Séance solennelle de l’Académie Nationale de Chirurgie dentaire

  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire
Information dentaire

C’est dans le grand salon d’honneur de la Sorbonne que s’est tenue cette séance, le 23 mars dernier. Après avoir remercié le recteur de l’Université de Paris pour son accueil, le président de l’Académie, Michel Pompignoli, a prononcé une courte allocution entamée en évoquant l’origine du nom de Sorbonne, lié à Robert de Sorbon, théologien et chapelain de saint Louis et fondateur au XIIIe siècle du collège de Sorbonne.
Il a ensuite évoqué le parcours d’un praticien qui se voit confronté à la douleur dans l’exercice de sa pratique depuis sa première « piqûre » destinée à une anesthésie jusqu’à la découverte des relations entre soignant soigné et à la souffrance.
Dans une seconde partie, il a convenu de la nécessité d’évoquer l’actualité et la toute récente loi sur la fin de vie adoptée quelques jours auparavant par les élus. Il a souligné le caractère éthique de cette loi et proposé au comité national odontologique d’éthique et à son président de se pencher sur ce problème, constatant que les malades en fin de vie sont aussi nos patients.
Chaque année, il revient au secrétaire perpétuel l’honneur de présenter et d’accueillir, au nom de l’académie, les académiciens qui sont reçus membres titulaires de cette institution. Le secrétaire perpétuel, Michel Jourde, s’est donc réjoui de recevoir deux membres titulaires car, plus que jamais, la compagnie a besoin de personnalités compétentes dans les différents domaines de la médecine bucco-dentaire. Cet ensemble de chercheurs, d’enseignants, d’ordinaux, de confrères de grand talent permet aujourd’hui à l’institution de répondre aux questions qui lui sont posées, avec un maximum de pertinence scientifique et morale.
En 2011, dans son allocution, la secrétaire perpétuelle de l’Académie des sciences, Catherine Bréchignac, soulignait que l’un des rôles des académies est de continuer à susciter des débats scientifiques et à faire fructifier l’intelligence collective. C’est bien le sens du travail au quotidien de notre Académie, par les séances solennelles comme par les séances de travail et de l’ensemble de ses publications.
Recevoir les honneurs de cette institution implique aussi, de la part de ses membres, une présence et une participation assidues à ses travaux.
Terminant son allocution, le secrétaire perpétuel a remis solennellement l’épitoge et le diplôme de membre titulaire à deux académiciens, Marie-Claire Hugly et Philippe Calfon.
Le président, après une rapide présentation de chacun d’eux, a donné la parole aux trois conférenciers invités.
« Expériences de la douleur. Un détour anthropologique » Le Pr David Le Breton a évoqué tour à tour, s’appuyant sur des témoignages, sortes d’illustration de ses propos, différents aspects de la dualité douleur/souffrance. Il a d’abord abordé la souffrance qui s’attache à des expériences subies : maladies, séquelles d’accident, tortures. Mais il a rappelé que si la douleur est choisie ou assumée, elle engendre une souffrance minimale qui est le prix à payer d’une quête personnelle en allant au bout de soi-même et dépasser ses limites comme preuves de ses propres valeurs d’existence. Les coureurs de Marathon en sont un exemple comme ceux qui cherchent l’exploit de l’extrême aux dépits de leur propre vie. Pour David Le Breton, les scarifications chez les jeunes filles sont des réponses à des malheurs vécus. Elles désirent souffrir pour avoir moins mal dans leur cœur. « Se faire mal pour avoir moins mal. » Ici, le paradoxe est que la douleur choisie protège d’une souffrance qui est dans la vie. Il a terminé sa conférence en évoquant le sado masochisme et cet autre paradoxe d’une douleur qui aboutit à l’orgasme.
« Douleur et plaisir : d’inséparables jumeaux » Le Pr Alain Woda a débuté sa conférence en soulignant que l’expérience personnelle ainsi que diverses données de neuroscience et de pharmacologie tendent à montrer que, comme le disait Léonard de Vinci : « Plaisir et douleur sont deux inséparables jumeaux que l’on ne voit jamais l’un sans l’autre. » Le conférencier n’a pas abordé la recherche de la douleur à des fins hédoniques, mais s’est attaché à souligner divers aspects des comportements qu’il est convenu d’appeler normaux et qui, régissant toute notre vie, aboutissent à rechercher le plaisir et à fuir la douleur.
Le plaisir et la douleur sont à la fois des sensations, des émotions et des cognitions. Grâce à ces différents aspects, ils dirigent la conduite et permettent la survie de l’individu et de l’espèce. Leurs mécanismes s’accomplissent à travers un partage de certaines structures et mécanismes des systèmes nerveux périphérique et central.
Le plaisir peut être généré précisément par les mêmes substances qui inhibent la douleur. Ceci est illustré par la morphine qui est à la fois l’antidouleur et la drogue hédonique par excellence mais aussi par la plupart des substances antidouleur à action centrale. Contrairement à ce qui semble évident à première vue, la mise en route des voies excitatrices pourrait ne pas être l’élément essentiel de la douleur. La douleur résulte surtout d’une inhibition du système nerveux. Ceci correspondrait à une fermeture neurophysiologique mais fait écho à la fermeture psychologique dans le rapport à soi et aux autres et à une certaine attitude corporelle.
Parallèlement, le plaisir résulterait de la diminution des inhibitions ce qui, pour l’état psychologique, pour le rapport aux autres et pour l’attitude du corps correspondrait à une ouverture.
« L’influence thérapeutique en médecine de la douleur ou comment apaiser les maux par les mots » Le Pr Vianney Descroix a interrogé quant à lui la fameuse relation praticien/malade à la lumière de la spécificité de la médecine de la douleur et la façon dont, de ce colloque singulier, peut naître et s’entretenir une influence thérapeutique. Reprenant les différents paradigmes de la communication dans le soin (Albert Mehrabian et la roue de la communication, Paul Watzlawick et l’axiome d’impossibilité, Carl Rogers et l’empathie) il a insisté sur la force de l’influence en reprenant l’exemple aujourd’hui bien connu de l’hypnose comme moyen de modifier l’état de conscience ordinaire (Pierre Rainville).
En reprenant les travaux d’Elvira Lang, il a montré comment les mots que nous employons au cours de nos soins peuvent affecter les sensations et les émotions de nos patients et que l’utilisation d’une communication rassurante basée sur des processus de dissociation ou de focalisation permet d’être déjà thérapeutique. Ainsi, grâce à une technique dite de recadrage et reprenant les travaux de Fabrizio Benedetti, le conférencier a montré comment les praticiens peuvent rationaliser le cerveau émotionnel de nos patients.
Enfin, il a conclu son exposé par une question presque éthique de ce que nous pouvons ressentir de ce qu’éprouvent nos patients, entre autres en ce qui concerne la douleur. Ainsi, grâce aux travaux, notamment de Nicolas Danziger, il ne semble pas nécessaire d’avoir soi-même vécu l’expérience douloureuse pour percevoir et ressentir celle de l’autre. Alors, sans expérience douloureuse, imaginer la douleur de l’autre nécessite de mobiliser des capacités d’empathie.
A la fin de la séance, le président, avant d’inviter l’assemblée à un buffet d’amitié, a remercié les représentants des trois mécènes, les sociétés Pierre Fabre, W&H et Zimmer, de leur implication dans la vie de la compagnie.
Cette séance montre une nouvelle fois l’importance et le rôle que toute académie se doit de jouer dans le cadre des sciences en général et celles de la médecine en particulier

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