Le cours magistral en question(s) ?

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  • Publié le . Paru dans Biomatériaux Cliniques n°2 - 15 octobre 2017
Information dentaire
Le cours magistral est apparu voici plus d’un millénaire, à une époque où l’imprimerie, et donc le livre, n’existaient pas. Il constituait alors la seule façon, pour les étudiants, d’accéder au « savoir » détenu par le savant (celui qui possédait la connaissance).
Depuis, l’imprimerie (en 1454) et, beaucoup plus récemment, le numérique, ont permis aux étudiants d’accéder au savoir autrement et plus rapidement. Quel rôle le cours magistral peut-il encore jouer ? Est-il efficace, c’est-à-dire favorise-t-il l’apprentissage des étudiants, surtout dans les disciplines de santé ?
C’est à ces questions que je vais essayer de répondre.

Le cours magistral s’inscrit dans le cadre des méthodes pédagogiques dites « expositives » où l’enseignant « transmet » à un groupe d’étudiants des informations sélectionnées par lui, en présentiel, au moyen d’un discours le plus souvent accompagné d’un support visuel [1]. C’est une conception transmissive et donc dissymétrique, de la pédagogie qui suppose une relation particulière entre l’enseignant (le seul détenteur du savoir) et l’étudiant (supposé vierge de toute connaissance). Le cours magistral est encore très largement répandu [2] et présente, pour ses défenseurs, quelques avantages déterminants :
– ils sont très adaptés à la « transmission » de connaissances déclaratives1 (connaissances de faits, de règles, de principes), de façon structurée (les connaissances sont classées, hiérarchisées par l’enseignant) ;
– ils peuvent constituer une synthèse de connaissances issues de sources diverses ;
– ils permettent, de façon économique, de transmettre en un temps réduit, beaucoup de connaissances à un public nombreux. La notion d’économie s’applique ici aux institutions, mais aussi aux enseignants eux-mêmes (temps passé à la préparation du cours et temps passé dans la relation pédagogique elle-même).
 

Le cours magistral est-il efficace, et donc, présente-t-il encore un intérêt ?

C’est un vaste débat dans nos facultés aujourd’hui et les réponses sont le plus souvent fondées sur nos expériences propres, l’idée que nous nous faisons de nous-mêmes (professeur ou maître de conférences !), de notre « mission » (pourquoi sommes-nous là ?), de l’opinion que nous avons de la qualité et de l’investissement de nos étudiants, mais assez peu sur les résultats, pourtant nombreux, des études scientifiques réalisées sur le sujet.
Pelaccia et Demeester [3], citant les travaux de McKeachie et al. [4], Freeman et al. [5] et Carpenter et al. [6], concluent que :
– la motivation, la mémorisation, le transfert et une capacité élevée de raisonnement et de résolution de problèmes sont favorisés par l’implication des étudiants de façon active, et les échanges entre étudiants et/ou étudiants et enseignants ;
– le taux d’échec des étudiants ayant suivi des cours magistraux (quels que soient les effectifs des groupes, la typologie du cours magistral et le niveau d’étude des étudiants) est supérieur à celui des étudiants ayant bénéficié de méthodes actives ;
– les étudiants sont (comme les enseignants) trompés eux-mêmes par l’effet de ce qu’ils perçoivent comme un « bon cours2 » sur leur apprentissage. Le fait que l’enseignant soit un bon communiquant ne favorise pas l’apprentissage.
Au regard de ces travaux, Jacques Tardif (2015) déclare : « Le cours magistral n’est pas un outil indispensable dans l’enseignement supérieur (…), même s’il pourrait contribuer dans certaines circonstances à l’apprentissage de quelques connaissances théoriques. »
 

Le cours magistral :

– favorise un apprentissage en surface aux dépens d’un apprentissage en profondeur3 ;
– peut laisser penser que l’ensemble des cours magistraux suivis dans le cadre d’un enseignement constitue le corpus complet des connaissances théoriques nécessaires à l’apprentissage ;
– est souvent complètement dissocié des apprentissages pratiques et contribue ainsi à confirmer pour l’étudiant que les connaissances théoriques ne sont pas essentielles à la construction de ses compétences ;
– entretient l’étudiant dans son rôle d’observateur passif.

