Prévention, traçabilité, accès aux soins : la filière dentaire face à ses défis au Sénat

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Information dentaire

Prévention, accès aux soins, sécurité des dispositifs médicaux (DM) : trois piliers fragiles pour la santé bucco-dentaire en France. Réunis au Sénat à l’initiative du Comident, le 15 décembre, parlementaires, praticiens, industriels et associations de patients ont dressé un constat sans détour : il faut passer d’initiatives dispersées à une stratégie nationale, capable de répondre aux inégalités, sécuriser les DM et soutenir l’innovation.

Ouvrant les débats, la sénatrice Élisabeth Doineau (Mayenne) pointe une contradiction. En matière de soins et de prévention bucco-dentaire « nous avons des projets locaux efficaces, mais rien de structuré au niveau national », constate-t-elle, citant notamment l’exemple du Breizh Bucco Bus en Bretagne, un cabinet dentaire mobile qui « a démontré son utilité sans être pérennisé ni déployé ailleurs ».

Pour elle, la solution ne viendra pas d’une loi isolée sur tel ou tel aspect mais d’un plan stratégique global porté par la profession, évalué chaque année. « Il faut cesser d’empiler des textes et bâtir une stratégie. À vous de nous faire des propositions, la balle est dans votre camp ».

L’idée trouve écho chez Raphaël Daubet, sénateur (Lot) et chirurgien-dentiste, qui rappelle le paradoxe : « la prévention bucco-dentaire est quasi absente des politiques de santé publique alors que son coût est faible et ses bénéfices immenses. » Sa proposition de loi portant sur la création d’assistants en santé bucco-dentaire (ASBD) n’est certes pas globale, mais elle introduit un levier concret : capables d’agir au cabinet, ces ASBD pourront aussi exercer « hors les murs » dans les écoles ou les EHPAD. « Nous créons une possibilité, avec l’aval de la profession. À elle de s’en emparer pour changer en profondeur notre système », insiste-t-il.

Le baromètre Comident-UFSBD, publié le 16 décembre, confirme l’urgence : 60 % des praticiens constatent que le lien avec la santé générale reste flou et 92 % estiment leurs patients mal informés sur les maladies parodontales. Sur ce point, Céline Camilleri, présidente d’Haleon France, propose d’aller plus loin : elle plaide, avec le soutien de l’UFSBD, pour des bilans parodontaux ciblés à 30 et 50 ans, inspirés du modèle belge, où un test de dépistage est pris en charge par les mutuelles. « Une prévention efficace pourrait générer 800 millions d’euros d’économies », rappelle-t-elle, soulignant l’enjeu sanitaire et financier.

Pour Pierre-Olivier Donnat, président des CDF, il plaide lui aussi pour une approche globale. « Mais sait-on au moins ce qu’il y a dans la bouche des Français ? Non », souligne-t-il. Cette phrase résume un manque criant : l’absence de données fiables pour piloter la politique de santé orale. Il plaide pour une enquête socio-épidémiologique nationale capable de corréler besoins réels et demande effective, en tenant compte des disparités sociales et territoriales. « Sans indicateurs, nous naviguons à vue. Il faut définir les besoins, fixer des objectifs, mesurer l’écart et financer en conséquence », plaide-t-il.

Il insiste aussi sur la nécessité d’intégrer la santé bucco-dentaire dans les plans globaux de santé publique, au même titre que la cancérologie ou la prévention cardiovasculaire : « Nous avons des registres pour le cancer, pourquoi pas pour la santé orale ? ». Cette approche permettrait d’éviter un système à plusieurs vitesses et de mieux orienter les financements vers les zones et les publics qui en ont le plus besoin. C’est le cas par exemple des besoins liés au vieillissement, notamment pour le quatrième âge, où les besoins sont massifs mais la demande faible, faute d’information ou de mobilité.

