Qu’est-ce qu’une compétence ?

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  • Publié le . Paru dans Biomatériaux Cliniques n°2 - 15 octobre 2018
Information dentaire
Voilà cinq années que les derniers textes concernant la création du Diplôme de formation approfondie en sciences odontologiques (DFASO) et du 3e cycle court ont été publiés. Nous avons fini de les mettre en œuvre il y a deux ans.

Le temps est venu de faire le point sur ces réformes et sur leurs effets :
– la formation des futurs odontologistes est-elle plus cohérente ?
– les étudiants sont-ils mieux formés ?
Mieux préparés à exercer leur métier en acteurs de santé responsables ?
Il est difficile de répondre à ces questions.
Cependant, il existe souvent un écart persistant entre :
– notre appréciation « subjective » des étudiants dans leur activité hospitalière, assez généralement positive ;

– leurs performances trop souvent limitées dès qu’ils sont mis face à la nécessité d’échafauder un raisonnement clinique, que ce soit dans leur activité de soin ou en situation d’examen dans le cas du Certificat de synthèse clinique et thérapeutique (CSCT), conçu, ne l’oublions pas, pour vérifier leur aptitude à raisonner et, donc, à exercer l’odontologie en autonomie.

Le CSCT devant identifier la capacité de l’étudiant à raisonner en situation authentique, nos étudiants ont-ils développé cette capacité ? Les dispositifs pédagogiques que nous leur proposons leur permettent-ils de la développer ? L’organisation du CSCT permet-elle de l’évaluer ?
Que nos étudiants construisent des compétences pendant leur formation est évident ; que nos formations soient conçues et organisées dans cet objectif est beaucoup moins certain. Avons-nous défini les compétences que devraient avoir développées nos étudiants en fin de formation ? La plupart du temps, non.
Partout en Europe et sur d’autres continents, c’est le cas. Il existe un référentiel des compétences du chirurgien-dentiste proposé par l’Association for Dental Education in Europe (ADEE) et traduit en français. Combien de facultés ont-elles déjà construit des référentiels de formations et mis en place leur formation et leurs évaluations en fonction de ce référentiel ? Très peu.

Au travers de l‘expérience et la démarche que nous menons à Marseille depuis plus de deux ans, je souhaite développer un peu plus ce propos.

La compétence…

Selon Jacques Tardif, la compétence est « un savoir-agir complexe prenant appui sur la mobilisation et la combinaison efficaces d’une variété de ressources internes et externes à l’intérieur d’une famille de situations ».

Cette phrase nécessite quelques explications…
• Savoir-agir : en ayant recours aux acquis scolaires, universitaires ou autres.
• Mobilisation : mobiliser ne signifie pas simplement « se rappeler » ou « évoquer » une ressource pertinente. Les savoirs et savoir-faire sont « transformés » pour être mobilisés.
• Ressources : internes : acquis scolaires et universitaires, expériences, habiletés et centres d’intérêt personnels ; externes : pairs, professeurs, experts, documents, ouvrages, diverses ressources numériques…
• Famille de situations : on ne peut inférer une compétence à partir d’une situation unique

Un exemple de la vie quotidienne : rouler à bicyclette. Compétence partagée par beaucoup d’entre nous.
Comment manifestez-vous cette compétence ?
Je tiens en équilibre, je pédale, je freine, mais aussi, je répare un pneu crevé et je respecte les règles de circulation à deux roues.
Cette compétence ne se limite donc pas à l’un de ses composants.
Elle est globale, contextualisée (rouler à vélo dans la circulation intense des rues parisiennes).
Elle est multidimensionnelle (des connaissances, des habilités, des attitudes, du raisonnement, de la stratégie…).
La compétence s’exprime en situation et elle se construit progressivement.

Pour revenir à la bicyclette, on a commencé à rouler sur un vélo équipé de roues stabilisatrices dans le jardin de nos parents ou dans un parc, puis, un jour, on a enlevé les petites roues, mais papa ou maman nous soutenait, puis on a pu partir sur des chemins de campagne avec des copains et des copines et, aujourd’hui, on roule dans la circulation urbaine aux heures de sortie des bureaux.
 

