Praticien-prothésiste, un duo à l’honneur

  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire
Information dentaire
Le 11 octobre, Ivoclar Vivadent a réuni une centaine de praticiens et de prothésistes à l’UGC Confluence de Lyon pour une séance exceptionnelle, animée par Stefen Koubi et Gérald Ubassy.

Présentée sous forme d’échanges autour de cas cliniques traités par les deux intervenants, elle leur a permis d’expliquer leurs méthodes et astuces, mais aussi de transmettre de nombreux messages, dont trois principaux :
– la réussite d’un cas est simple à obtenir et reproductible à condition d’appliquer « une recette » : en utilisant les meilleurs ingrédients, les ustensiles les plus performants et un protocole rigoureux, on ne peut finalement pas se tromper ;
– lorsque l’on « imagine » un sourire, il convient de se poser les mêmes questions qu’un architecte : où faut-il ajouter de la matière ? Comment aménager l’espace ? Comment gérer les lignes et les effets d’optique ? Les réponses à ces questions permettent de discuter des possibilités de réhabilitation avec le prothésiste ;
– il ne faut jamais oublier de prendre du recul sur son travail. Tel un peintre face à son tableau, les praticiens comme les prothésistes doivent s’éloigner de leur « toile » pour prendre une certaine distance sociale, car la finalité des restaurations est finalement la perception qu’en ont le patient et son entourage.

La couleur et les matériaux

Avant d’aborder les cas cliniques, Gérald Ubassy a souhaité faire un point sur la couleur et les matériaux, rappelant l’importance d’utiliser des termes communs pour une communication efficace avec le laboratoire. La couleur, tout d’abord, est définie par la teinte, la saturation et la luminosité. Si les deux premières sont des éléments faciles à identifier, la troisième est plus difficile à contrôler. Elle est maîtrisée avec la couche d’émail plus ou moins chargée en intensif blanc. Deux dents avec la même teinte et la même saturation seront différentes si elles n’ont pas la même luminosité d’émail.
 
Chez les patients jeunes, l’émail est plus dense, plus lumineux. Avec les années, il s’affine et devient de plus en plus translucide. Au niveau des matériaux, le conférencier a insisté sur l’importance primordiale du choix du lingotin. Ces lingotins sont proposés en différentes translucidités et en différentes opacités. Si le prothésiste opte pour le plus opaque, il peut masquer une teinte foncée sous-jacente. Il faut aussi savoir que plus de translucidité ne signifie pas forcément un meilleur résultat esthétique. Un lingotin plus translucide donnera un rendu gris. Les lingotins LT (Low Translucidity = faible translucidité) sont utilisés pour les chapes en stratification pour la réalisation de facettes sur des préparations peu colorées et très fines (meilleure transmission de la lumière). Les lingotins MO (Medium Opacity = moyenne opacité) bloquent plus la lumière, donc ils sont plutôt utilisés pour des préparations classiques avec plusieurs dents à restaurer. Les lingotins HT (High Translucidity = haute translucidité) sont adaptés aux inlays-onlays postérieurs, le travail de la couleur étant complété par l’utilisation de pigments (« stains »). Les HO (High Opacity = haute opacité) servent par exemple pour la réalisation de coiffe en céramique sur des TiBase en implantologie afin de bloquer la couleur du titane.
 
Les deux conférenciers ont en outre abordé le cas de la dent unitaire. En effet, dans cette situation, la luminosité est souvent une source d’échec, car elle est très difficile à doser. Or les patients rejetteront une dent qui n’a pas la bonne luminosité. La première chose à faire quand une dent unitaire est à réaliser, est alors d’effectuer un éclaircissement car il est plus facile pour le prothésiste de copier des dents lumineuses. Et Stefen Koubi d’insister sur l’information encore plus poussée à transmettre au céramiste car c’est à lui que revient la plus grande part de responsabilité dans l’intégration esthétique de la prothèse. Il convient donc de réaliser des photos avec la référence de teintier dans le même plan que la dent à reproduire, en prenant la teinte au collet de la dent (saturation) et au bord libre (émail).
 
Il ne faut pas oublier la teinte sous-jacente du moignon qui peut avoir une forte influence sur le résultat final. Ces différents clichés peuvent être complétés par des photos en lumière polarisée pour faire ressortir le chroma et enlever le filtre d’émail de façon à comprendre la composition dentinaire sous-jacente.
Pour pouvoir gérer ce problème majeur qu’est la gestion de la luminosité, le calibrage des préparations est de première importance. Afin de masquer une dent sombre, on privilégiera des préparations à 0,8 mm, car il faut de l’épaisseur pour que les céramistes puissent donner un côté d’effet masquant grâce à l’opacité du noyau (0,4 mm) constitué par la chape et le cosmétique qui sera stratifié par-dessus (0,4 mm).
 
Les conférenciers ont également abordé le traitement des situations cliniques permettant de ne réaliser aucune préparation (« no prep »), possible grâce à la céramique pressée et non stratifiée. Mais si elle est très séduisante, cette option est particulièrement ardue à mettre en œuvre, et ils lui préfèrent alors des préparations minimalistes le (« prepless ») qui permet au praticien de réaliser des limites pour positionner la pièce de façon plus aisée et précise.

