« Be Additive » – Rencontre avec Pascal Magne

  • Publié le . Paru dans Biomatériaux Cliniques n°2 - 15 octobre 2018 (page 96-99)
Information dentaire
Pascal Magne et Francesca Vailati sont les initiateurs de ce slogan. Nous les avons donc interrogés pour en savoir plus sur leur conception de la « dentisterie additive ». Dans cette première partie, Pascal Magne expose la sienne. Dans une seconde partie, à paraître dans le prochain numéro de BMC, Francesca Vailati répondra aux mêmes questions, pour poursuivre la discussion.

BMC : Que signifie le slogan « Be additive » ?

Pascal Magne : Le façonnage de formes dentaires peut se faire de deux façons : par ajout de matériel ou par soustraction. L’enseignement classique de la morphologie dentaire utilise des blocs en cire et les étudiants doivent « extraire » du volume de cire la dent naturelle. Cet enseignement était parfaitement adéquat au temps des obturations en amalgame, qui étaient façonnées de façon « soustractive ». Avec l’avènement des restaurations adhésives, les résines composites sont façonnées de façon « additive » par ajout incrémental sur la dent. Le nouvel enseignement de la morphologie dentaire doit donc suivre cette évolution avec des exercices de cires diagnostiques par addition progressive sur les modèles d’étude du cas.
Mais le concept additif est bien au-delà d’une technique diagnostique ou d’un enseignement de morphologie. Il s’agit bien de prendre en compte les volumes d’émail et de dentine perdus avant le traitement. Je pense que le concept est parfaitement illustré avec les cas de facettes en céramique qui ont longtemps été approchés sans tenir compte des volumes dentaires soustraits par la fonction, l’usure, l’érosion, etc. Je suppose que l’article rédigé avec WH Douglas en 1999, pour le premier numéro du Journal of Adhesive Dentistry [1], présente le concept de façon didactique (fig. 1).

« Be additive », comme le dit mon amie Francesca Vailati, est une méthode classique et universelle de traitement qui comprend l’utilisation d’un modèle de diagnostic, des wax-up additifs et des maquettes acryliques ou mock-up [2]. Ces derniers fourniront une quantité importante d’informations de diagnostic et d’économie du substrat de dent, dont l’importance ne peut être sous-estimée dans la réalisation, la fonctionnalité et la longévité de la restauration finale. Il va sans dire que l’approche additive dans les cas de réhabilitations complètes implique souvent l’utilisation d’« outils occlusaux » variés (fig. 2a à f), tels que la relation centrée et le principe de Dahl [3], ainsi que l’augmentation de dimension verticale d’occlusion [4-5].

Êtes-vous l’inventeur de cette approche de la dentisterie additive ? Si non, qui vous a inspiré ?
Si on relit l’article de 1999, je suppose que oui. Pour ma part, j’ai été influencé par mon frère Michel au travers des merveilleux wax-up additifs qu’il réalisait pour nos cas cliniques. Notre premier cas avec mock-up additif date de 1992.

Qu’est-ce qui a permis cette dentisterie additive ? Est-ce uniquement l’adhésion ?

L’adhésion dentaire est sans nul doute l’une des raisons principales pour lesquelles l’approche additive est une vraie révolution. L’absence de considération pour les techniques adhésives conduisait autrefois à préparer les dents de façon agressive pour des restaurations coronaires scellées. Une quantité de tissus intacts substantielle devait d’abord être éliminée au nom de la stabilisation et de la rétention coronaire, pour ensuite pouvoir restaurer le volume manquant. L’approche additive est un virage radical, car il n’y a nul besoin de rétention ou de formes géométriques pour restaurer la dent. L’étape ultime de l’approche additive est l’approche « no-prep » qui, à mon avis, n’est possible à l’heure actuelle qu’avec les résines composites en technique directe ou semi-(in)directe [6].

Quelles sont les indications principales  de cette dentisterie additive ?
Dans le contexte de cette question, les termes additif et adhésif sont pratiquement synonymes. Les indications de l’approche additive sont innombrables. Je retournerais la question en disant : « Quelles sont les indications de l’approche classique soustractive ? » Pratiquement aucune, peut-être juste le remplacement de restaurations coronaires classiques. D’ailleurs, même la dentisterie soustractive se doit d’être additive en second lieu, afin de limiter la perte excessive de tissus intacts. L’exemple classique est l’érosion dentaire, dont les cas sévères peuvent être traités par couronnes classiques, mais en incluant souvent une augmentation de dimension verticale, pour limiter le besoin d’allongements de couronnes cliniques, etc.

