Signes des Temps…

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Alors que la Cop 21 s’apprête à ouvrir à Paris, il n’a jamais été autant question de « scénarios » pour la planète. Si le terme s’est imposé, c’est que la science elle-même exprime mieux ses projections par le code narratif que par le langage des chiffres.
La force parlante du récit augmente avec le recours à l’image et bien plus encore à la fiction : le film porté par Al Gore, Une vérité qui dérange, ou ceux de Yann Arthus-Bertrand, quoique très efficaces, touchent moins que Le jour d’après ou Melancholia. Il semble préférable de s’adresser à l’imaginaire plutôt qu’à la raison pour entraîner le public à voir le réel, perçu dès lors comme plus « vrai » que la présentation objective de la situation.
Mais la logique conventionnelle du scénario renferme aussi des pièges : la nécessaire vraisemblance de l’hypothèse développée, et le carcan de la progression dramatique classique. En climatologie comme ailleurs, on aura toujours tendance à vouloir retomber sur les pattes du connu.
Et si c’était un « obstacle épistémologique » à la compréhension, comme dit Bachelard, et qu’il faille réinventer jusqu’à la notion même de scénario ? En cet automne climatique, des artistes fraient quelques pistes…

Un rétro-futurisme d’actualité.

Que
serait Paris en 1941 si la manette du progrès s’était bloquée sur
« vapeur toute », en 1870 ? Il faut re-monter le temps pour le savoir et
c’est le défi que deux experts en mondes alternatifs – avec Tardi aux
boulons – se sont lancé. Sous Napoléon V, le constat n’est pas rose :
certes les guerres mondiales n’ont pas eu lieu, mais l’univers mécanique
roule au charbon et à la catastrophe écologique. Électricité, voiture,
radio, avion, ordinateur, rien de tout cela n’existe car les savants
disparaissent tous (y compris Einstein) ; un mystère que la jeune Avril
va tenter de percer, aidée de son grand-père, scientifique allumé mais
au « bon fond »*.
La réalisation de ce film aura pris sept ans,
mais on peut dire qu’il tombe à pic. On le savait depuis H.G. Wells et
Orwell (et les jeux vidéo en vivent très bien), la fiction uchronique
capte étrangement l’air du temps et porte parfois loin la prospective.
En jouant avec la figure du savant fou – fictive au XXIe siècle mais
très interrogeable à celui de la bombe H –, les auteurs trouvent, pour
évoquer des enjeux actuels (manipulations génétiques, pollution
industrielle, déforestation, dérèglements climatiques…) le bon biais et
le ton juste. Leur humour anime le débat, aussi loin du bac de philo que
des litanies de chiffres tombés du ciel.
Sur le plan du style,
c’est un régal de steampunk, forme particulièrement réjouissante du
récit rétro-futuriste où tout fonctionne à la vapeur. Mais cette fois,
on échappe à l’imagerie victorienne de la révolution industrielle, au
profit d’une esthétique résolument « Tardienne ». On retrouve avec
plaisir son Paris composite, continuum atemporel entre la Ville-Lumière,
la cité phare de la Belle Époque et la ville noire de l’Occupation, des
banlieues au charbon, du brouillard au Pont de Tolbiac. Le parti pris
de grisaille et de smog ambiant adopté par les réalisateurs (sauf
contraste) traduit bien le scepticisme de Tardi quant au progrès, et sa
désillusion de peintre de la Commune et des tranchées. Si le révolté
n’est pas trahi, l’inventeur de machines est à la fête : très
documentés, ses décors, ses architectures et ses objets sont dignes de
son imaginaire, élevé dans l’île à hélice de Jules Verne, les machines
volantes de Robida et les volutes de fer d’Horta. En retour, le conteur
est choyé par un script aux ressorts huilés, au rythme haletant et à la
mécanique sans faille. Et puis les acteurs, Jean Rochefort en tête,
n’ont pas prêté que leur voix aux personnages : de l’aveu des
réalisateurs, ils ont infléchi une animation qui a fini par se modeler
sur leur jeu et leur fantaisie. Sur le fond, le propos est malin : il
brasse les questions éthiques (Homme/Machine, Art/Science,
Science/Morale…) avec les questions énergétiques et environnementales
d’un monde « tout charbon » réputé fictif. Mais quand on sait que le
World Energy Concil estime les « réserves prouvées » de charbon capables
de tenir jusqu’à la fin du XXIe siècle, on se demande si la dystopie
imaginée par nos auteurs n’est pas une sombre et crédible perspective.
Le rétro-futurisme a ces malices…
* Selon le mot de Tardi.
Avril
et le monde truqué, film de Franck Ekinci et Christian Desmares,
d’après l’œuvre graphique de Jacques Tardi. Produit par Je suis bien
content et StudioCanal


