Le secret professionnel aujourd’hui

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  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire (page 30-32)
Information dentaire
La règle du secret professionnel figure bien évidemment dans le Code de déontologie dentaire, mais sa formulation un peu lapidaire mérite, pour être bien comprise, quelques développements indispensables et la mise en lumière de certaines questions d’actualité.

I. Définition, révélation

Le secret professionnel est traditionnellement considéré comme la « pierre angulaire » de la confiance que le patient fait à son praticien. Il existe au moins depuis le Ve siècle avant Jésus-Christ puisqu’il figure dans le Serment d’Hippocrate : « Les choses que, dans l’exercice ou même hors de l’exercice de mon art, je pourrai voir ou entendre sur l’existence des hommes et qui ne doivent pas être divulguées au dehors, je les tairai, estimant que ces choses-là ont droit au secret des Mystères. » On doit pouvoir tout dire à son médecin (mais aussi à son chirurgien-dentiste, car celui-ci a impérativement besoin de connaître l’état de santé général de son patient ainsi que les éventuels traitements qui lui ont été prescrits) sans craindre que le praticien puisse communiquer ces informations à des tiers. Le secret est donc nécessaire avant même d’être obligatoire.

Définition
Le secret professionnel est donc l’interdiction faite par la loi à une personne qui est dépositaire d’une information à caractère secret, notamment de par sa profession, de révéler ladite information.

Cette interdiction fondamentale est posée par l’article 226-13 du Code pénal (« La révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 e d’amende ») et par le Code de la santé publique dans son article L.1110-4 (article issu de la loi du 4 mars 2002) par le biais du respect de la vie privée (« toute personne prise en charge par un professionnel, un établissement, un réseau de santé ou tout autre organisme participant à la prévention et aux soins a droit au respect de sa vie privée et au secret des informations la concernant. Excepté dans les cas de dérogation, expressément prévus par la loi, ce secret couvre l’ensemble des informations concernant la personne venue à la connaissance du professionnel de santé… »). Les articles R.4127-206, 207 et 208 du Code de la santé publique cités en encadré trouvent place dans le titre premier intitulé « Devoirs généraux des chirurgiens-dentistes » et non pas dans le titre « Devoir des chirurgiens-dentistes envers les malades », ce qui implique qu’un praticien puisse être poursuivi pour violation du secret par le Procureur de la République ou le Conseil de l’Ordre même en l’absence de plainte d’un patient (et démontre le caractère d’ordre public de cette règle qui a pour base, non un intérêt particulier, mais un intérêt social). Les informations à caractère secret évoquées par le Code pénal, le Code de la santé publique et le Code de déontologie concernent bien entendu en premier lieu la nature des affections dentaires dont peuvent être atteints les patients, mais également ce qui a été « confié » par le patient, que la confidence soit grave (les différentes pathologies dont il peut souffrir) ou anodine, et ce qui a été vu, entendu ou compris par le praticien, à savoir des faits ou des situations sans rapport direct avec les soins.
En réalité, toute information concernant le patient est à caractère secret : ses maladies, ses problèmes familiaux ou financiers, ses opinions politiques, sa religion et même ses goûts en matière sportive ou littéraire (tous les aspects de la vie privée sont donc concernés comme le prévoit l’article L.1110-4 du Code de la santé publique qui évoque le respect de la vie privée) ainsi d’ailleurs que son nom.

Atteinte au secret médical
La révélation du nom d’un patient, qui peut être tentante si le patient est une personnalité connue, constitue l’un des exemples les plus fréquents de violation du secret médical. On peut citer ainsi une décision de la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des Chirurgiens-Dentistes en date du 30 décembre 2013 (n° 2122 et 2124) qui a infligé une interdiction d’exercer de 15 jours avec sursis à un praticien qui avait révélé à un journal le nom de certains de ses patients célèbres : « Considérant, en premier lieu, qu’il résulte des pièces du dossier que le site internet « (…) », mentionné ci-dessus, qui est un site d’informations ouvert au grand public, a énuméré, dans un article en date du 28 août 2011, intitulé « A.B., le dentiste des stars », de nombreuses personnalités comme étant des patients du Docteur B. ; que, selon les indications que celui-ci a lui-même données, ce site a, pour cela, utilisé des informations publiées dans le journal New York Times, informations que le Docteur B. reconnaît avoir accepté de « valider » à l’occasion d’une interview qu’il avait donné à ce journal ; que les affirmations selon lesquelles ces informations étaient largement connues et que le Docteur B. avait exigé du journal « le respect absolu de toute information personnelle ou médicale » sont sans portée dès lors que la simple révélation ou « validation » du nom d’un patient est une atteinte au secret médical. » En conséquence, il ne doit être communiqué à quiconque d’informations verbales ou écrites permettant de connaître le nom du patient, les affections dont il est atteint et le traitement qui lui est appliqué. Bien entendu, les lettres clefs utilisées par la CCAM ne sont pas considérées comme permettant d’identifier la nature des affections (la nomenclature a d’ailleurs été conçue à l’origine pour éviter que les tiers puissent identifier ces affections).

