Décès du patient avant la fin de ses soins

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  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire (page 33-35)
Information dentaire
En 2016, 3 477 personnes ont perdu la vie sur les routes de France. Les accidents domestiques, accidents vasculaires cérébraux, cancers… peuvent survenir et empêcher la fin d’un long traitement dentaire. Le chirurgien-dentiste, qui n’est alors aucunement lié à ces décès, se trouve confronté à la relation de respect et d’empathie vis-à-vis des proches du défunt et à l’organisation des suites médico-administratives de son dossier. Sa considération pour son patient et la compréhension des difficultés soulevées par sa mort inattendue ne peuvent pas le relever des exigences qu’il peut avoir pour les frais engagés et ses devoirs vis-à-vis des héritiers et des proches.

Situation

Je soignais Arthur M. depuis trois mois pour une réhabilitation globale de sa denture par traitements prothétiques.
Deux bridges ont déjà été réalisés et un troisième venait d’être livré par mon prothésiste, car il devait être scellé
dans deux jours. Son rendez-vous est cependant annulé par un proche, car ce patient a été tué brutalement au cours d’un accident de la route. Je suis gêné par cette situation délicate. La famille est en deuil, ses soins n’étaient pas totalement honorés et j’attendais son retour pour télécharger sa feuille de soins électronique.
Que faire du bridge qui était à sceller ; dois-je le conserver ? Comment mettre à jour ses documents administratifs
sans trahir le secret médical pour que la famille puisse se faire rembourser ? Puis-je me faire honorer les prothèses réalisées ? Dois-je abandonner toute demande auprès de ses proches pour respecter leur douleur ? Comment faire si la famille refuse de régler ou réclame un remboursement des acomptes ?

Réflexions du Professeur Jean-Paul Markus

Professeur à la faculté de droit de l’Université de Versailles-Paris-Saclay et à l’IEP de Saint-Germain-en-Laye
Directeur du Laboratoire VIP (E.A. 3643)
 
Parce qu’elles font partie du dossier du patient, le chirurgien-dentiste doit conserver toutes les prothèses réalisées, ainsi que les résultats d’investigations ou de mesures.
La question du remboursement est marginale compte tenu des taux de prise en charge sociale des prothèses.
Les travaux réalisés dans la bouche du patient sont bien dus, et la famille serait en tort de vous réclamer un remboursement. Vous pouvez parfaitement demander votre dû, mais avec toute la courtoisie et la compassion nécessaires. Des chirurgiens-dentistes ont été sanctionnés pour avoir adressé des factures sans autre forme de procès à la famille d’un défunt.
 
En tout premier lieu, il convient de s’assurer que votre demande s’adresse bien à des héritiers, qui héritent des dettes également, et pas à de simples « proches » non-héritiers (ce qui inclut une concubine par exemple).
S’agissant des prothèses, réalisées mais ni placées en bouche ni payées, en droit des contrats, le décès d’une partie met fin – et pour cause – à toute relation contractuelle, quel que soit le stade d’avancement du contrat. Mais en droit de la famille, « les successeurs universels sont tenus d’une obligation indéfinie aux dettes de la succession » (C. civ., art. 723) : les dettes d’un défunt se transmettent. Comme la famille aurait à payer une voiture commandée par le défunt mais non livrée, elle devra payer la prothèse non implantée. Le praticien est donc dans son droit, mais le devoir de délicatesse le conduira alors, plutôt qu’à envoyer sa facture à la famille, à faire valoir cette même facture au notaire chargé de la succession, ce que préconise désormais la loi.
En effet, l’article 792 du Code civil impose aux créanciers successoraux de déclarer leur créance en la notifiant soit au domicile de l’héritier, soit en l’étude notariale chargée du règlement de la succession (C. civ., art. 788), et cela dans les quinze mois. La démarche n’est pas aisée, mais c’est la loi qui l’impose et la démarche est donc légitime.

Réflexions du Professeur Simon Bérenholc

Président honoraire du Comité national odontologique d’éthique
 

La théorie du chaos vient de s’exprimer matériellement, imprévisible. Un accident de voiture, et le rendez-vous d’Arthur est annulé par l’intermédiaire de sa famille. Le praticien reste sans voix pour adresser ses condoléances impromptues… Et commence la gamberge.
Il se remémore la présence de ce patient, son visage, son comportement, il reprend le dossier et, certainement, cela va influencer son approche. La fiche, reproduisant la totalité des soins et des traitements, est le suivi des réalisations aux différents stades avec parfois les difficultés rencontrées (radiographies intermédiaires, etc.), et aussi les acomptes qui prouvent l’accord du patient pour la poursuite des soins, l’absence de réclamations. L’acceptation du devis signé est confortée par le seul fait d’ouvrir la bouche et de se laisser soigner !
Le praticien s’étant obligé de fournir des soins éclairés, selon les données acquises et validées de la science, dans les règles de l’art.
 
Le patient avait besoin de prothèses, elles ont été réalisées par le praticien et ce travail mérite d’être honoré.
Avec tact, car la famille est en deuil, le praticien informera pour le moins le(s) successeur(s) du patient. Il est indéniable que les relations individuelles et professionnelles vont relativiser la façon de récupérer le solde qui est à la charge des représentants du défunt. Le problème du restant dû en dépendra certainement et relève du notaire en charge de la succession. Le praticien est en droit d’influencer les modalités du recours, selon les relations dépendantes de la conception qu’il a de son travail, de sa rémunération, et des difficultés rencontrées, cliniques et/ou relationnelles avec son patient.
 
Les documents administratifs sont nécessaires à la famille pour obtenir les remboursements dus. Ils sont codés et ne comportent aucun élément médical (par exemple : VIH, cardiopathies…) qui intervient dans la conduite des traitements, ils doivent pouvoir être transmis sans que cela ne soit perçu comme une infraction au secret médical. Il faut transmettre ce qui peut l’être en gardant à l’esprit la protection des données concernant le patient, car le chirurgien-dentiste est tenu au secret, même après la mort de celui-ci.
 
En outre, avant la clôture du dossier, conserver la preuve du bridge réalisé et non placé en bouche me semble nécessaire pour parer à toute contestation future.

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