Protocole de réalisation par cfao directe de facettes palatines avec crochet vestibulaire

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  • Publié le . Paru dans Biomatériaux Cliniques n°2 - 15 octobre 2018 (page 78-84)
Information dentaire
Lors de l’atteinte érosive des dents antérieures, la restauration des faces palatines et du bord libre peut se faire, en fonction de l’étendue de la perte de substance, à l’aide de composites directs ou de facettes. Cet acte est souvent associé à une réhabilitation globale et/ou à la réhabilitation des faces vestibulaires des dents (technique « bilaminaire » décrite par Francesca Vailati). L’arrivée récente sur le marché de blocs de composite usinable destinés au monde de la CFAO nous apporte de nombreux avantages qui nous poussent à privilégier ces matériaux pour ce type d’indication. Les surfaces d’assemblage ne présentant pas d’élément naturel de stabilisation, il est indispensable de créer un artifice permettant un repositionnement unique de la facette sur la surface palatine de la dent restaurée. Nous allons décrire ici la réalisation, par CFAO directe, de facettes palatines en composite usinable, munies d’un crochet de repositionnement vestibulaire.

INDICATION GÉNÉRALE DES FACETTES PALATINES

L’indication de facette palatine est motivée par la présence d’une perte de substance intéressant une grande partie de l’émail palatin, voire de la dentine des incisives et canines maxillaires. De plus, ce type de restauration permet de restaurer un guidage incisif lors des mouvements fonctionnels de l’appareil manducateur, en particulier lorsqu’une augmentation de Dimension Verticale d’Occlusion (DVO) est décidée. Dans certains cas, la perte de substance intéresse également le bord libre des dents érodées. La facette palatine jouera alors le rôle supplémentaire de restauration de l’esthétique antérieure et d’appui lingual ou labial lors de la phonation (prononciation du « f » et du « s », par exemple). La réalisation de facettes palatines permet aussi le soulagement des sensibilités occasionnées par ces érosions.

RÈGLES DE PRÉPARATION

Les facettes palatines sont des restaurations très peu invasives. La limite est quasiment déjà préparée par la lésion érosive ; nous aurons à aménager celle-ci en congé par simple élimination des prismes d’émail non soutenus, à l’aide d’une fraise de faible granulométrie (bague rouge ou bague jaune) (fig. 1).

ILLUSTRATION À TRAVERS UN CAS CLINIQUE

La patiente, âgée de 59 ans, présente une érosion marquée (classe III de la classification ACE) des faces palatines de ses deux incisives centrales (fig. 2a). Elle se plaint de sensibilités importantes au niveau de ces incisives et souhaite corriger la différence de niveau du bord libre de 21 (fig. 2b).


L’atteinte est ici essentiellement érosive, associée à un reflux gastro-œsophagien traité et contrôlé depuis plusieurs années. Aucune perte de DVO n’est à déplorer chez cette patiente, et seules les faces palatines des incisives centrales maxillaires nécessitent une prise en charge. La réalisation de facettes vestibulaires n’est donc, dans le cas présenté, pas nécessaire. L’occlusion d’intercuspidie maximale (OIM) est de type bout à bout incisif avec une très faible inocclusion au niveau de 11 et 21 due à l’érosion de la face palatine et du bord incisal de ces dents.
L’indication de facette palatine étant posée, nous nous heurtons à un problème récurrent dans les cas d’érosion sévère au niveau incisivo-canin : le bord libre des dents à restaurer est très souvent en « lame de couteau ». Cela représente un obstacle majeur à la réalisation d’une facette palatine avec crochet vestibulaire réalisée par CFAO. En effet, l’usinage de l’intrados de la restauration se fait à l’aide d’une fraise dont le diamètre à l’extrémité est plus important que la largeur du bord libre. Cela ne permet donc pas d’usiner une telle forme sans « sur-usinage », ce qui compromettrait l’adaptation de la facette à ce niveau (fig. 3).
L’astuce consiste à élargir provisoirement le bord libre des dents à restaurer, de façon à permettre l’usinage de l’intrados sans créer de défaut d’adaptation à ce niveau. Pour cela, notre choix se porte sur l’utilisation d’une résine photopolymérisable de couleur bleue pour une différenciation aisée (Notre Dam – Elsodent, Kool Dam – Pulpdent). Le caractère thixotropique du matériau facilite sa mise en place.
Après avoir éliminé les tissus infiltrés, un léger congé périphérique est réalisé en palatin. Pour assurer un meilleur maintien en place de la résine bleue, un adhésif amélo-dentinaire universel (One Coat 7 – Coltène, G PremioBond – GC ou Adhese Universal VivaPen – Ivoclar Vivadent) est appliqué sans traitement de surface et photopolymérisé pendant dix secondes (fig. 4).