Accès aux soins et prévention
Si le 100 % santé a marqué une avancée indéniable, il ne suffit pas à gommer les fractures persistantes dans l’accès aux soins bucco-dentaires. Séverine Salgado, directrice santé à la Mutualité Française, rappelle que les complémentaires sont désormais le premier financeur du secteur (45 % des dépenses), devant l’Assurance maladie (40 %). « On ne peut pas intensifier cette dynamique sans une réflexion globale sur le modèle », alerte-t-elle. Entre 2019 et 2023, leurs prises en charge ont bondi de 4,7 à 6,8 milliards d’euros, sur fond de hausse du ticket modérateur. Une mécanique « qui atteint ses limites ».

Pour Catherine Simonin (France Assos Santé, qui regroupe des associations de patients), le problème ne se résume pas au coût affiché. Elle met en lumière les restes à charge cachés : déplacements, stationnement, actes hors nomenclature, « qui peuvent atteindre 2 000 € par an pour une personne en affection longue durée ». « Ces coûts invisibles entraînent des renoncements aux soins, et la chirurgie dentaire est la première à passer à la trappe », et d’insister sur la nécessité d’un « rendez-vous annuel obligatoire », non seulement pour les enfants et les jeunes comme c’est le cas avec M’T Dents mais aussi pour les adultes fragiles : personnes en situation de handicap, patients chroniques, personnes âgées. « Si on veut avancer, il faut un suivi régulier pour tous, pas seulement pour ceux qui ont les moyens ou la bonne information. »

Elle élargit également le débat à la prévention alimentaire : « On parle de taxe soda, mais le vrai combat, c’est le sucre caché dans les produits courants. Le Nutriscore devait être un outil, mais il reste bloqué par les lobbies. »

Un combat partagé par Fabienne Robichon, présidente de l’URPS Île-de-France (FSDL), qui dénonce « une erreur de paradigme ». Pour elle, « la priorité n’est pas d’augmenter la production de prothèses mais de renforcer la prévention systémique, en agissant sur l’alimentation et la lutte contre le sucre dès l’école ». Elle distingue accès et recours. « Le frein n’est pas seulement financier. Il y a la peur, le manque de connaissance, et des lobbies puissants qui entretiennent de mauvaises habitudes. » Elle pointe aussi la concentration des centres dentaires dans des zones déjà saturées, avec une suractivité prothétique.

Sécurité et traçabilité
La question de la sécurité des dispositifs dentaires a suscité des échanges nourris, révélant un équilibre délicat entre exigences réglementaires, transparence pour les patients et contraintes économiques. Julien Laupie, secrétaire général de l’ADF, souligne la complexité du débat : « La prothèse d’importation, c’est un sujet de souveraineté industrielle autant que de santé publique. » Selon lui, la pression économique liée au reste à charge zéro pousse certains praticiens vers des produits étrangers, sans preuve d’impact sanitaire.

« Tout produit mis sur le marché en France et en Europe doit respecter les mêmes exigences de sécurité et de performance », rappelle Pascal Di-Donato de l’ANSM. « Si un chirurgien-dentiste importe directement des prothèses, il devient importateur et doit s’assurer du marquage CE, sous peine de sanctions. » À ce jour, l’ANSM n’a pas identifié de risque de sécurité.

« L’État est schizophrène. Il généralise l’accès aux soins, mais oublie les conséquences », relance Julien Laupie. Pour lui, la solution ne peut être uniquement réglementaire : elle doit intégrer une réflexion sur le financement et la pédagogie auprès des patients, en les incitant notamment à vérifier la provenance de leurs prothèses et implants.

Sur la même longueur d’onde, Philippe Veran, président de Biotech Dental, alerte sur la compétitivité : « Nous sommes moins compétitifs que certains pays où le coût fiscal et social est moindre. » Le nouveau règlement européen, plus exigeant, a conduit son groupe à « réduire des gammes et freiner l’innovation », un risque pour la souveraineté industrielle. « Est-ce qu’il restera demain de la prothèse dentaire en France ? » interroge-t-il, appelant à des arbitrages politiques pour éviter la désindustrialisation.

Abdel Aouacheria, vice-président de La Dent Bleue, qui représente les patients du secteur dentaire, met en garde contre la tentation de simplifier les normes pour résoudre l’équation : « Alléger la bureaucratie, oui, mais alléger les normes, est-ce que ça ne revient pas à retirer la ceinture de sécurité ? »

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