Pourtant, la question de leur intérêt se pose régulièrement. En effet, si on se réfère à l’échelle de niveau de preuve scientifique, cet exercice arrive bon dernier en comparaison avec les essais cliniques randomisés ou les revues systématiques de littérature. Alors, poser un cas sur la table, c’est commettre un péché d’orgueil ou proposer une vraie démarche pédagogique ?
Un travail colossal
L’imagerie radiographique 3D et les modèles numériques sont maintenant courants dans notre discipline ce qui laisse présager la disparition future du traditionnel lutin imprimé au profit d’un dossier informatique. Cela soulève toutefois quelques questions concernant la véracité des éléments présentés, c’est pourquoi l’American Board of orthodontics utilise par exemple des logiciels traqueurs de modifications photographiques, ou que The Angle Society of Europe demande des modèles de fin de contention traditionnels en plâtre.
Les superpositions, facilitées par l’outil informatique, demeurent la seule façon de visualiser la réalité des résultats. Des spécificités, géographiques cette fois, sont à prendre en compte puisque dans certains pays européens, les documents radiographiques de fin de contention ne sont pas autorisés.
Un effort d’introspection
En France, la qualification en orthodontie repose depuis toujours sur un examen de cas, que ce soit dans le cadre d’une commission de qualification ou de la partie clinique d‘un examen national (CECSMO, Internat qualifiant). Nous avons tous en mémoire les difficultés et la pression que nous avons ressentie en préparant ce travail. Mais nous nous souvenons sans doute aussi de l’intérêt personnel que nous en avons retiré.
Critiquer la qualité des documents, analyser dans le détail tous les éléments diagnostiques, objectiver les mouvements dentaires réalisés, décortiquer les phénomènes de croissance, mesurer les effets de la thérapeutique sur les tissus environnants et tout synthétiser par écrit est certes un exercice chronophage mais très riche d’enseignement.
Débattre, discuter voire défendre lors d’un entretien contradictoire avec des pairs, ce que nous avons de plus cher, c’est-à-dire notre capacité professionnelle, est certes un exercice éprouvant, mais également générateur d’estime de soi et de reconnaissance.
Une réalité internationale
Un certain nombre de sociétés scientifiques font reposer leur statut de membre, entre autres sur un examen de cas traités (Collège européen d’orthodontie, 5 ; European Society of Lingual Orthodontics, 5 ; The Angle Society of Europe, 10…). Il s’agit d’un moment très fort dans les réunions de ces sociétés et qui constitue un véritable trait d’union entre les membres ayant réussi cette étape.
La Fédération française d’orthodontie comporte une commission du Board français, actuellement présidée par Claude Lemasson, qui est chargée de l’organisation de cette épreuve. Huit cas répartis en catégories bien définies sont examinés (trois ans maximum) par des juges. En cas de succès, le candidat reçoit le certificat d’excellence en orthodontie. Actuellement, seuls trente-sept orthodontistes européens peuvent revendiquer ce titre.
Tour à tour juge ou partie dans ces différents examens, il m’a été donné de mesurer l’énorme bénéfice que chacun peut en attendre d’abord d’un point de vue professionnel, et aussi dans la complicité qui naît entre un candidat et un examinateur venus d’horizons quelquefois très différents mais ayant le même pôle d’intérêt.
Un outil pédagogique
Les cas cliniques sont largement utilisés pour illustrer les propos d’une conférence ou d’une publication. Ils permettent d’expliquer des procédures, de renforcer des messages, tout en augmentant le pouvoir de conviction de l’auteur. Ils ont également pour mission de susciter la réflexion de l’auditeur. Répartis dans une présentation orale, ils doivent pourtant être observés avec un esprit critique exercé. En effet, le mode de présentation ou la sélection des documents projetés, peuvent modifier dans un sens ou un autre la réalité du cas traité, et ainsi fausser le jugement de la personne à convaincre.
Mais c’est au sein d’une revue que les lecteurs peuvent lire et relire en prenant leur temps, que le pouvoir pédagogique d’un cas traité est le plus important. Bien sûr la sélection du cas par le comité de lecture et son mode de présentation doivent reposer sur l’intérêt potentiel de la présentation en évitant les malheureusement trop classiques concepts de « #regardezmoncascommeilestbeau », ou « #tropfacilelorthodechezmoulineau ».
Alors, présenter un cas, est-ce commettre un péché d’orgueil ?
Ma réponse est non. Les réseaux sociaux et les sites Internet fourmillent de présentations incomplètes, inachevées, ou trompeuses de situation cliniques d’ailleurs souvent banales. L’ego de leurs auteurs s’étale alors sans limite raisonnable.
Poser un cas sur la table est un vrai travail qui autorise la critique, constructive bien sûr.n
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