La résine bleue est ensuite mise en place sur les faces vestibulaires des dents à restaurer, au niveau du bord libre, en prenant soin de ne venir recouvrir ni le bord libre, ni la face palatine des dents (fig. 5a, b). La forme de l’ajout de résine peut éventuellement être ajustée à l’aide de disques abrasifs (Sof Lex Pop On – 3M) (fig. 6). Nous veillons à ne pas réduire l’épaisseur de l’ajout en dessous de 1,2 mm, ce qui correspond au diamètre minimum de la majeure partie des fraises utilisées par les différents systèmes de CFAO directe (fig. 7).
Les empreintes optiques peuvent alors être réalisées (Cerec AC Omnicam – Dentsply Sirona) (fig. 8). Le tracé des limites vient recouvrir l’ajout de résine bleue sur la face vestibulaire, dessinant une forme de crochet à cet endroit (fig. 9a, b). La modélisation de l’anatomie palatine des facettes se fait d’après une base de données « biogénérique » (fig. 10). Les contacts d’occlusion sont ajustés à ce stade pour permettre un guidage antérieur des mouvements fonctionnels. La patiente étant en bout à bout incisif, il n’a pas été nécessaire d’ajuster l’épaisseur des facettes palatines pour restaurer un guidage antérieur. La modélisation des crochets se fait par adjonction de matériau au niveau du bord incisif et de la face vestibulaire des facettes (fig. 11a, b).
Pour l’usinage des restaurations, le point de séparation – dernier élément à être usiné qui maintient la restauration au bloc – est positionné sur la face palatine des facettes. Ceci permet de limiter les phénomènes de résonance susceptibles de se produire lors de l’usinage d’éléments de fine épaisseur, diminuant ainsi le risque de fracture de la restauration pendant l’usinage (fig. 12).
Les restaurations sont usinées à l’aide d’une machine-outil à commande numérique (MCXL Premium – Dentsply Sirona) dans un bloc de composite (Cerasmart – GC, Tetric CAD – Ivoclar Vivadent, Brillant Crios – Coltène) ou de matériau hybride (Enamic – Vita). Ces matériaux innovants présentent plusieurs avantages dans ce type d’indication : comportement biomécanique, usinabilité dans de très fines épaisseurs avec très peu d’écaillage (chipping) aux limites. L’extrados peut être soit poli mécaniquement, ce qui s’avère peu aisé devant la finesse de l’élément prothètique, soit glacé à l’aide d’un composite de glaçage photopolymérisable (Optiglaze Color – GC) (fig. 13) ; cette seconde option limite considérablement le risque de fracture des facettes à cette étape.
Le protocole de collage respecte les recommandations du fabricant en ce qui concerne le traitement de surface de l’intrados de la restauration : sablage à l’alumine de 50 µm de granulométrie pour les composites (Cerasmart, Brilliant Crios, Tetric CAD) (fig. 14) ou application d’acide fluorhydrique à 5 % pendant une minute pour les matériaux hybrides (Enamic). L’application d’un « primer » (G-Multi Primer – GC, One Coat7 – Coltène, Monobond Plus – Ivoclar Vivadent, Vitasil – Vita), mélange de silane et d’autres molécules réactives (4-Meta, MDP), permet d’augmenter les forces d’adhésion de la colle composite utilisée à l’intrados de la restauration. Ce « primer » est laissé au contact de l’intrados prothétique pendant au moins une minute.
Pendant ce temps, la digue est mise en place isolant les six dents antérieures (ici, de 14 à 23). Cette action est facilitée par l’utilisation de petits crampons (W00 – Hygenic) ne masquant pas le collet palatin des dents à restaurer (fig. 15a). Les surfaces dentaires sont préparées par sablage à l’alumine de 27 µm de granulométrie (SD Etch’Air – SD2, Rondoflex – Kavo) (fig. 15b). Elles sont ensuite mordancées à l’acide orthophosphorique à 38 % pendant quinze secondes (fig. 15c). Après rinçage et séchage doux, un adhésif amélo-dentinaire universel (G-Premio Bond – G1C, One Coat 7 – Coltène, Adhese Universal – Ivoclar Vivadent, Scotch Bond Universal – 3M) est appliqué par frottement (fig. 15d) puis photopolymérisé. Le choix d’un adhésif amélo-dentinaire universel est motivé par l’utilisation d’un adhésif dit de dernière génération, avec de très bons résultats de valeur d’adhésion et une compatibilité garantie avec la colle composite recommandée par le fabricant.
Pour faciliter la manipulation des facettes, celles-ci sont fixées à des tiges « collantes » (Optra Stick – Ivoclar Vivadent, Pick N Stic – Pulpdent, Stick n’place – Directa Dental). L’intrados est minutieusement séché pour permettre l’évaporation des solvants résiduels contenus dans le « primer » et pour éliminer l’eau créée par la réaction chimique du silane avec la silice contenue dans les charges du composite ou la matrice céramique des matériaux hybrides. La colle composite (DuoCem – Coltène, RelyX Ultimate – 3M, Variolink Esthetic – Ivoclar Vivadent) est alors appliquée dans l’intrados (fig. 16).

