Ce sommeil qui a tant à dire
Si ce que l’on marmonne en dormant reste obscur et inintelligible, ce que dit du sommeil l’exposition que lui consacre le Musée Marmottan est d’une claire intelligence. Pour cause : la neurologue et historienne des sciences Laura Bossi l’a savamment agencée sur la base de ses recherches, en dialoguant avec la directrice des collections. Partant du postulat que tout le monde dort – même les insomniaques – et consacre au sommeil un tiers de sa vie, elle analyse ce phénomène sous toutes ses facettes à travers les représentations qu’en donne l’art depuis l’Antiquité, et notamment dans un long XIXe siècle étiré sur ses marges. On dort beaucoup dans les récits mythologiques et bibliques où les artistes puisent leurs sujets, comme dans la littérature en général dès avant les explorations de la psychanalyse ou du surréalisme. Mais pas toujours à poings fermés ni du sommeil du juste, visiblement. Certes on rencontre nombre de paisibles siestes, d’innocents assoupissements et autres situations où, gagné par la fatigue, l’ennui ou la douce quiétude, on en écrase ferme. C’est là le bon sommeil, où l’on ne peut que tomber, contre lequel il est d’autant plus vain de lutter qu’il est nécessaire, impérieux, réparateur des forces et consolateur des tourments.
Peintres et sculpteurs trouvent intérêt à saisir ici, souvent d’émouvante façon, le modelé des corps inconscients, ou leur démodelé dû à cet état de relâchement physique qui à la fois mime la mort et s’en distingue, subtile démarcation qui d’évidence stimule leur talent. Atonie, membres épars, tête basculée, yeux clos, bouche figée : malgré les similitudes on est là dans l’observation clinique des postures naturelles dues au sommeil chez les vivants. Mais puisque Thanathos a déjà ses entrées dans la place, il faut quitter toute innocence : Nyx, sa mère déesse de la Nuit, a aussi engendré Hypnos…