Quelles motivations pour les étudiants ? Quelles perspectives?
Objectif : répondre à un enjeu important
La répartition des chirurgiens-dentistes en France est très irrégulière en fonction des régions, des départements, voire à une échelle plus locale. En effet, des départements tels que Paris ou les Alpes-Maritimes présentent des densités supérieures à 110 praticiens pour 100 000 habitants, alors qu’elle est de 35 dans d’autres comme l’Orne ou la Creuse [1].
Face à cette disparité et à une offre de soins limitée dans certaines parties du territoire, les gouvernements successifs ont tenté régulièrement de promouvoir des aides pour les professionnels allant exercer dans ces zones sous dotées. L’une des dernières en date est le Contrat d’Engagement au Service Publique ou CESP.
Pourquoi signer ce contrat ?
Nous avons voulu en savoir plus sur les motivations des étudiants, susceptibles de les conduire à choisir une telle formule.
Pour cela, un questionnaire a été rédigé afin de connaître les impressions que peuvent avoir les étudiants en chirurgie dentaire face au CESP. 298 réponses ont été recueillies. Elles sont réparties de manière équitable entre les étudiants de chaque année d’étude (de la 2e à la 6e) et ceux de la faculté de Toulouse sont principalement représentés (64 %). Une grande majorité ont connaissance de ce contrat (87 %), ce qui est remarquable pour la deuxième année d’existence du CESP dans notre filière.
Le ressenti des étudiants face à la pertinence du CESP est bon puisque 88% en ont une bonne opinion. Mais paradoxalement, seulement 31% se sentent concernés. Parmi ces derniers, 40% expliquent leur intérêt pour ce contrat par l’intention initiale de s’installer dans une zone sous dotée en offre de soins et 70 % se disent motivés par l’attrait de la compensation financière (voir tableau page suivante). En ce qui concerne les “non-concernés”, 42 % expliquent leur manque d’intérêt par des projets qui ne sont pas en adéquation avec ce contrat, 25 % trouvent la durée d’engagement trop longue et 19 % ne souhaitent pas exercer en milieu rural.
Malgré son réel attrait, le CESP sera-t-il suffisant et efficace ?
Deux ans après sa création, un premier constat peut être établi : le CESP est attrayant pour les étudiants en chirurgie dentaire. En effet, tous les contrats disponibles ont été signés et même davantage puisque des contrats non signés en médecine ont été disponibles pour notre filière. Néanmoins, et bien qu’il soit trop tôt pour juger de l’impact du CESP sur la démographie professionnelle dentaire en France, quelques interrogations subsistent.
L’étude réalisée, malgré ses limites, montre une première fragilité à la proposition de contrat que constitue le CESP. En effet, 40 % des étudiants intéressés motivent leur choix par l’intention initiale de s’installer dans une zone concernée par le contrat. Cela signifie qu’un peu moins d’un signataire sur deux se serait certainement de toute façon installé dans une zone sous dotée en offre de soins sans contrepartie. 76 signataires ont été décomptés pour la campagne 2013-2014 ; on peut donc facilement imaginer qu’environ 45 d’entre eux (60 %) sont en fait représentatifs du gain réel de praticiens apporté par le CESP.
Première question : en admettant que ce chiffre soit constant, 45 praticiens par an distribués sur l’ensemble des zones sous peuplées en chirurgiens-dentistes en France vont-ils bouleverser les écarts existants ? Autre interrogation : une partie d’entre eux se contenteront-ils de remplir leur part du contrat ou s’installeront-ils de façon pérenne dans la région concernée ? L’incertitude est légitime, même si la plupart des intervenants considèrent que les jeunes confrères, devant une activité professionnelle tout à fait satisfaisante en volume, souhaiteront la conserver et éviter ainsi les difficultés probables d’une installation en centre-ville saturé.
Et si le CESP ne suffisait pas ? Que pourrait-il se passer ? Cette question est déjà préoccupante pour les jeunes étudiants qui débutent le cursus. Car oui, les chirurgiens-dentistes ne sont pas équitablement répartis sur le territoire français ; oui, l’offre de soins est faible dans certains départements ; et oui, il est important de trouver des réponses et des parades afin de corriger ces inégalités d’accès aux soins !
Parallèlement, et plus largement, il existe des principes qui encadrent la profession de chirurgien-dentiste, comme celle des médecins, par exemple la liberté d’installation. Quand on propose de “vendre” ou “d’échanger” sa liberté d’installation, ce principe est-il respecté ? Il en va de même pour le mode d’exercice : salarié, libéral ou mixte. Les postes disponibles dans les zones concernées par le CESP peuvent varier. Certes, les signataires ont eu le choix, mais se rendent-ils vraiment compte de ce qui les engage, alors qu’ils ne sont parfois qu’en 2e année ? L’engagement n’est pas anodin puisque le signataire hypothèque ses premières années d’exercice, d’autant que les recours pour suspendre le contrat sont pour le moins dissuasifs, avec des pénalités financières considérables [2].
Et après le CESP ?
Enfin, une dernière question se pose, en perspective et au-delà du CESP : faut-il craindre, souhaiter ou accepter l’apparition de mesures obligatoires ou coercitives après des résultats plus ou moins satisfaisants de mesures incitatives ?
Si le CESP, comme les mesures incitatives antérieures, ne donne pas les réponses escomptées, ne serait-ce pas la preuve de l’inefficacité des mesures incitatives ?
Les départs en retraite de praticiens travaillant encore dans des zones rurales ou isolées se profilent. Les disparités ne vont certainement pas cesser de croître immédiatement. En termes de santé publique, la question des ressources en chirurgiens-dentistes diplômés, de leur recrutement et de leur origine, reste entière et doit motiver professionnels de santé et décideurs politiques.
Références bibliographiques
1 . ONDPS – État des lieux de la démographie des chirurgiens-dentistes. Décembre 2013.
Disponible sur http://www.sante.gouv.fr/etat-des-lieux-de-la-demographie-des-chirurgiens-dentistes.html (page consul- tée le 20/6/2015).
2. David Jacotot, La Lettre de l’Ordre, n°131, octobre 2014, pp. 30-33.
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