Révélation involontaire
Le praticien doit aussi être conscient du fait que la révélation interdite par le code pénal et le Code de déontologie n’est pas seulement la révélation volontaire, une révélation de secret tout à fait involontaire pourrait être aussi sanctionnée. Le domaine de l’e-santé est propice à ce genre d’incidents et on peut en donner deux exemples : – le courriel adressé par un praticien à son patient à propos de sa pathologie et du traitement de celle-ci peut être lu par un membre de la famille ou un tiers si la messagerie du destinataire n’est pas protégée par un mot de passe. Dans ce cas, le praticien pourrait être tenu pour responsable de cette violation pourtant involontaire du secret ; – les dossiers médicaux confiés à un hébergeur de données : si le praticien fait ce choix, il doit impérativement opter pour un partenaire agréé par le ministère de la Santé (liste disponible sur le site de l’ASIP Santé), faute de quoi sa responsabilité pourrait être mise en cause en cas de faille dans le système de protection des données personnelles de ses patients.

L’intention louable ne libère pas du secret
Une intention louable ne constitue pas un motif légitimant la violation du secret. Ainsi, un médecin a été condamné car, ami d’un peintre, il avait fait certaines révélations de nature à défendre la mémoire de celui-ci (arrêt de la chambre criminelle de la Cour de Cassation du 19 décembre 1885). C’est pourquoi, un praticien qui s’aperçoit que l’une de ses patientes fait l’objet de violences conjugales graves ne peut pas faire un signalement au Procureur de la République ou aux services de Police, sans l’accord de cette dernière (la situation est entièrement différente pour les patients mineurs). De même, un praticien qui estimerait que l’un de ses patients majeurs, du fait du port de vêtements ou d’accessoires religieux de plus en plus ostensibles ou du fait d’un discours politique ou religieux de plus en plus violent, est en train de se radicaliser ou de se laisser entraîner dans une dérive sectaire, n’a pas le droit, sauf à violer le secret médical, de le dénoncer à une quelconque autorité (il ne pourrait effectuer une telle dénonciation, nous le verrons plus loin, que s’il avait connaissance de la préparation d’un crime ou que son patient détient une arme). Plus banalement, il est faux de croire qu’un chirurgien-dentiste peut partager les informations qu’il détient à raison de son activité professionnelle avec un autre professionnel de santé tenu lui-même au secret comme un autre chirurgien-dentiste ou un médecin : même entre confrères ou avec un médecin, le secret ne se partage pas dès lors que les intéressés ne participent pas à la prise en charge du même patient. En effet, cette obligation au secret, selon la chambre criminelle de la Cour de Cassation qui l’a répétée dans de nombreux arrêts, est « générale et absolue »*.

Personne ne peut délier le chirurgien-dentiste de ce secret, hormis les dérogations légales ou jurisprudentielles qui seront examinées dans notre prochain article, publié le 8 mars.

* Voir par exemple Chambre Criminelle du 7 mars 1989, Bull. Crim. N° 109.

La règle du secret professionnel est énoncée dans trois articles successifs
Article R.4127-206 du Code de la santé publique : « Le secret professionnel s’impose à tout chirurgien-dentiste, sauf dérogations prévues par la loi.
Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du chirurgien-dentiste dans l’exercice de sa profession, c’est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, entendu ou compris. »
Article R.4127-207 : « Le chirurgien-dentiste doit veiller à ce que
les personnes qui l’assistent dans son travail soient instruites de leurs obligations en matière de secret professionnel et s’y conforment. »
Article R.4127-208 : « En vue de respecter le secret professionnel, tout chirurgien-dentiste doit veiller à la protection contre toute indiscrétion des fiches cliniques, des documents et des supports informatiques qu’il peut détenir ou utiliser concernant des patients.
Lorsqu’il utilise ses observations médicales pour des publications scientifiques, il doit faire en sorte que l’identification des patients soit impossible.

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