À quoi ressemblera le cabinet dentaire dans dix ans ? C’est la question à laquelle le Comident a tenté de répondre, à l’issue de son assemblée générale le 19 juin à Paris, en s’appuyant sur une enquête prospective menée auprès de 70 de ses adhérents. Réalisée par le cabinet de conseil en stratégie KEA, celle-ci combine entretiens qualitatifs et questionnaire en ligne.
Parmi les grandes tendances identifiées, la prévention s’impose comme un pivot incontournable. Déjà au cœur des politiques publiques (EBD annuel par exemple), elle deviendrait, selon 82 % des sondés, le socle de l’exercice dentaire. Le chirurgien-dentiste de 2035, acteur de la santé globale, ne se limiterait plus aux soins curatifs mais participerait à la détection précoce de fragilités systémiques, dans un système de santé plus intégré. Il travaillerait en lien étroit avec d’autres professionnels, coordonnerait une équipe élargie.
Ce cabinet du futur serait aussi technologique. L’intelligence artificielle y optimiserait la gestion, la traçabilité, la planification et même le diagnostic. La téléexpertise, la télésurveillance des traitements et la robotique s’y seraient imposées.
Mais pour que ce scénario se concrétise encore faut-il que l’innovation puisse se déployer. Or, lors de la table ronde organisée à l’issue de la présentation de l’enquête, industriels et praticiens ont exprimé leurs doutes quant à la faisabilité d’une telle transformation dans les conditions actuelles.
L’innovation, ont-ils rappelé, ne se décrète pas : elle nécessite des moyens, de la stabilité réglementaire, une vision à long terme et un environnement économique incitatif.
« Pour innover il faut des marges de manœuvre que les industriels n’ont pas ou n’ont plus », résume Philippe Veran, président de Biotech Dental. S’il a souligné que certains cabinets sont déjà engagés dans cette transformation – « ce que vous avez présenté est déjà vrai pour au moins 10 à 20 % des cabinets », a-t-il gentiment raillé – il a pointé les contraintes spécifiques à la France : « Tout est plus cher et plus compliqué. Mais c’est la France, on l’aime, on s’adapte. Nous avons réintégré en France l’usinage des aligneurs Smilers, fabriqués auparavant aux États-Unis. C’est donc possible. »
Immobilisme des politiques, inertie du système
Une analyse partagée par Olivier Schiller, PDG de Septodont, qui alerte de son côté sur l’impact du décrochage industriel français. « Les coûts de production en France sont les plus élevés d’Europe. Le président de la République avait mis en place une politique de réindustrialisation et de réalignement compétitif qui avait porté ses fruits. Mais depuis 2022, ce mouvement s’est interrompu, les charges de production augmentent de nouveau. » Et d’ajouter : « En plus, il y a tellement de normes et de contraintes que nous en sommes aujourd’hui à lancer nos produits, français, d’abord aux États-Unis, avant le marché européen. »
« L’un des premiers obstacles dans nos métiers, c’est l’administratif, les normes, constate lui aussi Olivier Lafarge, président du Comident, Lorsque vous devez dépenser 100 000 euros pour mettre une ligne de production en conformité avec la réglementation européenne, ce sont 100 000 euros qui ne vont pas dans l’innovation. »
Au-delà du cadre réglementaire, c’est aussi le modèle économique et politique qui est interrogé. « Notre pratique dépend étroitement du système de financement. Ce que sera le cabinet dentaire de demain, dépendra largement de ce que sera notre modèle social et économique dans les dix années à venir, dit sans détour Julien Laupie, secrétaire général de l’ADF. Or aujourd’hui, avec le 100 % Santé, des plafonds de prothèses qui n’augmentent pas, un dentiste ne peut pas payer l’innovation. Franchement, sur ces sujets, j’ai l’impression de répéter ce qu’on disait déjà en 2015 en se projetant sur 2025. En 10 ans, on n’a rien gagné ou presque. »
À ses yeux, l’immobilisme est d’autant plus préoccupant qu’il bloque toute projection stratégique. Et ce blocage ne se limite pas à l’innovation technologique : il concerne aussi les évolutions organisationnelles du cabinet, la structuration des équipes ou encore la démographie professionnelle.
Sur tous ces sujets, Doniphan Hammer, également secrétaire général de l’ADF, « ne voit pas de solution claire. Regardez le dossier de l’assistante dentaire de niveau 2. On travaille dessus depuis 10 ans. Toute la profession est à l’unisson. Mais le législatif bloque. Sur la prévention ou la collaboration interprofessionnelle, nous avons dans la convention des tarifs spécifiques pour les consultations de patients à risque. Bien. Mais combien aujourd’hui de diabétologues, d’endocrinologues ou de cardiologues nous envoient des patients ? On navigue à vue, les enveloppes budgétaires sont contraintes et nos politiques manquent de courage. »
Une remarque reprise par le « grand témoin » de la table ronde, l’ancien ministre de la Santé Aurélien Rousseau : « Le problème de votre secteur, la dentisterie, c’est qu’il passe trop souvent sous les radars des politiques. Cela dit, je vous confirme bien l’inertie du système. »
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