Cela étant dit, même si le cours magistral est peu efficace, il est pour beaucoup d’établissements d’enseignement supérieur (dont les UFR d’odontologie) une condition de leur viabilité dans le contexte économique des universités en France.
C’est pourquoi il apparaît indispensable de proposer des stratégies permettant d’optimiser ce type d’enseignement, de l’animer en rendant les étudiants plus actifs. Ce sera l’objectif de la prochaine tribune.
 

A noter

1- Les connaissances déclaratives sont des informations factuelles. Elles correspondent aux connaissances théoriques reconnues
par une communauté de pratique à un moment déterminé, s’expriment le plus souvent sous forme de règles et s’actualisent dans les savoirs d’un individu. Mais les connaissances déclaratives, surtout dans leur mode de communication universitaire, sont déconnectées de leur mode d’emploi. Il s’agit de « savoir que » et non de « savoir comment ». Elles rapportent à un sens général, indépendant de tout contexte. Les connaissances procédurales correspondent, en général, au savoir-faire. Elles s’actualisent dans des séquences d’actions et répondent à la question « comment faire ? ».
Les connaissances conditionnelles se rapportent aux conditions de l’action. Elles correspondent souvent à des classifications, des catégorisations. Sans elles, les connaissances déclaratives restent des connaissances essentiellement « inertes », et les connaissances procédurales ne peuvent être activées ou le sont à mauvais escient. Les connaissances conditionnelles sont liées à l’opportunité ou à la nécessité d’utiliser un savoir, un savoir-faire, une stratégie. Elles sont en relation avec les questions « quand ? » et « pourquoi ? ». Elles doivent permettre notamment d’adapter les stratégies de résolution à une situation ou à une tâche. En ce sens elles sont éminemment contextualisées.
 
Pour résumer :
– je connais la classification des systèmes adhésifs : c’est une connaissance déclarative ;
– je sais utiliser les systèmes adhésifs : c’est une connaissance procédurale ;
– je sais dans quelle situation clinique on peut choisir et mettre en œuvre tel ou tel système adhésif et pourquoi je l’utilise de telle ou telle façon : c’est une connaissance conditionnelle.
 
On affirme souvent que toute connaissance est d’abord déclarative (le cours magistral est donc très utile…). De nombreux auteurs ont montré que ceci était loin d’être systématique : un étudiant peut très bien être capable de prendre une empreinte (connaissance procédurale) sans connaître la liste des matériaux à empreintes, ni leur composition, ni leur comportement biomécanique (connaissances déclaratives). Il aura cependant du mal à savoir comment choisir le matériau le mieux adapté à la situation clinique (crêtes édentées, préparations dentaires, piliers implantaires), s’il ne dispose pas de ces connaissances déclaratives.
 
2 – Pour les étudiant, le bon cours est celui fait par un « bon » enseignant, debout et regardant les étudiants, qui parle de façon fluide, sans notes ou sans regarder l’écran sur lequel est projeté le power point !
 
3 – L’apprentissage en profondeur correspond à des comportements où les étudiants font un traitement actif de l’information et utilisent des stratégies d’élaboration et d’organisation plutôt que des stratégies de mémorisation. Dans une approche en profondeur, les étudiants élaborent et organisent leurs connaissances, éprouvent le besoin de faire du sens avec les informations, ont une forte implication affective et utilisent davantage les ressources pour apprendre. C’est l’inverse lorsqu’ils optent pour une approche d’apprentissage en surface.
 
Les étudiants utilisent des stratégies de mémorisation et de reproduction des connaissances, ont un intérêt instrumental pour la connaissance, posent peu d’actions métacognitives, sont peu engagés affectivement et utilisent minimalement les ressources dont ils disposent [7].

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