Pouvez-vous nous rappeler en quelques mots le principe du cone beam et ses différences avec le scanner ?
Patrick Rouas : Le terme de cone beam est une dénomination raccourcie de l’expression anglo-saxonne cone beam computed tomography dont l’acronyme est CBCT. En langue française, le terme qui devrait être utilisé est tomographie volumétrique numérisée à faisceau conique.
C’est un examen d’imagerie sectionnelle ou 3D, au même titre que la tomodensitométrie (ou scanner). Il utilise un faisceau conique (cone beam) de rayons X alors que la tomodensitométrie utilise un faisceau de rayons X en éventail (fan beam). C’est finalement par leur aspect pratique que les termes cone beam ou CBCT sont utilisés par les praticiens.
Yves Delbos : Le meilleur moyen de comprendre le principe de fonctionnement des appareils cone beam est de le comparer au fonctionnement des appareils de tomodensitométrie. Comme le faisceau de rayons X d’un scanner est plat et en éventail, plusieurs rotations autour du volume à analyser seront nécessaires pour réaliser l’examen. Le lit sur lequel repose le patient se déplace dans le même temps. Nous pouvons imager cela comme la superposition de plusieurs assiettes plate, le tout formant une pile correspondant au volume à analyser. Avec les appareils cone beam, le faisceau de rayons X étant conique, une rotation de 360° (voire de 180°) autour de la tête du patient sera suffisante pour réaliser l’examen et acquérir la reconstruction volumique d’un cylindre contenant la mandibule et/ou les maxillaires.
De nombreux appareils existent sur le marché. Quels critères doivent guider le choix d’un orthodontiste voulant s’équiper ?
PR : L’offre en appareils de tomographie volumétrique à faisceau conique est en effet importante. Outre les différentes options possibles selon les appareils, deux points doivent retenir l’attention du futur acquéreur.
• La dosimétrie liée à l’appareil
Les études comparatives de dosimétrie sont complexes, représentent un coût, et nécessitent l’utilisation de matériels spécifiques. Une méta-analyse récente a permis de tester de nombreux appareils actuellement sur le marché selon différents champs (Ludlow et al., 2015). Elle montre des disparités significatives d’un point de vue dosimétrique entre les appareils. Ce type d’étude, synthétisant plusieurs recherches de niveau de preuve élevé, permet de fournir des informations sur les appareils que l’on souhaite acquérir. Néanmoins, il faut garder un esprit critique sachant que les doses peuvent varier pour un même appareil en fonction des paramètres de réglage et de la taille du champ de vue.
• Le champ de vue utile en fonction de l’activité du praticien (en cm)
Le terme anglo-saxon correspondant qui pourra être retrouvé est Field of View (FOV). Le champ de vue d’un appareil de type cone beam peut varier : – on distingue les appareils à petit champ, à champ moyen, et à grand champ. Les appareils à petits champs sont généralement moins coûteux et, a priori, moins irradiants. Il est essentiel d’opter pour un appareil autorisant des champs de vue adaptés à son activité. A titre d’exemple, un endodontiste exclusif n’aura par exemple aucun intérêt à acquérir une installation de type grand champ… un petit champ sera totalement adapté à son activité, explorant au maximum quelques organes dentaires associés aux tissus environnants. En revanche, un orthodontiste s’orientera plutôt vers l’achat d’un appareil de type multichamps (autorisant des petits champs de vue mais également des champs supérieurs à 12 cm), permettant la réalisation de bilans orthodontiques (grand champ) à partir du moment où ceux-ci sont indiqués dans le cadre de l’exploration 3D, mais aussi l’analyse de dents incluses (petit champ) par exemple. Ces possibilités de réglage permettent de réduire la dosimétrie des examens en adaptant le volume à explorer. L’orthodontiste pourra ainsi sélectionner le champ le plus adapté en fonction de l’indication posée.
D’un point de vue réglementaire, quelles sont nos obligations pour installer un appareil cone beam dans nos structures ?
