Les 33 000 étudiants de l’Université Paris Est Créteil (UPEC) se répartissent dans sept Unités de Formation et de Recherche, six Instituts Universitaires, quatre Écoles situées entre le Val-de-Marne, la Seine-et-Marne et la Seine-Saint-Denis, et un Observatoire. Près de 84 % des étudiants travaillent sur le campus des sites de Créteil.
L’UPEC accueille plus de 300 étudiants internationaux (consécutivement aux accords signés avec des universités étrangères : 12 avec l’Afrique, 24 avec l’Asie, 30 avec l’Amérique latine, 256 avec l’Europe et 13 avec l’Amérique du Nord) dont beaucoup n’ont pas eu accès à une filière de soins dentaires dans leur pays d’origine. L’Université possède
notamment une forte communauté chinoise, haïtienne et originaire d’Afrique du Nord. Les étudiants de ces deux dernières communautés souffrent plus fréquemment d’un diabète insulino-dépendant dont on connaît la corrélation avec les pathologies parodontales.
L’UPEC se distingue aussi par un nombre élevé d’étudiants en apprentissage ou d’adultes en reprise d’études. Cette caractéristique se renforce d’année en année1. Or, cette catégorie est fréquemment la plus concernée par l’exercice parallèle d’une activité rémunérée qui est souvent pénalisante pour la bonne réussite de ses études et la prise en charge de sa santé.
Seuls 60 % des étudiants nécessitant des soins sont munis d’une carte Vitale, 40 % n’ont pas de couverture sociale et peuvent éprouver des difficultés à financer leurs soins2, 5 000 sont boursiers dont 50 % de niveau 53.
Face à ce constat, dès 2012, le Service Universitaire de Médecine Préventive et de Promotion de la Santé (SUMPPS) et le Département de Médecine Générale de l’UPEC, les médecins du Collège des généralistes enseignants formateurs de Créteil, le Conseil de l’Ordre des médecins du Val-de-Marne, les Services d’accueil médical initial (SAMI) et les mutuelles étudiantes, ont mis en place « RESUS » : premier réseau de soins universitaire qui s’est plus largement déployé au cours du premier semestre de l’année universitaire 2014-2015.
Le réseau de soins universitaire
RESUS offre aux étudiants l’accès aux médecins généralistes de premier recours et, depuis 2015, aux chirurgiens-dentistes de proximité.
Une permanence de soins après 20 heures et le week-end jusqu’à minuit, leur est ouverte dans l’un des douze SAMI du Val-de-Marne.
Le développement du réseau s’inscrit pleinement dans les orientations générales du schéma régional de prévention (SRP) porté par l’ARS Ile-de-France.
RESUS vise à améliorer l’accès à la santé d’un plus grand nombre d’étudiants, en particulier ceux qui présentent des difficultés financières. L’objectif du réseau est d’assurer une orientation dans le parcours de santé, un accès aux soins facilité et un suivi individuel.
En se référant aux priorités thématiques et populationnelles retenues par l’ARS Ile-de-France, le réseau répond à l’objectif général de « faciliter l’accès et le maintien dans le système de santé des personnes démunies », et aux objectifs spécifiques suivants :
• améliorer l’accès et/ou le maintien aux dispositifs de droit commun de prévention et de soins ;
• améliorer la mise en cohérence et la continuité des prises en charge et des parcours de santé ;
• inscrire ou réinscrire les personnes dans des actions de prévention et de soins – et en particulier intégrer la santé orale (bucco-dentaire…) – dans la prise en charge « globale » des personnes démunies.
Actuellement, le réseau permet des orientations dans le parcours de soins des étudiants pour des prises en charge de premier recours en médecine générale, en santé féminine, en santé mentale et prise en charge des addictions, et pour des soins dans le cadre de la santé bucco-dentaire.
Par ailleurs, une information plus large quant au dispositif a été assurée par le SUMPPS (plaquettes d’information, présentations en amphithéâtre) à la rentrée universitaire, par des campagnes de prévention et des actualités portées sur le site Internet.
Le constat
D’après l’enquête sur l’état de santé des étudiants menée en mars 2014 par la Mutuelle LMDE4 [1], 82 % s’estiment en bonne ou très bonne santé. Mais l’ensemble des études menées par les mutuelles étudiantes en 2015 constate que 15 % des étudiants jugent leur état de santé moins bon en 2015 que l’année précédente. À l’UPEC, depuis quinze ans, on note une grande amélioration de l’hygiène corporelle et de l’estime de soi des étudiants. Le paraître est important et les étudiants sont conscients de la portée du sourire, des dents blanches et bien alignées, dans la séduction, la recherche d’un travail, ou l’image qu’ils ont d’eux-mêmes.
Les données nationales objectivent un accès aux soins moins bon que dans la population générale. Entre 13,2 et 27 % des étudiants déclarent avoir renoncé à consulter un professionnel de santé et/ou à des soins/traitements médicaux pour des raisons financières. Cet aspect sera donc d’autant plus prégnant pour les soins bucco-dentaires jugés onéreux, et pour les traitements bucco-dentaires peu ou non remboursés.