Des cas cliniques instructifs

Quatre cas cliniques ont été présentés durant cette séance, concernant deux latérales riziformes, la transformation d’une canine en incisive latérale et d’une prémolaire en canine, un problème d’usure et un édentement unitaire avec préservation des papilles. Nous avons choisi ici d’en développer deux, illustrant particulièrement bien la collaboration étroite entre praticien et prothésiste, et la préservation biologique de l’organe dentaire. Pour aller plus loin et découvrir d’autres situations cliniques, il est possible de se rendre sur le site de l’Institut de la facette (http://www.linstitutdelafacette.com).
 
Dans le premier cas exposé ici, celui de la transformation d’une canine en incisive latérale et d’une prémolaire en canine, le prothésiste réalise une cire de diagnostic (wax up) après avoir fait des préparations sur le modèle que l’on doit essayer de reproduire en bouche. Pour réduire la prémolaire et la transformer en canine, Stefen Koubi devra traverser toute la face distale jusqu’en palatin, et dans cette situation la préparation ne pourra pas conserver comme lors de préparation standard pour facette les points de contact et avec transition par des zones toboggans. Gérald Ubassy pourra jouer sur cette zone à la préparation augmentée et la rendre fuyante pour donner un effet d’optique.
 
Il est très important de faire l’empreinte de la prothèse provisoire validée en bouche. Le prothésiste reçoit cette empreinte qui lui sert de base et sur laquelle, si nécessaire, il peut apporter des modifications. Pour gérer la gencive et les émergences, Gérald Ubassy a toujours deux modèles, un détouré et l’autre non.
Lors de la réalisation de la chape, elle ne doit pas être bombée au niveau du congé, afin de ménager de l’espace au prothésiste pour pouvoir rajouter de la couleur. Cette chape mesure 0,2 à 0,3 mm, et le prothésiste peut la colorer au tiers cervical pour avoir la bonne saturation. Puis il rajoute des colorants, des essences de rose, de violet, d’orange, qu’il cuit à 725 °C pour les fixer. Attention, ces essences bloquent la lumière, ce qui peut être un avantage comme un inconvénient. Avec les ombres, on peut jouer sur les illusions pour gérer les volumes et les largeurs. On peut aussi tricher lors du maquillage (sur de la pressée) : pour réduire la largeur d’une dent, on met des zones d’ombre en proximal. On modifie l’illusion d’optique par des phénomènes de profondeur.
Dans les cas d’usure, 60 % des consultations sont en lien avec des dents trop petites qui se cassent. Il est alors nécessaire de recréer le sourire, mais il est impensable de faire des réhabilitations antérieures esthétiques sans avoir augmenté la dimension verticale, et ce dans le but de faire de la dentisterie additive. C’est important au niveau biologique, et nécessaire pour la solidité des restaurations. Une nouvelle approche est apparue : le « full mock up » Le principe est de pouvoir visualiser intégralement en bouche le résultat final pour pouvoir l’utiliser comme guide pour les préparations. On peut intégrer ce type de traitement dans une pratique quotidienne si les séances sont organisées, que la réflexion est dissociée du temps d’action et en collaboration intime avec le prothésiste.
 
Stefen Koubi a la possibilité, grâce à cette méthode, de préparer toute une arcade en une heure. Dans le cas où il traite les deux arcades, il met en bouche ces masques en résine (« mock up ») au maxillaire et à la mandibule. Il réalise des rainures sur les faces occlusales des dents recouvertes par le « mock up » en résine. L’arcade maxillaire est traitée la première et les facettes occlusales sont réalisées au laboratoire en utilisant comme antagoniste l’empreinte du « mock up » de l’arcade mandibulaire. Puis, lors d’une séance suivante, les reconstitutions adhésives en céramique sont posées en vestibulaire et en occlusal au maxillaire et les dents du bas sont préparées.
 
Il est important de bien évaluer les zones à traiter dans les secteurs postérieurs et notamment l’épaisseur nécessaire pour la réalisation de reconstitution en céramique type « table top ». En fonction de la préparation à faire, Stefen Koubi réalise un congé sur le pourtour de la surface occlusale, différent en fonction de la morphologie de la dent. Ainsi, sur une dent à morphologie plate, il faudra prévoir une grande adjonction de matière, il effectue les préparations en amenant ses limites dans des zones très périphériques à la surface occlusale. Si, au contraire, la dent présente une surface occlusale peu délabrée, il opte pour des préparations avec des limites internes à la face occlusale, mais toujours marquées par un congé.
Une autre interrogation que l’on peut se poser est : pourquoi faire une facette palatine et une vestibulaire plutôt qu’une couronne, même a minima ? Stefen Koubi explique cela notamment par un avantage en termes de préservation tissulaire et de crédit biologique. Ainsi, dans le cas de ré intervention quinze ans plus tard, 90 % du capital biologique de la dent est resté intact, car il n’y a pas eu besoin de mettre de dépouille l’ensemble de la dent.
 
Cette soirée, qui a permis aux participants de partager les réflexions de Stefen Koubi et Gérald Ubassy lors de leur pratique quotidienne, a mis en avant l’importance pour le laboratoire et les praticiens de tirer la quintessence de leur savoir (et savoir-faire) en travaillant main dans la main dans un même but : avoir des restaurations si mimétiques que la main de l’homme semble n’être jamais intervenue. Un but résumé par un proverbe cité en conclusion par Stefen Koubi : « If you want to go fast, go alone, if you want to go far, go together » (si tu veux aller vite, fait le seul, si tu veux aller loin, fais-le en équipe).
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Clara Marcoux, Aline Borello, Émilie Bonnet

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