YD : Suite à l’achat d’un appareil CBCT, il vous faudra soumettre une simple déclaration auprès de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) à l’aide du formulaire DEC/GX conformément à l’article R1333-19 du code de la Santé Publique. Cette déclaration sera validée par l’ASN si :
– l’appareil bénéficie d’un marquage CE et fournit des indications de dose pour chaque examen (produit dose x surface ou PDS) ;
– une maintenance est instaurée, avec les contrôles techniques initiaux et quinquennaux, le tout devant figurer dans un registre de suivi ;
– une Personne Compétente en Radioprotection est désignée au sein de la structure, sous la responsabilité du chef d’établissement ;
– un document unique est rédigé comportant un plan de prévention des risques ;
– les personnels autorisés à utiliser l’appareil ont validé l’attestation de radioprotection des patients qui est valable 10 ans.
Après une période où aucune norme spécifique aux appareils cone beam ne régissait véritablement l’installation de ces machines, l’arrêté du 22 août 2013 a permis de définir les conditions d’installation au niveau des locaux, rendant obligatoire l’application de la norme remaniée NF C 15-160 de mars 2011. Plusieurs nouveaux paramètres sont à prendre en compte. La méthode de calcul des protections en équivalent-plomb doit prendre en compte la charge de travail (en mA. min/semaine) en fonction du domaine d’utilisation. Une double signalisation lumineuse est impérative (mise sous tension de l’appareil/émission de rayonnements ionisants). Une surface suffisante pour l’accès de la machine lors des opérations de maintenance doit être prévue selon les recommandations du fabricant. Par conséquent, les obligations concernant la surface minimale au sol sont abrogées. Une ligne électrique dédiée conforme aux normes actuelles en vigueur doit être également prévue au niveau de l’installation. Enfin, les commandes doivent être à l’extérieur de la zone (Salmon, 2014)
PR : Les contrôles qualité des installations d’appareils cone beam ne sont pas obligatoires pour l’instant (Salmon, 2014). Les paramètres évalués par les fantômes concernent la densité, la résolution spatiale et la précision géométrique. Actuellement, des études sont nécessaires pour concevoir des fantômes permettant d’évaluer les paramètres de qualité en une seule exposition, même sur les petits champs (de Oliveira et al., 2017).
D’un point de vue dosimétrique, où en est-on aujourd’hui avec ces installations ?
PR : Les grands principes de radioprotection doivent être maîtrisés et appliqués systématiquement, à savoir les principes de justification et d’optimisation. Ceci est d’autant plus important que nos populations examinées sont majoritairement des enfants ou des adolescents, groupes populationnels plus vulnérables vis-à-vis des rayonnements ionisants.
La justification de l’examen revient à poser l’indication. Elle intègre également d’autres éléments comme le fait de rechercher si des examens récents du même type ont déjà été réalisés. Elle repose en fait sur l’analyse du rapport bénéfice/risque.
L’optimisation correspond, en radiodiagnostic, à l’obtention de l’information souhaitée avec une exposition minimale du patient. Jusqu’à maintenant, le principe ALARA (pour As Low As Resonably Achievable) devait être systématiquement appliqué dans notre activité en maintenant les doses à un niveau le plus faible possible tout en permettant d’obtenir l’information radiologique souhaitée. Une volonté démesurée de réduire les doses conduirait à des images trop peu contrastées ne permettant pas de poser un diagnostic fiable, rendant de facto l’examen et son irradiation inhérente, même faible, totalement inutiles. Ainsi, récemment, la National Commission on Radiation Protection and Measurements (NCRP) a préconisé la modification de ce principe en principe ALADA pour « As Low As Diagnostically Acceptable » constatant que de nombreux opérateurs avaient tendance à réaliser de belles images alors qu’un simple diagnostic était nécessaire, exposant par la même occasion leurs patients à des irradiations inutiles.
