Retour à la nature

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  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire n°3 - 27 janvier 2021 (page 60-65)
Information dentaire

Sur quelle planète vivions-nous, avant de nous apercevoir qu’une pandémie pouvait la rendre si petite et si ouverte à tout vent qu’il nous faille d’urgence la mettre sous cloche ?

Après des décennies d’indifférence, le réveil est brutal et le constat sans appel : notre vision d’une société globalisée nous a complètement fait perdre de vue les interactions de notre écosystème, sinon l’idée même de nature. Il aura fallu que le libre accès aux espaces naturels nous soit interdit pour que nous ressentions à quel point ils nous sont essentiels. C’est là que nous allons respirer, nous ressourcer et fuir un monde urbain soudain jugé artificiel et délétère, où nul en tout cas ne souhaite rester confiné. Jamais encore, au XXIe siècle, le refuge de la campagne n’a été aussi aspirationnel et recherché, annonce d’un changement de paradigme, d’un rapport à la nature en train de se modifier. On peut voir dans ce sursaut un réflexe tardif de défense face une mégapolisation fatale.Mais peut-être aussi, sans béer aux sirènes du monde « d’après », une confuse recherche du paradigme perdu, celui d’avant, de bien avant, quand l’homme et la nature vivaient dans une bonne intelligencequi devenait peu à peu intelligible. Quand, au fil de siècles de compréhension tâtonnante, les phénomènes naturels se voyaient dégagés de l’ombre et de l’obscurantisme, tant par les sciences naturelles que par les philosophies de la nature. Une grande exposition revient à point nommé sur « l’invention de la nature » sous ce double regard, accompagné et réinterprété par celui des artistes. Une très belle occasion de penser avec recul nos notions d’environnement, d’origine, de vie organique, de mutation et de diffusion planétaire, en se réancrant et récréant dans un temps où science et nature suscitaient déjà beaucoup d’agitation polémique et politique, mais surtout beaucoup d’imagination poétique.

Sciences et consciences

Passée l’époque des Grandes Découvertes, c’est au XIXe siècle que l’homme prend vraiment la mesure du monde qu’il habite, quand la masse d’informations convergentes venues de tous les continents lui permet de s’en faire une image globale. Un vertige de perspectives, et un choc psychologique : on ne savait pas la Terre si ancienne, si variée, ni le savoir acquis si précaire et révocable ; encore moins que ces faisceaux de lumières nouvelles pouvaient à ce point bouleverser les représentations.

Le développement des sciences dites exactes, sans précédent, nécessite une vulgarisation auprès d’un public partagé et quelque peu perdu entre émerveillement, incrédulité et inquiétude. Les artistes se font la plaque sensible de toutes ces questions, en particulier de celles que soulève la parution en 1857 de L’origine des espèces de Darwin, dont la théorie de l’évolution révolutionne connaissances et croyances. L’homme n’est plus le centre de l’univers, et sa place au sein du vivant, dans une nature qui le domine bien plus qu’il ne l’ordonne, effraie autant qu’elle inspire. Au rebours d’une tradition millénaire, c’est toute la création du monde qui est à revoir.

C’est bien pourquoi l’exposition prend comme point de départ la révélation qu’il n’est plus ce jardin clos offert à l’homme pour qu’il en jouisse mais une surface sur laquelle il a éclos après bien des tumultes cyclopéens. L’inversion du regard qui en naît propulse au premier rang le paysage : de toile de fond il devient spectacle, dont la contemplation ouvre un abîme de réflexions. Adam et Ève peuvent aller se rhabiller. L’espèce humaine prend soudain un sacré coup de vieux en se découvrant d’étourdissantes fraternités avec ses compagnes de planète, terrestres ou marines, qui – et souvent sous les formes les plus monstrueusement fascinantes – l’ont précédée dans l’arbre de la vie.

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