Cette dentisterie additive est-elle plus facile ou plus difficile que la dentisterie soustractive ?
Cela dépend totalement de quel point de vue l’on se place. Sur le plan de la planification, les deux techniques sont semblables, l’utilisation de maquettes additives provisoires remplace les restaurations provisoires classiques par couronnes. Il y a une courbe d’apprentissage pour maîtriser les maquettes acryliques, et je suggère l’utilisation de résines de type « polyméthyl-méthacrylates », superbes sur le plan esthétique (fig. 3a à c), faciles à ajuster et à réparer, contrairement aux matériaux de type bisacryl. Sur le plan de la préparation dentaire, il faut reconnaître que plus l’approche est conservatrice, plus elle demande de soin et de délicatesse. Sur le plan de la restauration, l’adhésion et le scellement adhésif demandent une attention très particulière aux étapes et protocoles de collage. Au contraire, le scellement traditionnel de la dentisterie soustractive requiert peu de connaissances. Le bilan est donc en faveur de la dentisterie soustractive, si l’on prend en compte le degré de difficulté pratique. Mais si l’on considère que l’approche additive va permettre d’éviter un grand nombre de traitements et complications, alors le bilan bascule complètement. Sur cette liste de complications figurent les coûts et problèmes liés aux traitements endodontiques (pulpes mises en danger par la préparation dentaire), l‘utilisation de tenons (pour satisfaire aux principes de rétention et forme de résistance), les chirurgies parodontales (afin d’augmenter la hauteur de rétention et d’exposer les marges de préparation), etc.

Comment enseignez-vous cette dentisterie additive ?

L’acronyme est MPAR (Morphologie, Planification, Adhésion, Restauration). Je pense que la première étape pour l’enseignement de l’approche additive est l’enseignement de la morphologie dentaire et l’observation passionnelle des dents naturelles et de leurs moindres caractéristiques, en particulier l’étude des volumes d’émail, des lobes et lignes de transition (dents antérieures), des cuspides et crêtes marginales et occlusales (dents postérieures). Une approche en morphologie 2D-3D-4D a été proposée aux étudiants afin d’intégrer les dessins, les exercices de cires additives et la stratification avec les résines [7].
La planification du cas doit prendre en compte les volumes d’émail et de dentine perdus avant le traitement. Il s’agit donc de simuler la récupération de ces volumes afin de confirmer le diagnostic. Les contours additifs (y compris l’augmentation de dimension verticale) doivent être testés sur les plans fonctionnel, esthétique, phonétique, et le confort du patient doit être confirmé avant la phase restauratrice finale. Le wax-up additif suivi de la maquette diagnostique, ou mock-up, constitue donc la pierre angulaire de cette approche. J’utilise personnellement des maquettes acryliques, même en préliminaire de cas de résines composites directes, afin de vérifier que la longueur incisale est correcte et de m’assurer que le travail de stratification de caractérisation ne sera pas fait en vain… Il est toujours préférable de raccourcir le mock-up que la restauration définitive !
Ensuite, il s’agit pour le praticien de devenir un expert en adhésion. Je ne vais pas entrer ici dans les détails, mais il faut considérer l’adhésion à l’émail comme l’adhésion à la dentine. Cette dernière semble être plus controversée, mais je dirais que les outils existent pour obtenir une adhésion dentinaire fiable, c’est-à-dire choisir le bon système adhésif et l’appliquer avec la bonne méthode. À ce titre, nous recommandons l’utilisation d’un adhésif dentinaire chargé, épais et radio-opaque, ainsi que la technique de scellement immédiat de la dentine (IDS – Immediate Dentin Sealing) en cas d’approche semi-(in)directe. Nous avions soulevé cet aspect lors de notre premier article pour BMC.

Finalement, la restauration elle-même ne représente que la confirmation de l’étape diagnostique ci-dessus. Le choix de la technique variera selon la sévérité du cas. Mais je pense qu’il est important pour le praticien d’avoir dans son bagage une multitude de techniques allant des techniques directes aux techniques semi-directes (CAO/FAO), semi-indirectes et indirectes, afin de couvrir les besoins du patient tout en respectant une approche socio-économique. Le rapport coût/efficacité et l’approche inhérente minimalement invasive des matériaux à base de résine signifient qu’ils gagnent également en popularité dans les procédures de conception assistée par ordinateur/fabrication assistée par ordinateur (CAO/FAO). L’approche bi-laminaire (fig. 2f), ou technique sandwich [5-8] (facettes linguales en résine composite doublées de facettes vestibulaires en porcelaine), est un merveilleux exemple des possibilités qui sont offertes aujourd’hui pour répondre individuellement à chaque situation clinique.

Cette dentisterie additive est-elle suffisamment développée chez les praticiens ? Les modalités
de remboursement des assurances sociales incitent-elles les praticiens à être additifs ?

Non, je suppose que le système de remboursement social décourage le praticien, car les assurances ne sont pas à jour sur les techniques modernes de la dentisterie adhésive. Il y a donc bien du travail, mais je suis optimiste et je pense que le changement est nécessaire et donc possible. Il est primordial de faire passer un message très clair au sujet des conséquences/complications de la dentisterie classique soustractive. L’analyse sur le long terme démontrera que le coût social de l’approche additive est moindre que celui de l’approche classique.

Quelle est votre stratégie pour rendre le monde dentaire plus additif ?
Un programme intensif d’éducation, recherche et publication et, comme nous l’avons mentionné plus haut, suivre l’enseignement MPAR !

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