Mon patient est sous tutelle…

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  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire (page 40-42)
Information dentaire
Près de 800 000 personnes en France sont actuellement soumises aux régimes de la sauvegarde de justice, curatelle ou tutelle. Avec le vieillissement de la population, le chirurgien-dentiste sera amené à traiter de plus en plus de patients sous tutelle.
Décidée en cas de pathologie ou de handicap durables, le majeur est alors représenté pour tous les actes de la vie civile par un tuteur.
Dans un avis rendu en 2010, le Comité éthique et cancer note que « la prise en charge médicale des majeurs sous tutelle crée des responsabilités éthiques particulières et oblige à un souci de l’autre probablement plus exigeant ». Comment répondre à ces exigences ?

Situation

« Je soigne depuis plus de dix ans Madame Bernard, 74 ans. Elle m’apprend qu’elle a été placée sous tutelle par une décision du juge, à la demande de son fils. Elle a besoin de soins dentaires suivis par des traitements prothétiques. Elle n’est pas accompagnée et désire commencer le traitement.
Peut-elle recevoir seule l’information et consentir à ses soins ?
Dois-je demander à son tuteur de l’accompagner à chacune des séances ?
Peut-il ou doit-il assister à la consultation ?
Peut-elle avoir accès à son dossier médical ?
Qui signera les devis et réglera mes honoraires ?
Quel comportement dois-je adopter si le tuteur n’est pas d’accord avec mes propositions thérapeutiques ou avec ma patiente ?
Comment respecter cette patiente que je connais depuis si longtemps et qui semble aujourd’hui privée de son indépendance ? »

Réflexions du Docteur Hélène Denost
AHU Santé Publique – Odontologie Légale, UFR Odontologie de Bordeaux
Juriste spécialisée en Droit Médical et Santé Publique

La vulnérabilité de ces patients appelle une réflexion sur notre vision de la personne et de la relation de soins. L’évaluation de l’aptitude ou non de la personne âgée à consentir est toujours déterminante dans l’expression de sa volonté. L’expression du consentement ne suffit pas à légitimer l’action, encore faut-il que le consentement soit « éclairé » (1). Dans le cadre de la tutelle, la recherche du consentement de la personne sur les actes relatifs à sa personne est maintenue ainsi que son autonomie de décision dans la mesure où son état le permet(2). Le Code de la santé publique précise que, si l’information doit être délivrée au tuteur(3), le majeur protégé en est aussi destinataire et participe à la prise de décision « en fonction de sa capacité de discernement »(4). Son consentement doit être systématiquement recherché, « s’il est apte à exprimer sa volonté »(5). Dans cette relation tripartite, professionnel de santé-patient-tuteur, l’avis du représentant légal est vu comme l’expression de la volonté du patient. Son rôle est d’assister le praticien et le patient dans la recherche d’une solution thérapeutique compatible avec le respect et la dignité de la personne protégée. La mesure de protection, ordonnée par le juge, a pour effet de répartir les rôles entre le tuteur et le majeur protégé vis-à-vis des tiers. Pour autant, l’équilibre entre volonté législative de garantir la protection de la personne vulnérable et le respect de son autonomie et de sa volonté est loin d’être aisé à mettre en œuvre dans le cadre de la relation de soins.
Si, sur le plan financier, le rôle du tuteur est simple – il est seul habilité à signer le devis et à régler les honoraires –, les notions d’information et de consentement, de refus de soins, appellent de multiples interrogations. Une première application sur l’équilibre à trouver entre protection et autonomie tient en ce qu’aucun acte, sauf urgence vitale, ne peut être réalisé sans l’accord du patient. Dans la pratique, au quotidien, il conviendra de différencier les actes considérés comme courants, actes qui ne présentent pas de difficultés particulières ni de risques spécifiques, des actes portant gravement atteinte à l’intégrité corporelle. Pour les premiers, le tuteur est informé de la nécessité des soins, et il incombera au praticien, selon le degré de discernement du patient, de requérir l’accord du tuteur en complément du consentement du patient. Toutefois, il convient de relativiser cette autonomie en odontologie. Par le biais des finances, le tuteur peut s’opposer à une dépense, et donc avoir un “contrôle” sur le traitement. Or en matière de prothèse, l’aspect financier est l’un des facteurs d’influence des choix des patients. Pour ce qui est des actes portant gravement atteinte à l’intégrité corporelle, le consentement du tuteur ne suffit plus, et l’autorisation du juge des tutelles est requise. En tout état de cause, l’accord donné par le tuteur ne doit pas être recherché comme une autorisation déchargeant de toute responsabilité sur la nature des actes et les choix thérapeutiques proposés. Enfin, en matière de consultation du dossier patient, le tuteur est seul autorisé à accéder au dossier médical du majeur protégé(6).
La mesure de protection modifie l’image que les autres ont de la personne protégée. L’autonomie, fondée sur les capacités de délibérer et de décider, semble remise en cause, alors que les différentes évolutions législatives tendent à remettre la personne protégée au centre des décisions(7). Le respect des patients sous mesure de protection nécessite d’aller au-delà des simples impératifs juridiques, et passe par les fondements de la relation de soins, le respect de l’autonomie, la bienfaisance et la non-malfaisance. La règle de droit donne un cadre général, là où les règles éthiques s’attachent à la situation du patient qui est unique, permettant de donner un sens à une relation de soins dans le cadre d’une mesure de tutelle. « Être juste, au sens éthique du terme, n’est pas se borner à respecter le droit », mais « à traiter comme des semblables des êtres qui ne sont pas identiques »(8). La mesure de tutelle ne marque pas la fin de l’autonomie pour les personnes protégées, mais vise à accompagner afin de « protéger sans jamais diminuer »(9).

