Fonctions orales et nutrition chez le patient âgé

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  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire n°26 - 28 juin 2023 (page 4-5)
Information dentaire
Article analysé : Tani A, Mizutani S, Kishimoto H, Oku S, Iyota K, Chu T, Liu X, Kashiwazaki H. The impact of nutrition and oral function exercise on among community-dwelling older eople. Nutrients 2023 ; 15 (7) : 1607.

La qualité de vie dans le grand âge est un enjeu actuel majeur dans nos sociétés. Le crépuscule d’une vie est le moment des équilibres fragiles dans lequel le moindre événement peut tout faire basculer très rapidement. Les auteurs de l’étude rapportée insistent sur l’impact majeur de la santé orale dans ce mécanisme funeste. Ils rapportent qu’une détérioration des fonctions orales affecte directement toutes les composantes physiques de l’individu. Sont d’abord concernées la mastication, la prononciation, la vie sociale. Puis s’ensuivent une réduction qualitative des prises alimentaires, des déficits nutritionnels, une perte des interactions sociales qui conduisent à un risque accru d’isolement et de fragilisation jusqu’au besoin de soins infirmiers supplétifs, puis de mortalité.

Des exercices de stimulation des fonctions orales maintiennent et améliorent leur efficacité chez le sujet âgé sur lequel un effet positif a été démontré.
Les auteurs ont ainsi mené une étude clinique dont le but était d’évaluer l’efficacité de deux méthodes d’entraînement à des exercices de stimulation des fonctions orales : l’une à l’aide d’un support papier et l’autre à l’aide d’une tablette connectée. La force de pression linguale a été utilisée comme un indicateur majeur de l’effet du programme. Elle a aussi été considérée par rapport aux résultats d’un questionnaire portant sur la nature des prises alimentaires recueillies comme données de base, avant le début de l’étude.

Pour la conduite de celle-ci, 26 pensionnaires d’une maison de retraite de la ville d’Itoshima, au Japon, âgés de 75 à 81 ans et dont la pression linguale était inférieure à 30 kPa (considérée comme basse), ont été inclus et divisés de manière aléatoire en deux groupes. Tous les participants ont ainsi renseigné un questionnaire sur la nature de leurs prises alimentaires durant le mois précédant le début de l’étude. Lors de l’examen de départ, un dentiste leur a expliqué comment faire les différents exercices du programme. Instruction leur a alors été donnée de pratiquer les exercices trois fois par semaine pendant un mois, un groupe à l’aide d’un support papier et l’autre avec une tablette connectée. Une première phase de 3 minutes d’exercices comprend des mouvements préparatoires de respiration, de détente, d’étirements des systèmes manducateurs, suivie d’une seconde phase d’exercices plus dynamiques de mise en fonction des muscles orbiculaire et buccaux d’une part (6 minutes) puis de la langue plus spécifiquement d’autre part (6 minutes). Les indicateurs recueillis avant et après ce mois de test concernent le poids, l’IMC, les fonctions labio-linguales (prononciation), les performances de mastication mesurées avec des papiers indicateurs de pression et des gommes à mâcher qui changent de couleur en fonction de la mastication et, surtout, la pression linguale mesurée à l’aide d’un dispositif spécifique.

Les auteurs se sont aussi intéressés à une éventuelle relation entre la nature des prises alimentaires dans le mois précédant l’étude et le niveau de pression linguale. Ils distinguent ainsi deux groupes d’individus de part et d’autre d’un seuil de pression mesurée fixé à 1,3 kPa : un groupe dit de faible pression linguale sous ce seuil et un groupe dit de haute pression linguale au-dessus.

Les résultats de leur étude ne montrent tout d’abord aucune différence significative selon que les participants ont utilisé un support écrit ou une tablette. En revanche, les deux méthodes se sont révélées efficaces dans l’amélioration des fonctions orales, et plus particulièrement de la pression linguale, en un mois seulement, ce que les auteurs déclarent en cohérence avec des études précédemment publiées. Ils rappellent que le déclin des fonctions orales est un signe précoce de dégradation de santé générale. Ils plaident pour un contrôle quotidien des fonctions orales chez les sujets de grand âge et pour la pratique de programmes de stimulation de ces fonctions. Ils affirment que les performances masticatoires s’en trouveront aussi améliorées, permettant de ce fait une meilleure diversité de l’alimentation avec reprise de poids et amélioration de l’IMC, puis un impact plus global sur toutes les fonctions physiques.