YD : D’un point de vue pratique, la synergie de différents procédés d’optimisation doit permettre de réduire significativement la dose reçue par le patient. Ces procédés comprennent : le choix et la maintenance des appareils, l’application de procédures lors de la réalisation de l’acte, les programmes d’assurance-qualité. Comme nous l’avons signalé précédemment, les performances dosimétriques des appareils doivent être étudiées avant une acquisition éventuelle. Ceci est donc rattaché au principe d’optimisation des doses.
A-t-on besoin d’une formation spécifique à ce type d’imagerie ?
PR : Le projet SedentexCT (2008-2011) a permis à l’European Academy of Dentomaxillofacial Radiology (EADMFR) de rédiger des recommandations concernant l’imagerie sectionnelle à faisceau conique, recommandations reprises par la Commission Européenne dans son rapport de 2012. Parmi ces recommandations, le groupe de travail indique qu’une formation à la fois théorique et pratique est obligatoire et qu’une formation continue régulière est nécessaire après qualification. Elles doivent être délivrées par une institution académique (Université ou équivalent). Actuellement, en France, les formations se tiennent la plupart du temps sur une journée complète.
L’accès à des images dans tous les plans de l’espace, qui plus est lors d’acquisition avec des champs larges, impose au praticien de savoir déceler toute pathologie fortuite qui pourrait apparaître.
D’un point de vue médico-légal, l’orthodontiste serait responsable s’il ne diagnostiquait pas une image caractérisant une pathologie dévoilée au cours de l’examen, et s’il ne la prenait pas en charge directement ou en orientant le patient vers les praticiens compétents.
YD : Notons que la formation connexe à la radioprotection des patients, valable 10 ans, est obligatoire pour tous les spécialistes qualifiés en Orthopédie Dento-Faciale, qu’ils disposent d’un appareil CBCT dans leur structure ou pas. En tant que prescripteur, et même s’il ne dispose d’aucun appareil d’imagerie, quel qu’il soit, le praticien doit justifier la validation de cette formation connexe.
Quelles sont les indications des examens d’imagerie sectionnelle de type cone beam en orthodontie ?
PR : Les indications des explorations par tomographie volumétrique à faisceau conique en orthopédie dento-faciale ont été soumises à discussion. Actuellement, de nouvelles recommandations définies par un groupe d’experts français sont en cours de rédaction.
La règle première à appliquer est que la prescription ou la réalisation d’imagerie sectionnelle 3D ne doit être proposée que pour les cas où les explorations 2D de première intention ne s’avéreraient pas suffisantes. Dans la quasi-totalité des cas où un examen tomodensitométrique serait indiqué, l’examen cone beam sera préféré en raison de sa dosimétrie minorée. L’examen CBCT sera indiqué à partir du moment où il permet d’améliorer significativement les informations liées au diagnostic ou la prise en charge. Une fois l’indication posée, le champ de vue devra être systématiquement adapté à l’objet à explorer.
Parmi les propositions d’indications du CBCT en ODF discutées actuellement par le groupe d’experts français, nous pouvons citer :
• les dysmorphoses sévères, en particulier les asymétries,
• la planification d’une prise en charge ortho- chirurgicale,
• l’exploration des dents surnuméraires et des dents incluses dans le cas où les explorations 2D de première intention ne s’avèrent pas suffisantes (champs de vue limités),
• certaines anomalies crâniennes (fentes…) ,
• l’évaluation avant pose de mini-implants si suspicion de complications (petits champs).
Quelle est la cotation d’un examen CBCT en orthodontie ?
YD : L’examen CBCT est pris en charge par l’Assurance Maladie depuis la décision de l’UNCAM du 20 mars 2012 (JO du 7 juin 2012) et a été intégré à la classification commune des actes médicaux (CCAM). L’acte est intitulé « radiographie volumique par faisceau conique du maxillaire, de la mandibule et/ou des arcades dentaires » et présente le code « LAQK027 ». C’est un acte opposable qui peut être facturé 72,66 euros dont la prise en charge est limitée à des conditions particulières définies par la HAS et la CCAM. L’apport d’un complément d’information indispensable à la bonne conduite du traitement est nécessaire.
