Ma patiente ne comprend ni ne parle le français…

  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire (page 28-30)
Information dentaire
Le chirurgien-dentiste remplit une mission de conseiller qui lui interdit de prendre une décision en lieu et place du patient. En l’accompagnant dans sa démarche réflexive, il renforce l’autonomie du malade et sa liberté de consentir ou non à un soin. Car l’autonomie se conçoit comme la liberté individuelle d’avoir des préférences singulières qui se gèrent dans la relation de confiance praticien-patient qui passe par l’oralité. Mais quand le patient ne parle ni ne comprend la même langue que son praticien, la communication est difficile. Pourtant, il faut aussi dans cette situation respecter les principes éthiques du secret médical, de l’autonomie et du consentement.

Situation
Ma patiente d’origine sri-lankaise souffrant d’une parodontite nécrotique a besoin de soins.
Elle ne comprend pas le français : la traduction se fait par l’intermédiaire de sa nièce, qui ne peut pas toujours être présente aux rendez-vous et ne prend pas toujours les appels.
Elle n’est donc pas en mesure de tirer elle-même les règles et les moyens de son comportement.
Je veux éviter toute discrimination et lui apporter mes meilleurs soins.
Comment savoir si la traduction a parfaitement reflété mes informations ? Comment m’assurer alors de son autonomie de décision ?
Peut-elle signer les devis ou le consentement, alors qu’elle ne comprend pas ce que je lui dis et ce qui est noté sur les documents ?
Comment respecter le secret médical la concernant, alors que je dois passer par une interprète pour lui transmettre des informations ?

Réflexions du Docteur Olivier Hamel
Maître de Conférences des Universités – Praticien Hospitalier
Faculté de Chirurgie Dentaire de Toulouse
Laboratoire d’Ethique Médicale et Biologique de la Faculté de Médecine Paris Descartes

Loin d’être anecdotique, sauf pour le choix du pays d’origine, la question posée est une réalité d’aujourd’hui. Pour le dire communément, « on sent le vécu ! ».
Je propose un postulat de départ, une série d’interrogations qui constituent l’essence de la réflexion éthique et peut-être un élément de réponse ou de proposition.
Le postulat résonne dans la définition de la discrimination : « Fait de distinguer et de traiter différemment (le plus souvent plus mal) quelqu’un ou un groupe par rapport au reste de la collectivité ou par rapport à une autre personne. » (Larousse en ligne). « Traiter différemment », voilà l’acception que l’acteur de santé entend immédiatement comme « soigner différemment ». Et nous les premiers, si nous nous retrouvons un jour ici ou là quelque part loin de l’Hexagone, nous nous poserons alors sans doute cette question en reconnaissant alors peut-être enfin les mérites de notre système de santé.
Nous savons que face à une situation clinique donnée, les solutions thérapeutiques sont parfois multiples et le concept de codécision patient/praticien tend enfin à être admis. Nous préférerons même au dogme de consentement éclairé celui de choix partagé (mais l’heure n’est pas à la discussion sémantique et je laisse à chacun l’opportunité de se positionner sur cette différence !).
Le cas proposé suggère deux temps dans l’action : celui du traitement de l’urgence puis celui du traitement de fond.
Passons brièvement sur le premier temps qui assurera la prise en charge de la douleur et de l’infection et qui fera probablement consensus. La suite pose davantage de questions, dans un contexte de reste à charge a priori incontournable pour la patiente, mais aussi, et peut-être surtout, de compréhension incertaine des risques d’abstention thérapeutique. L’enjeu pour l’avenir de la santé orale de la patiente est évident. Notons au passage que ce questionnement est, là aussi, dans la réalité du terrain en France, également fréquent dans la population générale et va bien au-delà de l’exemple proposé.
Les interrogations éthiques sont multiples, réunies en somme en une seule question fondamentale : comment protéger au mieux la personne ?
La réalité, encore une fois, renverse de fait la question et la transforme en : comment faire le moins mal possible ?

Reprenons les questions posées :
• Comment respecter les principes du secret médical, de l’autonomie et du consentement ?
• Comment savoir si la traduction a parfaitement reflété mes informations ?
• Comment m’assurer alors de son autonomie de décision ?
Très difficile ! Ces questions posent celle des outils pratiques d’information dont nous pourrions disposer pour tendre vers ces objectifs.
• Peut-elle signer les devis ou le consentement ?
Certes oui, bien sûr ! Mais quelle valeur leur accorder ? Probablement bien faible.
• Comment respecter le secret médical via une interprète ?
La réponse en forme de pirouette est tentante : considérer l’interprète comme une personne de confiance au sens de la loi relative aux droits des malades du 4 mars 2002. Le partage du secret, donc du diagnostic et du traitement proposé, devient légitime (mais il faudra alors expliquer aux deux intervenants un concept très français et peu intégré en odontologie). Il semble préférable de considérer que l’accompagnante, ici de la même famille, a au moins la confiance de la patiente.