La mise en place des facettes est guidée par le crochet vestibulaire qui garantit le parfait repositionnement de la restauration sur la dent. Comme dans ce cas clinique les points de contact proximaux ne sont pas restaurés par les facettes, la mise en place de matrices isolant les dents les unes des autres ne gêne pas l’insertion des facettes et permet d’éviter la fusée de colle composite sur les dents voisines au moment de la mise en place des restaurations (fig. 17).

Après élimination des excès de matériau d’assemblage à l’aide d’un pinceau à usage unique, la colle composite est photopolymérisée pendant vingt secondes à 1 200 mW/cm2. Les résidus de colle sont ensuite éliminés à l’aide d’une lame de bistouri n° 12. Un gel de glycérine est alors appliqué sur les joints de collage et une seconde photopolymérisation de quarante secondes à 1 200 mW/cm2 est effectuée. Après retrait de la digue, les crochets sont supprimés à l’aide d’une fraise multilames sur turbine (H 135 Q – Komet). Cette étape est grandement simplifiée par la couleur bleue de la résine appliquée en début de séance sur les faces vestibulaires (fig. 18).



Les finitions sont réalisées par polissage des limites. L’ajustage des bords libres permet de corriger la différence de longueur des deux incisives centrales. La faible inocclusion initiale s’en trouve comblée sans qu’il y ait besoin d’effectuer une coronoplastie mandibulaire. Le polissage final des faces palatines et vestibulaires est ensuite effectué à l’aide de polissoirs caoutchoutés de granulométrie décroissante (Optrafine – Ivoclar Vivadent, Twist Polishers – Meisinger, Compoline Spiral – Komet). Le résultat final montre une très bonne intégration esthétique de la restauration du bord libre de 21 (fig. 19).

La durée totale du traitement aura été de l’ordre d’une heure et demie, répartie comme suit :
– anesthésie loco-régionale, application de la résine bleue, préparation des dents : 15 minutes ;
– empreinte optique, modélisation des facettes palatines : 10 minutes ;
– usinage des facettes palatines : 10 minutes. Le cabinet dans lequel ces soins ont été réalisés étant équipé de deux machines-outils à commande numérique, les deux facettes ont été usinées simultanément ;
– essayage, finitions et traitement de surface des facettes avant assemblage : 10 minutes ;
– mise en place de la digue : 5 minutes ;
– traitement de surface des surfaces dentaires : 5 minutes ;
– assemblage des deux facettes : 15 minutes ;
– dépose de la digue, finitions, contrôles occlusaux : 10 minutes.

Lors de la visite de contrôle à une semaine, la patiente nous fait part de son entière satisfaction concernant le résultat esthétique et d’un soulagement immédiat des sensibilités au niveau des dents traitées.

CONCLUSION

La maîtrise des outils de CFAO dentaire permet d’adapter le protocole clinique à des situations complexes tout en ouvrant la voie à l’utilisation de nouveaux matériaux, plus performants. Cette technique met en avant un des intérêts de la CFAO directe, puisque l’ensemble du traitement est réalisé en une seule séance. En effet, il n’est pas envisageable de laisser en place la résine bleue apposée sur les faces vestibulaires dans le cas d’un traitement semi-direct (réalisé en deux séances).

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