Par ailleurs, seuls 85 % des étudiants possèdent une garantie Mutuelle ou Assurance santé, 15 % n’ont donc pas de couverture complémentaire. Or, une moindre couverture complémentaire traduit une méconnaissance du système de santé. Le coût financier devient un obstacle à l’achat de cette couverture complémentaire, et 52 % n’ont pas de carte Vitale, donc en grande difficulté d’accès aux soins.
Les étudiants plus âgés sont moins couverts. Ce constat vient aggraver la situation des étudiants qui n’ont pas de couverture sociale.
Cet aspect aussi sera d’autant plus marqué pour les soins bucco-dentaires peu remboursés par l’Assurance maladie et dont la prise en charge est parfois plus importante par les couvertures complémentaires.
Dans le cadre des Mutuelles étudiantes, les garanties dentaires ne sont jamais très élevées.
Dans certaines filières de l’UPEC (comme en faculté de médecine où l’on compte moins de boursiers), les étudiants consultent assez facilement. Ces étudiants sont souvent issus d’un milieu socio-économique plus élevé. Les comportements à risque y sont parfois plus fréquents (alcool, tabac, cannabis).
Le renoncement aux soins pour raisons financières est plus important parmi :
– les femmes, or 62 % des étudiants de l’UPEC sont des femmes ;
– les étudiants les plus âgés, ou âgés de 23 à 25 ans, or 33 % des étudiants de l’UPEC ont plus de 25 ans, 8 % ont plus de 35 ans ;
– les étudiants vivant seuls5, issus de classe populaire, d’origine étrangère, or 15,65 % des étudiants de l’UPEC6vivent en dehors de leur famille.
– les étudiants de l’UPEC étrangers qui se retrouvent souvent dans des situations dramatiques. Ils n’ont accès au droit à une bourse d’études qu’après quelques années de résidence en France. Seuls, ils rencontrent des difficultés à s’organiser pour des raisons linguistiques ou culturelles. Ils éprouvent notamment d’importantes difficultés à constituer les dossiers administratifs pour obtenir une couverture sociale. Si certains réseaux leur viennent en aide, ils ont parfois à réaliser en contrepartie des tâches ménagères pénalisantes pour la bonne réussite de leurs études et la prise en charge de leur santé.
Cette population souffre aussi d’un manque de soins dans leur pays d’origine. Elle arrive en France avec un déficit de son état bucco-dentaire ; dents cariées, absentes, fracturées, infectées.
Or, au niveau national, le recours au chirurgien-dentiste correspond au deuxième motif de consultation d’un professionnel de la santé par les étudiants(tableau 1).
Face à ce constat, RESUS s’est ouvert aux soins dentaires.
Au SUMPPS de Créteil, les étudiants de l’Université peuvent consulter un chirurgien-dentiste. La présence d’un professionnel de la médecine bucco-dentaire offre ainsi la possibilité de réaliser des dépistages et de recevoir des conseils à l’hygiène orale. Depuis septembre 2015, deux externes en sixième année d’études en odontologie de l’Université Paris Descartes assurent avec le chirurgien-dentiste du SUMPPS l’accueil dentaire des étudiants sur les sites de Créteil et de Vitry. Le SUMPPS organise aussi plusieurs fois dans l’année des campagnes de préventions médicales. Les chirurgiens-dentistes y sont intervenus deux fois en 2015-2016 pour questionner les étudiants sur leurs habitudes de brossage, leur prise alimentaire et pour leur apporter des conseils d’hygiène orale.
Les premiers résultats
Du 1er septembre 2015 au 15 mai 2016, 533 étudiants ont été dépistés à Créteil et à Vitry. Sur la même période, le nombre d’orientation dans le réseau RESUS dentaire s’élève à 577.
Près de 11 % des étudiants dépistés sont orientés dans le réseau RESUS dentaire. Les motifs d’orientation sont présentés dans le tableau 2.
Ces consultations ont aussi permis de relever des conduites à risque : alcool, tabac, cannabis et mauvaises habitudes alimentaires impactant l’état bucco-dentaire des étudiants. Ces comportements orientent les messages de prévention bucco-dentaire. C’est pourquoi les campagnes de prévention de l’année 2016 ont axé leur action sur ce dernier item.
L’alimentation (avec la santé) est le premier poste budgétaire à être négligé par les étudiants en cas de difficultés financières.
Sur le plan national, 61 % des étudiants estiment avoir une alimentation équilibrée. À l’UPEC8, l’étude portant sur les étudiants questionnés venus consulter le SUMPPS de l’UPEC du 1er septembre 2015 au 15 mai 2016 objective que :
– 83 % estiment avoir une alimentation équilibrée ;
– 42,75 % disent grignoter ;
– 27,81 % déclarent consommer des boissons sucrées ;
– 33,08 % sautent des repas, 30 % le petit-déjeuner.
