Julien Botot : un dentiste chevalier de Saint-Louis

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  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire n°35 - 14 octobre 2020
Information dentaire

L’histoire de l’Eau de Botot, une préparation pour traiter les maladies gingivales mise au point il y a près de 250 ans et toujours en vente, est une aventure surprenante. Nous vous emmenons sur les traces d’Edme-François-Julien Botot pour en découvrir l’origine.

Au siècle des Lumières, beaucoup de praticiens commercialisaient des produits similaires à l’Eau de Botot, mais aucun n’atteignit sa notoriété. C’est le mérite de son inventeur, Edme-François-Julien Botot, puis celui de ses successeurs, à commencer par son neveu François-Marie Botot – dont l’intéressante destinée sera rapportée prochainement dans ces pages –, d’avoir perçu l’intérêt des campagnes publicitaires dans les journaux. C’est ainsi que leur produit finit par être distribué, au XIXe siècle, dans toute l’Europe, où la bonne société, francophone bien sûr et attirée par tout ce qui était français, se l’arrachait.

L’esprit d’aventure

Edme-François-Julien Botot naît le 7 avril 1735 à Paris, paroisse Saint-Eustache, dans une famille d’honorable bourgeoisie ; son père est marchand, marié avec une fille de marchand, et son frère aîné sera lui aussi marchand. Cherchant l’aventure ailleurs que derrière un comptoir, il choisit la carrière des armes et est incorporé dans la compagnie des Gendarmes Bourguignons. Ce « corps privilégié, mais formé dans une large portion de gens qui ne l’étaient pas […] accueille dans ses rangs la noblesse pauvre et la bourgeoisie faite ». Toutefois, les parents de l’impétrant doivent être « en mesure de verser la pension de 300 livres nécessaire pour soutenir son état ». En contrepartie, « l’état de gendarme donne le rang d’officier » et, après vingt ans de services, certains avantages de la noblesse comme la dispense de la taille personnelle*.

La France est alors en pleine guerre de Sept Ans et Julien fait la campagne de 1760-1761. Malheureusement, à la fin du conflit, blessé par la chute de son cheval, il se retrouve estropié. Sa carrière militaire subit un sérieux coup d’arrêt ; il tente une reconversion avec l’aide du duc de Liancourt, brigadier de cavalerie, qui s’intéresse au sort des malheureux, et plus particulièrement des soldats blessés, à commencer par ses hommes.

Sur ses terres au nord de Paris, cet aristocrate philanthrope a fondé l’hospice du Saint-Esprit, qui accueille malades, invalides et vieillards. Il est fort possible que Julien Botot y ait appris les rudiments de la pratique dentaire, car la protection du duc lui restera acquise tout au long de sa vie.

Une odontologie moderne et des valeurs humaines

Julien Botot est reçu expert à Saint Côme entre 1765 et 1770 ; c’est en avril de cette dernière année qu’il publie « Observations sur la suppuration des gencives » dans le Journal de Médecine, Chirurgie et Pharmacie. Après une revue des traitements proposés par ses confrères, il s’y déclare opposé à la cautérisation par le bouton de feu, privilégiant le débridement chirurgical avec détartrage profond, associé à un traitement médicamenteux très influencé par les thèses de Fauchard et éliminant les caustiques qu’il considère trop destructeurs.

Toujours dans les mêmes colonnes, il récidive, en 1771, avec « Observation sur un chancre à la voûte du palais qui a dégénéré en tumeur squirrheuse et cancéreuse de la grosseur de la moitié d’un petit œuf de poule », et encore l’année suivante avec « Observation sur l’extraction d’une dent à la suite de laquelle le sinus maxillaire s’est trouvé ouvert ».

En 1772 encore, il fait paraître un opuscule titré « Moyens commodes et suffisants pour s’entretenir la bouche en bon état » ; sa lecture prouve qu’il a effectué des recherches et qu’il a acquis des connaissances techniques. Pour lutter contre les pulpites aiguës, il préconise l’extraction « pour causer la rupture du cordon dentaire et faire cesser la douleur », l’obturation de la cavité de carie et la réimplantation après avoir plongé la dent « dans l’eau-de-vie ou un peu d’eau vulnéraire spiritueuse ».

Côtoyant la misère physique, Julien Botot reçoit gratuitement les pauvres que lui adresse l’Académie Royale de Chirurgie, pour appareillage. Il s’intéresse aux travaux de cette docte assemblée et lui remet en 1775 un mémoire proposant diverses modifications à apporter aux pélicans, ainsi qu’aux levier et traitoir d’Anselme Jourdain.

Il y a alors une quinzaine d’années, qu’il exerce rue des Noyers, non loin de la place Maubert. Il y dispense « des cours gratis de l’art du dentiste », dits « d’odontalgie » et y commercialise son Eau, obtenue par macération dans l’alcool de diverses plantes (cannelle de Ceylan, badiane de Chine, anis vert, essence de menthe poivrée, clou de girofle).