L’autre aspect de cette étude concernant le volet de la qualité alimentaire appréciée par le questionnaire préliminaire et comparé à la pression linguale montre que les patients classés dans le groupe de plus forte pression linguale ont décrit un régime alimentaire plus riche en protéines d’origine animale que l’autre groupe. Citant d’autres études, ils expliquent que cette consommation en protéine animale est corrélée au nombre de dents restantes et qu’une amélioration de la pression linguale a été observée chez les patients avec des relations occlusales stables qui suivent un programme d’exercices de stimulation. Ils suggèrent que les dentistes ne doivent pas seulement réaliser des prothèses, mais qu’ils doivent aussi s’impliquer dans l’amélioration du statut nutritionnel et des fonctions orales de leurs patients âgés en utilisant des méthodes prouvées efficaces à dessein.

Parmi les limites concédées à leur étude, ils citent le fait que leur population soit limitée au Japon avec l’impact culturel de ses habitudes alimentaires, mais aussi le fait que les sujets inclus étaient plutôt en bonne santé, autonomes et plus aptes à appliquer les tests demandés. Ils concluent tout de même que les programmes de stimulation et d’exercices des fonctions orales ont permis d’améliorer le niveau de pression lingual chez les patients ayant suivi un programme à l’aide d’un support papier ou d’une tablette, et notent par ailleurs une corrélation entre la consommation de protéines d’origine animale et une plus forte pression linguale.

Commentaire

Cette étude publiée dans la revue Nutriments du groupe de presse MDPI présente une structure un peu inhabituelle avec des données évaluées à l’issue d’une période de test (amélioration des indicateurs des fonctions orales), mais aussi des données issues du recueil des données de bases avant les tests (corrélation entre la pression linguale initiale mesurée et le régime alimentaire estimé à partir d’un questionnaire portant sur le mois précédant l’étude).

Le groupe MDPI, qui publie des articles en libre accès, mais dont l’auteur paie un droit de publication pour être publié, a une politique de recrutement d’auteurs avec une très grosse pression commerciale. Il est connu pour un parcours rapide de publications dans des revues tout de même indexées avec une étape d’évaluation des articles extrêmement courte, mais pas toujours très exigeante sur la rigueur de la méthode et la présentation des résultats. Concernant cet article, on peut lire qu’il a été soumis pour la première fois le 9 février 2023, qu’il a été accepté le 24 mars et publié le 26. Pour d’autres revues plus estimées, le parcours de publication et de corrections dure souvent près d’un an.

Cependant, le sujet traité n’en est pas moins très intéressant car il répond à une problématique majeure des sociétés occidentales qui connaissent une augmentation exponentielle de la part de leur population âgée ou très âgée, avec tous les enjeux de qualité de vie qui se posent. Les auteurs rappellent combien l’équilibre de la qualité de vie de ces patients est fragile et soulignent l’impact majeur de la santé orale sur la santé générale. Le maintien des fonctions orales fonctionnelles est en effet un enjeu de premier ordre pour atteindre et maintenir cet objectif. Pouvoir manger et bien manger est absolument essentiel car les repas sont, pour les personnes âgées, un moment important d’activité dans la journée, de plaisir, mais aussi d’échanges, de partage, de communication, en particulier pour ceux qui vivent en résidence senior ou en EHPAD. Une altération de la denture et des fonctions afférentes peut réduire drastiquement cette capacité à manger une alimentation variée, source de toute l’énergie indispensable à l’ensemble des fonctions biologiques, cognitives et comportementales. Manger est aussi un moyen essentiel pour se sentir toujours intégré à la société par ses rituels alimentaires qui rythment la journée et concourent aussi à l’estime de soi. Souvent, dans le grand âge, la perte de l’efficacité des fonctions masticatoires liée à la perte des dents conduit la personne âgée vers une alimentation molle ou mixée qui est souvent une solution de facilité pour le personnel des EHPAD en nombre insuffisant. S’ensuit une perte de l’envie de manger pour le patient, un isolement puis une dépression, tant physique que psychologique, dont les conséquences irréversibles atteindront très vite toutes les fonctions.

Alors que notre population âgée devient de plus en plus importante, toute la communauté médicale devrait être formée, sensibilisée et mobilisée pour assurer la meilleure qualité de vie possible le plus longtemps possible à nos aînés. Cela implique un suivi dentaire drastique et des mesures de prévention renforcées au fur et à mesure de l’âge avançant, d’autant que les comorbidités associées compliquent souvent les possibilités de traitement et donc de réhabilitations dentaires. Conserver le plus longtemps possible des dents naturelles ou des prothèses fixées est le meilleur moyen de garantir l’indépendance et l’efficacité alimentaire des patients âgés, leur qualité de vie et leur santé générale. À l’image des examens de prévention bucco-dentaire chez les enfants, un équivalent devrait être proposé chaque année aux seniors dès l’âge de la retraite. C’est sans doute l’un des enjeux de santé publique les plus importants dans nos sociétés. 

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