Tous déchaînés

  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire n°21 - 26 mai 2021 (page 70-73)
Information dentaire

Tous les marins le savent, l’accalmie paraît sur l’instant aussi soudaine et inexplicable que la tempête. Ce n’est qu’avec le recul de son répit que se comprend l’enchaînement des phénomènes expliquant le déchaînement des éléments et l’avènement du retour à l’ordre. Déchaînement, enchaînement, ces deux mots ont borné notre existence depuis un an. Nous avons de nous-mêmes, comme un équipage dans la tourmente, enchaîné les épisodes et les gestes réflexes dans l’espérance d’en sortir, veillant au grain, attendant qu’il passe, tenant bon en courbant la tête et en enflant le dos. C’est très mauvais pour le dos et pour la tête, tous les kinés et les psys le diront. Aussi se sent-on porté, comme le chorégraphe Boris Charmatz, à les redresser un grand coup, à les libérer des toxines accumulées sous la contrainte et à faire corps de nouveau, ensemble. Mais aussi à regarder avec un intérêt avivé – et d’un autre œil, pour nous être trouvés précipités dans celui du cyclone – cette fascination traduite par les peintres pour la tempête et les assauts furieux de la nature.

Avis de tempête

Baromètre des ressentis du temps, Boris Charmatz avait capté le besoin collectif de faire symboliquement cercle face à l’inédite et pénible distanciation physique. Pour la clôture du Grand Palais avant travaux, il avait imaginé sous sa nef une «Ronde», inspirée de celle d’Arthur Schnitzler et de sa chaîne brassant à la fois les corps, les milieux et les germes, spectacle enregistré sans public en janvier mais diffusé sur France 5 le 12 mars dernier*. Très logiquement son nouvel opus, accueilli par le Grand Palais Éphémère de Jean-Michel Wilmotte installé sur le Champ de Mars et ouvert à tous, reflète l’évolution de la situation : à défaut de célébrer encore un dénouement véritable, il desserre du moins des nœuds, brise métaphoriquement des chaînes.

Cette étape du dé-chaînement est pour lui le temps où peut – et doit – se disperser avec une force libératrice la somme de toutes les peurs, frustrations, replis psychiques et somatiques. D’où son titre de Happening Tempête et ses 150 performeurs, dont de grands noms de la danse, à l’œuvre durant trois heures. « Sans que les corps ne se touchent, dit le chorégraphe, j’ai tout de même envie que nous arrivions à toucher à une forme de tempête ! Une tempête intérieure, une tempête mentale, une tempête sur place, mais une tempête tout de même. » C’est le propre de cet art de pouvoir éloquemment ici hurler en gestes sa colère et sa saturation, crier bouche close son refus du renoncement, secouer la terreur qui fait se terrer, rejeter à la mer la pieuvre du doute et les paquets de pluie acide des vagues d’incertitude, de moratoires et d’espoirs douchés. Toujours et partout, de l’exorcisation au charivari ou au Haka, la danse conjure la menace, repousse le joug, méprise la crainte, célèbre la force de l’unité.

Pour l’instant, Boris Charmatz tempête contre l’adversité pour la tenir à distance. Souhaitons qu’il nous…

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