Très généralement, presque classiquement, nous suggérons aux étudiants de second cycle que la réflexion éthique est un outil pratique pour explorer les dimensions décisionnelles et en particulier :
– identifier un conflit de valeur ;
– informer correctement patient et entourage ;
– évaluer le degré de vulnérabilité du patient ;
– créer les conditions d’un vrai dialogue ;
– proposer une solution acceptable pour un accord mutuel.

Toutes les difficultés sont réunies ici.
Je propose de reformuler la question sous l’angle de la réponse collective de la profession à travers une volonté de conception et de diffusion d’un outil de communication à destination de nos patients. Pourquoi ne pas imaginer, grâce à l’informatique, un DVD, un site en ligne présentant un panel de situations illustrées, sans texte, mais avec une iconographie riche et universelle, qui puisse informer les patients non francophones ?
De la description des cas cliniques, aux possibilités de traitements, jusqu’aux décisions partagées, il doit y avoir un projet collectif à mener pour des utilisations individuelles.
Des volontaires ?

Réflexions du Professeur Jean Vilanova
Professeur à la faculté de droit de Lille
Responsable des relations institutionnelles à la Médicale de France

Aujourd’hui, le patient n’est plus un patient. Il est devenu un usager du système de santé. À ce titre, on peut considérer que les droits régaliens dont il disposait déjà en tant que patient se trouvent désormais confortés, gravés dans le marbre si l’on peut dire. Ces droits sont bien connus de tous : parmi ceux-ci, le droit à l’information afin de délivrer ou non au soignant un consentement libre et éclairé, le droit au secret.
L’humanisme reflète la relation de soins. Cette relation se noue dans le cadre d’un dialogue entre les deux parties. Le patient/usager explique les maux dont il souffre, fait part de ses craintes, de sa peur parfois. Le soignant propose une stratégie thérapeutique et informe sur les risques qu’elle induit ainsi que sur ceux qui apparaîtraient au cas où le patient viendrait à refuser ladite stratégie, en d’autres termes, interdirait l’accès à son corps.
Pour autant, rien n’est simple. Il se peut qu’un patient, dans le déni ou la peur, « n’entende pas » ce que dit le praticien. Il se peut aussi que ce patient ne comprenne pas les propos qu’on lui tient et cela pour une raison très prosaïque. Il ne maîtrise pas la langue française, pas plus d’ailleurs que l’homme de l’art ne maîtrise la langue de son pays d’origine.
Dès lors, comment garantir à ce patient le respect de ses droits, car, en définitive, c’est à lui que la décision finale appartiendra ? C’est en effet auprès de lui et de lui seul que le praticien devra recueillir un consentement « libre et éclairé ».
Une solution paraît évidente : s’attacher les services d’un interprète. Certes, mais quel interprète ? S’il s’agit d’un membre de sa famille, le secret, « général et absolu », ainsi que le qualifie la Cour de cassation, sera levé. On imagine aisément qu’en certaines circonstances, le patient puisse ne pas souhaiter que sa pathologie soit ainsi dévoilée à un proche. Et lorsque c’est le cas, l’interprète doit alors s’imprégner de l’obligation qui lui échoit désormais de ne partager ce secret avec quiconque. Le membre de la famille choisi par le patient constitue à n’en pas douter une aide nécessaire certes, mais avec une limite possible. Outre la conscience de l’obligation de silence, il est en effet question de sa disponibilité. Le consentement, en effet, n’est pas recueilli une fois pour toutes en amont du soin. Il doit être recherché à chaque étape du traitement et, à ce titre, peut être retiré à tout moment. C’est donc à un véritable rôle d’auxiliaire que la personne s’attachera. A défaut, le patient ne se verrait pas respecté dans sa dignité. Et, du point de vue juridique, reproche en serait fait au soignant.
Autre piste maintenant. Imagine-t-on se diriger vers une nouvelle tâche qui incomberait à un traducteur ou un interprète professionnel ? Un tiers, désintéressé par rapport à la famille du patient, formé à la lourde responsabilité lié au rôle d’intermédiateur entre un patient et son thérapeute ? Là, sans doute se trouve une solution possible à laquelle certains établissements hospitaliers travaillent. Pour autant, nous savons bien que ce qui est envisageable dans un établissement peut se révéler plus difficile à mettre en place dans un cabinet libéral… Mais l’option mérite que l’on réfléchisse aux moyens de contourner les obstacles qu’elle présente. Une partie de la solution à la délicate question de l’accès à l’information du patient non francophone s’y trouve certainement.

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