Construire une compétence prend du temps. Et même si la plupart des adultes roulent à vélo, tous n’ont pas mis le même temps avant d’enlever les stabilisateurs.

Nos études sont organisées essentiellement autour du savoir, supposé transmis aux étudiants qui acquièrent des connaissances. Pendant les travaux pratiques, nous aidons les étudiants à acquérir des habilités.

Ce sont les stages dans les services d’odontologie qui, aujourd’hui, ont la lourde tâche d’être le lieu de construction des « vraies » compétences. Mais quelles compétences ? Avons-nous défini celles que nous souhaitons voir développer et le niveau que nous estimons pouvoir exiger ?

Exemple de parcours de formation basé sur une approche par compétences

A Marseille, nous avons choisi de développer notre propre référentiel de compétences en nous inspirant de ceux de l’ADEE, de l’université catholique de Louvain, en Belgique, et de celui développé par l’association des dentistes canadiens.

Cette démarche APC (approche par compétences) présente d’autres intérêts que celui de réfléchir en compétences plutôt qu’en connaissances, savoir-faire et savoir-être.

Le processus lui-même est intéressant parce qu’il exige une vision partagée par l’équipe pédagogique du « produit fini » attendu et du parcours à mettre en place pour y arriver ; dans le cas de l’approche compétence, le produit fini est le jeune praticien qui vient de terminer ses études et qui a construit les compétences lui permettant d’exercer son métier.

Il faut donc, dès le départ, avoir ou construire une vision du diplômé1.
La démarche débute par un référentiel métier (existant ou à inventer) qui permet de définir le référentiel de compétences (on appelle ça la traduction didactique…).
À partir de ce référentiel de compétences, on bâtit simultanément le référentiel de formation et le référentiel d’évaluation. Enfin, on développe le curriculum2 (maquette + MCC3).
Tout au long du parcours de formation initiale en odontologie, les enseignements et activités d’apprentissage permettront aux futurs praticiens le développement des compétences professionnelles illustrées dans la figure 1.
Tout au long du parcours de formation, les activités pédagogiques seront centrées autour de situations professionnelles, soit simulées, soit en contexte authentique, dans le service d’odontologie auquel chacun des étudiants est rattaché dès la quatrième année des études (DFASO1).

Les compétences se construisent progressivement selon une trajectoire de développement développée dans le tableau 1.

L’évaluation des acquis d’apprentissage

Une compétence est multidimensionnelle : elle résulte à la fois de la combinaison complexe de connaissances et d’habiletés professionnelles et personnelles, et de la mobilisation de ressources internes et externes. Elle n’est pas totalement observable et donc difficilement évaluable, surtout d’un point de vue quantitatif.
C’est la performance des étudiants dans les activités d’apprentissage qui leurs sont proposées qui est observable et évaluable à l’aide de critères appropriés.
De plus, les compétences des odontologistes, comme celles de tout professionnel, se construisent et s’enrichissent tout au long de leur exercice.

Afin de pouvoir attester de la progression des étudiants, un dispositif d’évaluation est mis en place tout au long des études d’odontologie pour évaluer les acquis d’apprentissage ou composants qui témoignent du processus de construction des compétences des futurs praticiens (tableau 2).

Le dispositif d’évaluation ne repose pas uniquement sur des épreuves visant à tester des connaissances.
Comme dans toute approche par compétences, il privilégie l’évaluation formative4 d’une part, ainsi que l’évaluation en situation clinique, simulée ou authentique. La pratique régulière feedback5 en formation, le portfolio6 d’acquisitions des compétences, les jeux de rôle, l’entrainement au raisonnement clinique et à la prise de décision, les travaux pratiques et les stages cliniques renforcent les enseignements académiques.
Ainsi, le diplôme d’État de docteur en chirurgie dentaire (en fin de sixième année) atteste de la capacité des jeunes diplômés à prendre en charge en autonomie les problèmes de santé bucco-dentaire présentés par leurs patients.
Je reviendrai dans le prochain « conseil pédagogique » sur l’évaluation des apprentissages dans une approche par compétences.

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