Les conditions d’application sont en lien avec les recommandations existantes. Or, ces dernières nécessitent d’être régulièrement reprécisées et rediscutées à la lumière des dernières études publiées.
La rédaction d’un compte rendu est-elle obligatoire et si oui, que doit-il comprendre ?
PR : À partir du moment où nous réalisons cet examen radiographique au sein de notre structure, nous devons rédiger un compte rendu justifié, comme pour n’importe quel examen complémentaire d’imagerie. C’est une obligation qui a valeur médico-légale. L’absence de production du compte rendu s’oppose à la facturation de l’acte et peut être considérée comme une faute professionnelle. (Bellaiche, 2016)
Ce compte rendu doit comporter le nom, le prénom, l’âge du patient, l’indication, la procédure utilisée lors de la réalisation de l’acte, la dose délivrée (PDS), les résultats et les conclusions médicales.
Par ailleurs, lorsqu’un praticien est prescripteur de ce type d’examen qui n’est pas réalisé dans sa structure mais délégué, il doit alors rédiger une demande détaillée conformément aux recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS) et de l’European Academy of Dentomaxillofacial Radiology (EADMFR). Les documents radiographiques récents doivent être fournis également.
Avec l’évolution technologique des machines, serons-nous bientôt en mesure de réaliser systématiquement des bilans ODF à partir d’examens d’imagerie effectués grâce à ces appareils cone beam ?
PR : A ce jour, les tomographies volumétriques numérisées à faisceau conique demeurent des examens de seconde intention, au même titre que les examens tomodensitométriques. Les examens de première intention regroupent les orthopantomogrammes et les téléradiographies de profil et de face dans les cas d’asymétrie. Les autres clichés pouvant être utiles à l’orthodontiste dans certains cas sont les clichés rétroalvéolaires, rétrocoronaires, ou occlusaux parfois déjà réalisés par le chirurgien-dentiste correspondant. Ces radiographies font également partie des examens de première intention.
YD : Concernant la céphalométrie 3D, des études s’avèrent encore nécessaires. Aucun bénéfice au niveau du diagnostic ou du plan de traitement n’a été démontré par rapport à la céphalométrie 2D. Aujourd’hui, les recherches visent à valider des méthodes d’analyse et des points de repère 3D. Par conséquent, la réalisation d’examen CBCT de routine pour de la céphalométrie 3D, de facto en utilisant de larges champs de vue, est contre-indiquée.
Tant que des différences significatives existeront entre la dosimétrie des appareils cone beam et celle du duo examen panoramique/examen(s) téléradiographique(s), cette imagerie sectionnelle 3D demeurera un examen de seconde intention.
PR : Des protocoles “basses doses” sont aujourd’hui introduits et peuvent permettre de voir évoluer cet examen d’imagerie sectionnelle vers un examen de première intention, sous réserve de validation de ces protocoles dans le cadre d’indications spécifiques. Il faut enfin rappeler qu’aucun examen radiographique ne doit être systématique. Il demeure un acte complémentaire dont la décision de réalisation repose en amont sur l’analyse de l’historique du patient, sur l’examen clinique, ou sur les nécessités de traitement. Sur ce dernier point, il peut être utile de rappeler que la validation de prérequis cumulatifs est nécessaires avant de prescrire des examens radiographiques de première intention pour un bilan orthodontique : l’analyse clinique doit objectiver la nécessité d’un traitement, l’hygiène bucco-dentaire doit être correcte, aucune lésion carieuse ne doit être observée, la probabilité d’acceptation de la proposition thérapeutique doit être élevée, le début du traitement doit se faire dans l’année (Foucard 2007, Rouas et al., 2014). Ces prérequis sont d’autant plus applicables dans le cadre d’un examen de type CBCT.
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