur. Après le coup d’État, les choses furent plus claires et plus amènes : on salua la droiture morale rugissante, on plaignit l’animal blessé pansant ses plaies à l’écart. C’est un roi lion qui fut plébiscité à son retour d’exil, mais qui, sorti de la cage, ne voulut pas se faire dompteur quand Paris assiégé lui proposa la dictature. Pouvait-il, à soixante-huit ans, commencer une carrière de dictateur ? Dilemme hugolien. Ce fut finalement un vieux lion à la crinière d’argent, mais aux griffes émoussées ne grattant plus guère que la lyre, que la foule fêta pour ses 80 ans et panthéonisa trois ans plus tard. Sous le pinceau, les difformités avaient disparu, il n’avait plus la grosse tête, il ressemblait au Père Hugo.
 
Caricatures
Hugo à la une

Maison de Victor Hugo,
Place des Vosges, Paris
Du 13 septembre au 8 janvier

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