Aux sources vives de Soulages
Poussées dans l’ombre par l’éclat des toiles de sa période « Outrenoir », les œuvres sur papier de Soulages en ressortent enfin, accueillies en nombre au Musée du Luxembourg. Puissantes et très éclairantes sur son art, elles reflètent, malgré leurs modestes tailles, humbles matériaux et fragiles supports, le meilleur du peintre qui les pratique dès 1946 et y revient presque tout au long d’une vie achevée en 2022, à la veille de ses 103 ans. Cette pauvreté de moyens, qui ne fait que mieux ressortir leur force, touche aussi en ce qu’elle témoigne du dénuement de Soulages à ses débuts.
Né dans un milieu d’artisans à Rodez, il est familier du travail du bois et du fer, des vernis et goudrons, tout en montrant un vif intérêt pour l’art pariétal et les vieilles pierres du Rouergue, énigmatiquement gravées comme les immémoriaux mégalithes ou sculptées à l’abbatiale Sainte-Foy de Conques. Monté à Paris après un bref passage aux Beaux-Arts de Montpellier, c’est à la peinture qu’il se destine. Mais au sortir de la guerre, les toiles, couleurs et pinceaux même coûtent cher. Surtout pour qui ressent, dit-il, « une sorte d’impératif intérieur » à créer, sans disposer des moyens de gâcher ou de refaire s’il n’est pas satisfait. Alors il attrape ce qui lui tombe sous la main, feuilles bon marché et encres d’imprimerie, spatules, brosses et racloirs d’ouvrier. Et puis ce fameux brou de noix, teinture qu’enfant il a vu employée par son père charron. Ce medium a tout pour lui convenir : un faible prix et une fluidité qui permet de jouer à la fois d’amas opaques et de transparences dans l’épaisseur, tout en laissant aux bords des aplats des ombrés créant le relief. Mieux que le fusain et l’encre, le brou répond à un art gestuel qui doit, dans l’instant de l’élan spontané, trouver l’équilibre de la forme définitive. S’il ne l’obtient pas, il jette…