1 Loi du 4/3/2002 relative au système de soins et au droit
des malades.
2 Art. 459 al 1 du Code civil.
3 Art. L.1111-2 du Code de la santé publique
4 Art. L.1111-2 al. 5 du Code de la santé publique.
5 Art. L.1111-4 al. 6 du Code de la santé publique.
6 Article R. 1111-1 du Code de la santé publique.
7 Loi du 5/3/2007, entrée en vigueur en 2009.
8 Le Coz P. Petit traité de la décision médicale. Éditions
du Seuil. Mai 2007.
9 Fossier Thierry. « Projet de réforme des incapacités.
Un objectif à ne pas oublier : protéger sans jamais diminuer », Répertoire du notariat Defrénois, n° 1, janvier 200
5.

Réflexions du Docteur François Paysant
Maître de conférences des Universités, Faculté de médecine de Grenoble

Les effets d’une tutelle peuvent être vus selon deux axes :
– un axe droit de la personne, la mesure de protection étant destinée à éviter les positionnements contraires à ses intérêts ;
– un axe financier, la mesure devant protéger le patient de dépenses inconsidérées et d’acte de vente ou d’achat mettant en péril son capital.
Dans la situation proposée, la question touche à ces deux axes.
La décision des soins suppose un consentement éclairé. Pour qu’il y ait consentement, il faut que la personne soit en mesure de consentir. Or une personne sous tutelle doit être représentée dans les décisions. La situation présentée est singulière, car la proposition de soin émane d’un professionnel et repose sur les règles de l’art, le tuteur n’aura guère d’autre choix que de consentir aux soins, il ne nous semble pas que la patiente ait à être protégée contre une décision d’un bon professionnel.
La décision est susceptible d’occasionner des dépenses. Sur ce plan, la question mérite aussi débat. La proposition de soins n’aura un financement que très partiel par l’intéressé, les organismes sociaux, les mutuelles prenant la majeure partie des coûts. De plus, le professionnel sérieux fourni un devis conforme aux pratiques de la profession et le tuteur n’a guère d’autre choix que d’accepter ce devis, sauf à laisser sans soins la personne dont il a la charge. Sur cet aspect, la personne n’a pas à être protégée contre le professionnel.
Comme le fait remarquer le Dr Denost, et le préconise le législateur, la nécessité du consentement et la recherche de l’autonomie sont essentielles, elles sont également indispensables pour la coopération de la patiente aux différents soins qui seront nécessaires. Dans le cas présenté, la patiente est assez autonome, elle a pris rendez-vous, s’est présentée et a expliqué au praticien qu’elle était placée sous tutelle. Cela ne dénote pas d’une atteinte significative des fonctions supérieures et laisse présager d’une persistance du libre arbitre dans ses décisions.
D’un point de vue pratique, le praticien doit prendre en considération l’information donnée par la patiente. Il n’est pas de son ressort de juger du bien-fondé ou non de la mesure, il ignore le motif médical de cette mise sous protection (une pathologie atteignant de façon intermittente la patiente est potentiellement la raison de cette mesure). Il conviendra alors de donner l’information et d’obtenir le consentement tant de la patiente que de son tuteur, cela évitera les difficultés futures, notamment en termes financiers. Nous sommes loin des effets de la tutelle en matière de vente qui peuvent aller jusqu’à annuler une vente ou en modifier le prix.
Une hypothèse peut être discutée, dans le cas où Mme Bernard, sciemment ou de façon inconsciente, omet de prévenir le chirurgien-dentiste de la mesure de tutelle. À mes yeux, cela ne posera pas d’importants problèmes dès lors que le praticien aura proposé des soins conformes aux bonnes pratiques et aura fixé ses honoraires avec tact et modération. Le travail bien fait devra être payé et l’on ne pourra faire grief au professionnel d’aucun dommage.
Dernière remarque : le praticien de santé n’a pas à vérifier que ses patients bénéficient ou non d’une mesure de protection, contrairement aux notaires par exemple.

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