Un succès immédiat

La préparation concoctée par Julien Botot rencontre d’emblée un vif succès ; le Roi, sa famille, la société, tous veulent bénéficier de ses bienfaits, surtout lorsqu’elle obtient l’aval de la Faculté de Médecine : « La Faculté assemblée le 1er du mois d’octobre 1777 a unanimement approuvé le rapport fait par MM. Leclerc, Bertrand, Maigret, Lepreux qu’elle avait nommés pour examiner la liqueur spiritueuse aromatique dont le sieur Botot nous a dit être l’auteur et qu’il se propose de vendre au public. Elle consent, d’après le plus grand nombre de suffrages, à donner son approbation à cette liqueur qu’elle met au nombre des dentifrices utiles et agréables… »

Cette appréciation est confirmée par Vicq d’Azyr, secrétaire perpétuel de la Société Royale de Médecine, dans sa séance du 16 mai 1783 :

« Le sieur Botot a présenté à la Société R. de Médecine la recette d’une liqueur balsamique ; on a fait le rapport suivant qui a été adopté par la compagnie.

La Société nous a chargés d’examiner une liqueur balsamique et spiritueuse, présentée par M. Botot, chirurgien dentiste reçu au collège de Chirurgie, avec un écrit du même auteur sur l’avantage de cette préparation.

M. Botot m’a communiqué la recette de la liqueur elle-même. Il lui attribue les propriétés d’affermir les gencives et de donner à l’haleine une odeur suave, et de calmer les douleurs étant appliquée sur le nerf souffrant.

M. Botot expose la manière de s’en servir pour remplir ces vues. Il s’élève avec raison contre l’usage trop répandu où l’on est d’employer les acides qui attaquent la substance de la dent.

[…] Nous pensons que la liqueur spiritueuse de M. Botot peut être utile pour les cas spécifiés.

Elle nous a paru bien préparée et nous croyons que la Société doit joindre son suffrage à celui de la Faculté de Médecine en faveur du sieur Botot. »

La vente de cet élixir lui rapporte largement de quoi vivre et lui permet de dispenser des cours gratuits, complémentaires de l’enseignement officiel, très courus du fait de l’absence de réformes de l’Université.

Les publications qui suivent ont donc pour finalité première la promotion de son produit ; ainsi, en 1782, « Eau balsamique et spiritueuse approuvée par la Faculté et la Société royale de Médecine », en 1783 « Moyens sûrs pour conserver les dents et calmer les douleurs qu’elles occasionnent », en 1784 « Le chirurgien dentiste » et en 1790 « Sur les dents artificielles ».

Entre 1783 et 1786, il cède ses droits sur l’élixir à son neveu François-Marie, fils de son frère aîné, qu’il paraît avoir formé dans le but de le voir prendre sa succession.

Après l’aisance, la gêne

Parallèlement à sa pratique dentaire, et avec l’appui bienveillant du duc de Liancourt, Julien Botot a poursuivi une carrière militaire en alternance. À la suite de sa blessure en 1761, celle-ci a présenté une éclipse de longue durée puisque son dossier militaire est muet jusqu’au 5 septembre 1776, date à laquelle il est admis comme bas-officier en l’hôtel des Invalides. Détaché pendant trois ans au Fort-les-Bains (Pyrénées-Orientales), il reçoit une lieutenance aux Invalides le 15 mars 1778, étant porté à la suite de l’École des Enfants de l’Armée, puis le 20 mai 1779, une commission de capitaine commandant le détachement des bas-officiers invalides préposés à la garde de ladite école. Ce centre d’instruction « dans les arts et métiers » vient d’être fondé à Liancourt par le duc et accueille « les fils pauvres des militaires » qui y apprennent à lire, à écrire et à calculer. Elle est l’archétype des Écoles Natio- nales Supérieures d’Ingénieurs Arts et Métiers.

Julien Botot semble n’avoir pas exercé longtemps son commandement « à cause du mauvais état de sa santé ». On peut s’interroger sur le bien-fondé de la raison avancée ; il a subi une nette baisse de ses revenus à la suite de la donation de ses droits sur l’Eau et il peut très bien s’être fait placer en disponibilité pour reprendre son exercice pendant quelque temps. En mars 1788, il réintègre l’École des Enfants de l’Armée et s’y voit confirmé le 13 août 1789.

Le 9 janvier 1791, il adresse, de Liancourt, une supplique au secrétaire d’État à la Guerre pour obtenir la Croix de Saint-Louis. Sa demande est appuyée le 20 avril par le marquis de Sombreuil, gouverneur des Invalides, et par le duc de Liancourt ; ayant obtenu, outre la décoration, une pension de 3 000 livres, il fait valoir ses droits à la retraite à la fin de ce même mois.

Il meurt le 12 janvier 1793 rue de Mantes à Saint-Germain-en-Laye, sans laisser postérité de son union avec Marie Semin. Son inventaire après décès révèle une certaine gêne, due sans doute au fait que sa pension n’était plus versée.

Si l’on se réfère aux écrits de la première moitié du XIXe siècle (J.-M. Quérard, G. Andral, G. Carabelli, etc.), Julien Botot est resté longtemps un auteur de référence puisque, quarante ans après sa disparition, ses publications demeurent connues tant en France qu’à l’étranger.

Deux représentants de la compagnie des Gendarmes Bourguignons à laquelle a appartenu Edme-François-Julien Botot.

* J.C. Devos et P. Waksman, Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1973, 20-1, p.37-57.

Le Duc de Liancourt, auprès duquel Julien Botot débuta sa reconversion après l’arrêt de sa carrière militaire.

« Observation sur un chancre… » publié en avril 1770.

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