Les troubles du comportement alimentaire sont rapportés par l’ensemble des intervenants interrogés au SUMPPS. Ils se manifestent chez les étudiants qui se nourrissent trop ou pas assez. Pour autant, très peu d’étudiants souffrent d’anorexie ou de boulimie.
L’absence de prise de petit-déjeuner est expliquée par un défaut d’appétit ou par un manque de temps, certains – notamment les étudiants sur le site de Vitry –devant se lever très tôt en raison de la durée importante de leur trajet. Les repas de midi sont constitués de sandwichs, de salades, accompagnés de sodas achetés à proximité de l’Université (il n’y a aucun distributeur d’eau à l’UPEC).
Souvent, l’emploi du temps, ne leur permet pas de manger à horaires fixes.
Enfin, le restaurant universitaire alimente des critiques.
On retrouve à l’UPEC une population d’étudiants en surpoids non négligeable, plus conséquente que dans les facultés parisiennes et dépendante du milieu social.
À noter que de nombreuses études9 font apparaître une corrélation entre les désordres alimentaires et l’utilisation des réseaux sociaux. Ceci touche particulièrement la population estudiantine.
L’évaluation du dispositif
Le dispositif RESUS est analysé de la manière suivante :
• Réalisation d’une évaluation à l’aide d’une étude observationnelle s’intéressant aux profils des étudiants ayant recours à RESUS et à leurs besoins réels en matière d’accès à la santé afin d’adapter le fonctionnement du dispositif pour mieux répondre aux besoins des étudiants.
• Analyse des fiches de dysfonctionnement que les professionnels peuvent remplir et renvoyer au SUMPPS lorsque les étudiants ont consulté un professionnel de santé.
• Organisation d’une réunion d’évaluation (information, retours d’expériences, analyse des fiches de dysfonctionnement, présentation du résultat de l’évaluation, échanges quant aux adaptations / évolutions envisagées, etc.).
• Évaluation des stagiaires odontologistes par les feuilles de présence, la rédaction d’un mémoire de stage, la validation de ce mémoire par le tuteur du SUMPPS et son directeur, et du tuteur universitaire, la présentation orale de ce mémoire au cours du mois de juin devant un jury composé d’hospitalo-universitaires.
Les perspectives
Le circuit des consultations médicales de prévention doit intégrer la médecine bucco-dentaire. Les conseils apportés aux étudiants consultant le SUMPSS nécessitent d’alerter les consommateurs de tabac, d’alcool ou de drogue sur les risques de dégradation de leur état bucco-dentaire. Les plus précaires, sans couverture sociale, peuvent être orientés vers la Permanence d’Accès aux Soins de Santé (PASS) bucco-dentaire de l’Hôpital Henri Mondor. Les autres doivent être aidés pour intégrer le parcours habituel de santé, mais leur prise en charge doit accorder une place importante aux conseils en termes d’équilibre alimentaire.
Face aux faibles budgets et à la négligence de la santé dentaire des étudiants, le recours au tiers payant et aux aides sociales permet de faciliter les prises en charge pluridisciplinaires dans le réseau RESUS. Les laboratoires pharmaceutiques peuvent aussi contribuer à la distribution d’échantillons de matériel d’hygiène orale au cours des campagnes de prévention qui doivent aller au contact de l’étudiant sur son lieu universitaire. Mais la prévention et le dépistage répondent bien plus à l’intérêt de santé lorsqu’ils sont couplés à un réseau de soins ; l’étudiant qui a des besoins en soins dentaires doit pouvoir être orienté vers une structure d’accueil. Dans ce contexte, l’expérience du réseau RESUS dentaire devrait s’étendre aux autres universités.
Notes
1. UPEC Rapport d’activités 2014.
2. Etude SUMPPS sur l’année 2015-2016, sur les étudiants ayant consulté le service.
3. Sur le plan national, selon l’enquête nationale sur la santé des étudiants de la LMDE de 2014, 57 % des étudiants boursiers se situent entre les échelons 0 et 2 sur 7 niveaux de bourses adaptés aux revenus et aux personnes à charge.
4. LMDE. 4e enquête nationale sur la santé des étudiants. État de santé des étudiants en France. Paris 2014.
5. D’après l’enquête de mars 2014 de la LMDE sur le mode d’habitat : 41 % cohabitants avec parents / 59% décohabitants.
6. Ayant consulté le SUMPPS du 1er septembre 2015 au 15 mai 2016.
7. À noter : au cours des six premiers mois de l’année 2015, 8 étudiants avaient pu être orientés vers le service d’odontologie.
8. À noter : un biais de ce résultat repose sur l’aspect déclaratif des étudiants et la multiplicité des intervenants dans la saisie des données. De plus, il n’est pas indiqué que tous les professionnels attribuent la même définition
au « grignotage », ou à « une alimentation équilibrée ».
9. Sidani JE et col. The association between social Media Use and eating concerns among US young adults. J Acad Nutr Diet 2016 ; 116 (9) : 1465-1472.
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