Je Suis Bien Content / StudioCanal

Et si ?…

Cette
question commune aux uchronistes et aux climatologues, la Fondation
EDF l’a posée à Camille Morineau, commissaire d’exposition : et si on
imaginait autrement le changement de climat ?
En faisant appel à la
vision d’une sélection d’artistes, n’est-on pas assuré de sortir des
graphiques ordinaires ?
Le résultat est partagé comme un mois d’avril,
entre dénonciation lucide des dégâts de l’anthropocène et hymne
optimiste à la beauté du monde.
En 1966 déjà, Yoko Ono avait dirigé vers
le ciel sa caméra ; bien des nuages chargés d’on ne sait quoi y ont
défilé depuis, au point qu’ils constituent ici un thème fédérateur.
Menace pour les uns, production de poésie naturelle pour d’autres, ou
encore promesse de bienfaits, le nuage est une énigme qui en voile une
autre, centrale : qu’est-ce qui est aujourd’hui artificiel ou naturel
dans le climat, dès lors que l’homme crée des nuages toxiques mais aussi
des nuées fertilisantes en zone aride ?
Dans quel sens devons-nous
aller, vers le coup d’arrêt ou l’accompagnement raisonné ?
Pas facile
d’y voir clair, démontre Tetsuo Kondo : la vapeur transparente où nous
grimpons devient opaque en quelques marches, dérobant le sol. L’ordre du
monde nous dépasse, mais ses grands rythmes et nos algorithmes peuvent
s’entendre, semble espérer Ange Leccia qui filme, du haut des falaises
de Nonza, la mer toujours recommencée.
Chris Morin-Eitner paraît plus
radical : le monde serait-il moins beau si la nature le recolonisait,
avec ou sans l’homme ?
Et ses images donnent envie de se survivre… Une
chose est sûre, les lois de l’équilibre sont connues des artistes. Et
si… on les écoutait ?
Climats artificiels – Fondation EDF (ancien Espace Electra) 6 rue Récamier, Paris 7e Du 4 octobre 2015 à fin février 2016


Chris Morin-Eitner, Paris Opéra Garnier Ballet, 2012. Collection de l’artiste

Dans les coulisses du film…
Enfant,
Tardi hantait avec son père les voûtes du Musée des Arts et Métiers,
temple du progrès technique, captivé par ces drôles de machines qui ont
révolutionné le monde. Leurs formes étranges rêvent encore du temps
de leur conception, au point qu’elles rayonnent de poésie même – et surtout – quand on en ignore l’usage.
Juste retour des choses, le musée accueille le dessinateur dans un parcours-découverte de l’univers du film.
En avant-première ou en prolongement, personnages, éléments de décor, storyboard et objets personnels
de Tardi dialoguent avec une sélection d’objets tirés des réserves du musée…
Les petits limiers en vacances vont pouvoir mener l’enquête sur les traces d’Avril :
un jeu interactif a été spécialement machiné pour eux !
Avril et le monde truqué : Enquête au musée, exposition autour du film au Musée des Arts et Métiers
Jusqu’au 6 mars


Vaughn Bell, Green, 2008. Collection de l’artiste

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