Questions au… Pr Marie-José Boileau, Présidente du collège des enseignants

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  • Publié le . Paru dans L'Orthodontiste n°5 - 15 décembre 2015
Information dentaire

Comment envisagez-vous l’orthodontie de demain ? et l’orthodontiste de demain ?
Je pense que la place du numérique sera de plus en plus importante dans l’orthodontie de demain tant dans le diagnostic par l’apport de l’imagerie numérique que dans le traitement avec la conception informatisée des appareils, pour une individualisation des prescriptions qu’il s’agisse d’attaches ou de gouttières.
À plus long terme, l’orthodontie bénéficiera de l’intégration des avancées de la recherche biologique. Nous venons de vivre une période d’avancées mécaniques et techniques, je crois que la prochaine évolution marquante sera biologique avec une meilleure connaissance de la croissance, des mécanismes étiopathogéniques pour une meilleure prévention et surtout un contrôle des mécanismes histophysiologiques du déplacement dentaire pour l’accélérer.
L’orthodontiste de demain : je ne sais pas. Y a-t-il un orthodontiste type aujourd’hui ? Je ne le crois pas. Chacun d’entre nous gère son exercice en fonction de sa personnalité et de ses aspirations. J’espère que cette diversité persistera tout en intégrant les avancées dont nous venons de parler.

Quels changements avez-vous vu entre le début de votre exercice et maintenant ?
De très nombreux changements. La pré-information des attaches, les nouveaux fils, le développement de l’orthodontie d’adulte, la multiplication des traitements orthodontico-chirurgicaux et l’arrivée de l’orthodontie numérique.
Mais les fondements essentiels de notre spécialité restent les mêmes : un traitement orthodontique réussi repose, et reposera toujours, sur un bon diagnostic, des objectifs de traitement précis et individualisés, respectueux du parodonte, de la fonction et de l’esthétique et une mise en œuvre consciencieuse des moyens à disposition quels qu’ils soient. Sans oublier, bien sûr, la relation qui se tisse avec nos patients.

Que pensez-vous de la formation actuelle des orthodontistes ?
Je pense que la formation hospitalo-universitaire des étudiants en France, CECSMO hier et DES aujourd’hui, est bonne car elle couvre l’ensemble des facettes de notre spécialité. La qualité des cas présentés en fin de cursus montre que les principes thérapeutiques sont acquis, les techniques maîtrisées et que nos étudiants sont armés pour faire face à quasi-totalité des situations cliniques.

Que pensez-vous de l’internat ? Qu’est-ce que l’internat a apporté de différent par rapport au cecsmo ?
Personnellement, je n’oppose ni ne compare CECSMO et DES. La création du CECSMO par nos aînés, qu’il faut remercier d’avoir gagné ce dur combat, était la réponse adaptée à un besoin de formation spécifique et de reconnaissance de notre spécialité. Aujourd’hui, le contexte a évolué, les modes de vie ont changé, les étudiants sont plus mobiles, l’odontologie s’intègre plus dans les sciences médicales, l’approche orthodontique est davantage pluridisciplinaire, les carrières hospitalo-universitaires doivent s’envisager à temps plein…le DES intègre ces évolutions.
Pour répondre à votre question, je pense que l’internat est une très bonne formation, qui, bien sûr, comme toute nouveauté, doit se roder, trouver ses marques mais nous avons maintenant deux promotions de recul et le bilan me semble très positif. J’ai été très satisfaite de constater lors de l’examen terminal dans notre interrégion que les internes avaient traité une très grande variété de cas, tant sur le plan des dysmorphoses que des moyens thérapeutiques.
Les internes sont très motivés, enthousiastes et très curieux. Leur immersion complète à l’hôpital favorise les échanges avec les internes des autres spécialités odontologiques et médicales, renforçant leur implication dans les traitements pluridisciplinaires et influence leur approche de leur formation. Les staffs et les séminaires les forment mieux à une utilisation pratique et clinique de la littérature professionnelle.

Les internes souhaiteraient faire un stage en cabinet. Qu’en pensez-vous ?
Vous savez que cette question divise les enseignants. Je répondrai donc à titre strictement personnel. Je n’y suis pas favorable pour plusieurs raisons. Tout d’abord, parce que trois ans sont une période déjà courte pour la formation et l’amputer d’un stage de 6 mois, seule modalité pour l’instant prévue dans la maquette, ne me semble pas souhaitable pour le suivi des cas. Étaler ce stage sur une journée hebdomadaire, comme le proposent certains, romprait l’immersion totale des internes dans leur formation et l’homogénéité du groupe et de sa formation.
De plus, si on délègue la formation des internes, même très partiellement, à des maîtres de stage cela cautionnera de facto la formation dans les cabinets dont ne manqueront pas de se prévaloir les praticiens issus des écoles privées ou des DU pour leur qualification.
Enfin, ces stages ne me semblent pas non plus indispensables car les internes ont un cursus de trois ans contre 4 ans et trois mois pour les CECSMO. S’ils consacrent les 15 mois de différence à faire des remplacements ou des collaborations, ils auront une expérience de cabinet au moins égale à celle des CECSMO, sans doute plus bénéfique car ils auront déjà une expérience clinique. Par ailleurs, la réduction du nombre de demi-journées hebdomadaires pourrait laisser la place à une activité en cabinet le samedi. Nous étudions actuellement cette possibilité.

Que pensez-vous des séminaires interfacultés ?
C’est un des atouts de l’internat. En plus du travail personnel demandé à l’interne, ils lui permettent d’écouter des enseignants et des intervenants différents élargissant ainsi les points de vue qui lui sont proposés.
Par ailleurs, ils favorisent les échanges entre les internes des différentes facultés et créent une émulation entre eux qui dynamise l’enseignement.
Je suis personnellement favorable à l’augmentation des séminaires nationaux.

Quelles sont les pistes face au nombre décroissant d’enseignants ?
La mutualisation des moyens par la création justement de séminaires nationaux ou des visioconférences est une piste à mettre en œuvre pour pallier transitoirement le déficit existant.
L’obligation du temps plein pour les enseignants hospitalo-universitaires a indéniablement freiné certaines vocations. De plus, dans la pénurie actuelle, les conditions de travail sont très difficiles pour certains enseignants ce qui ne rend pas la carrière hospitalo-universitaire attractive.
Pour moi, les principales pistes sont hospitalières. Il est nécessaire que les enseignants à temps plein puissent soigner personnellement des patients dans les services, comme le font nos collègues médecins, car la majorité d’entre eux souhaitent continuer d’exercer leur spécialité. D’autre part, il peut être souhaitable de réfléchir au développement des attachés hospitaliers ou à la création d’enseignants hospitaliers temps partiels qui pourraient aider à l’encadrement des internes.
Il me semble aussi nécessaire que certains cessent de dévaloriser le statut de temps plein auprès des jeunes qui souhaiteraient choisir cette voie.

Quelles améliorations pourront être apportées à l’internat à l’avenir ?
L’instauration dans la maquette d’une période de formation théorique et pratique intensive en début d’internat me semblerait utile pour renforcer l’efficacité de la formation clinique ultérieure et harmoniser les connaissances d’étudiants venus d’universités différentes. Même si en pratique elle existe plus ou moins dans les différentes facultés.

Certains internes expriment leur inquiétude face aux écoles privées, aux possibilités de formations à l’étranger. Ces inquiétudes vous paraissent-elles légitimes ?
Elles me semblent tout à fait légitimes. Si vous consultez les publicités pour les formations privées ou certains DU vous pouvez constater que près d’une centaine de places sont proposées par an. Les conditions de recrutement et de formation sont également différentes dans les divers pays européens et la libre circulation autorise les installations en France. La spécialité en France limite le futur exercice professionnel des internes mais ne les protège pas réellement. L’absence d’une visibilité claire de l’avenir de notre profession génère des inquiétudes légitimes après 8 ans d’études et un grand investissement personnel.

Quel message souhaiteriez-vous faire passer à nos jeunes et moins jeunes confrères ?
Même si cela peut paraître très convenu, je leur dirai qu’ils ont choisi un métier formidable qui leur apportera ou leur apporte beaucoup de joies. Mais ils doivent être conscients que notre spécialité traverse des turbulences et que sa défense est de la responsabilité de tous. Par la qualité de ses traitements, ses choix professionnels (installation, modes d’exercice, enseignement…), sa formation continue …chacun peut et doit y participer.
En conclusion, êtes-vous optimiste ? Ce n’est pas le trait principal de mon caractère. Comme je viens de le dire nous traversons une période d’instabilité à plusieurs niveaux : changement des modalités de formation, difficulté de recrutement des enseignants hospitalo-universitaires, multiplication des formations parallèles, départs à la retraite des premiers CECSMO … sur fond de crise économique. Mais je crois qu’une prise de conscience des difficultés est en train de se faire et j’ai confiance dans les capacités des orthodontistes et tout particulièrement de nos internes pour faire face et ramener une certaine sérénité.

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