Tests génétiques en odontologie

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  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire (page 26-28)
Information dentaire
Selon le CCNE*, la prise en charge des personnes porteuses d’un handicap ou atteintes d’une maladie, notamment chronique et/ou évolutive, comporte une dimension humaine prépondérante. Aussi, de nombreuses questions éthiques sont associées au développement des tests génétiques utilisés pour identifier les caractéristiques de génomes qui pourraient être liées à une maladie. Cette information est le fruit de progrès médicaux qui doit rester confidentielle. Mais il en résulte aussi d’importantes conséquences pour l’organisation de la vie du patient : la manière dont il réagit à l’information fournie, sa protection contre la discrimination sur le marché du travail, au niveau de l’assistance médicale ou encore du point de vue des assurances et la stigmatisation du handicap. Depuis 2004, la Commission européenne a publié des recommandations éthiques**, car la préoccupation manifestée par le grand public vis-à-vis des tests génétiques résulte notamment de la crainte d’un usage détourné des données génétiques et de leur accès inapproprié par des tiers.

Situation
Madame Durand a 35 ans. Elle souffre d’une parodontopathie sévère. Elle est enceinte et me consulte, car elle a appris l’engouement des chercheurs pour la mise au point de tests génétiques dans ce domaine. Elle craint de perdre ses dents et veut souscrire à une assurance complémentaire qui pourrait couvrir ses futurs frais dentaires. Elle me questionne sur l’accès aux résultats par sa mutuelle, car elle pourrait voir sa prime majorée de façon importante ou se voir refuser la garantie.
Elle craint aussi de transmettre à son enfant cette pathologie et désire mettre en place toutes les formes de prévention.
A quelles conditions de tels tests pourraient-ils être utilisés et régulés pour éviter toute dérive ?
Sous quelle forme ?
Sous la responsabilité de qui ?
Quand, comment et à qui communiquer les résultats ?
Comment rassurer ma patiente tout en restant vigilant sur l’utilisation de ces tests ?

Réflexions du Docteur Michel Jourde
Secrétaire perpétuel de l’Académie Nationale de Chirurgie Dentaire
Chirurgien-dentiste – Parodontologie exclusive

La question de l’implication génétique des maladies parodontales s’est longtemps posée.
Dans le même temps, la mise en évidence de nouveaux facteurs de risque des maladies parodontales ainsi que les nombreuses tentatives de classification de ces maladies rendaient difficile la mise en évidence de cette implication.
Sur le plan clinique, le parodontiste avait pu observer que, pour des patients présentant des dépôts de plaque quantitativement et qualitativement assez proches, la sévérité des formes cliniques était très différente.
On pouvait en conclure que la susceptibilité vis-à-vis des parodontites sévères était inégalement répartie dans la population, ce qui d’ailleurs a été confirmé dans la plupart des pays développés.
C’est assez récemment, vers la fin des années 1990, que l’hypothèse d’une prédisposition génétique aux maladies parodontales a été rapportée, avec un génotype spécifique de l’IL-1 associé aux parodontites sévères, entraînant une production d’IL-1 b beaucoup plus élevée.
Cela expliquerait la destruction importante des tissus parodontaux chez les individus ayant ce marqueur de susceptibilité.
Depuis quelques années, les cliniciens disposent d’un test de susceptibilité aux maladies parodontales dit test PST, qui leur indique que le patient a ou n’a pas un génotype spécifique le prédisposant aux maladies parodontales sévères.
Différentes indications dans le dépistage des sujets à risque ont été proposées en médecine parodontale, avec notamment l’utilisation de ce test chez les femmes enceintes.
Chez ces patientes, le praticien doit être très vigilant concernant la prise en charge des parodontites, notamment pour celles qui présentent un risque médical connu de naissance avant terme.
D’autres facteurs de risque peuvent être présents pendant la grossesse comme le tabagisme ou le diabète, la consommation excessive de tabac risquant de masquer la valeur prédictive de ce test.
Pour cette patiente, la réalisation éventuelle de ce test doit s’accompagner d’une complète information, en particulier sur les éléments recherchés et sur la signification du résultat.
Le praticien devra préciser, avant la réalisation du test ainsi qu’au moment de la présentation des résultats (strictement confidentiels), qu’il ne s’agit pas d’un test de diagnostic d’une maladie parodontale, mais d’un indicateur d’une susceptibilité génétique.
Sur le plan de l’éthique, contrairement à certains tests prédictifs de pathologies médicales, les risques de dérive avec les tests génétiques en odontologie sont pour l’instant limités.
Il conviendra cependant d’être vigilant, certaines compagnies d’assurances pourraient à l’avenir demander la réalisation de ces tests.
Si ce risque est peu probable dans l’immédiat, il doit inciter les chirurgiens-dentistes, dès à présent, à s’interroger en termes de déontologie et d’éthique sur les conditions d’utilisation de ces marqueurs  génétiques dont les performances vont rapidement s’améliorer.

* Comité Consultatif National d’Ehique (CCNE), 25 avril 2013. Avis 120 CCNE http://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/publications/avis-120.pdf
** http://ec.europa.eu/research/conferences/2004/genetic/pdf/recommendations_fr.pdf

Réflexions du Professeur Nicole Philip
Professeur des Universités – Praticien Hospitalier
Centre de Référence Anomalies du Développement et Syndromes Malformatifs PACA
Centre Pluridisciplinaire de Diagnostic Prénatal Marseille Centre
Département de Génétique Médicale
Hôpital d’Enfants de la Timone

Les progrès de la génétique font naître autant de craintes que d’espoirs, parfois démesurés au regard de leur application clinique. Les conditions de prescription et de réalisation des tests génétiques sont fixées par le Code de la santé publique depuis les lois de bioéthique de 1994 révisées en 2004 et 2011. Les règles de bonne pratique rédigées par l’agence de la biomédecine et la Haute Autorité de santé placent au centre des conditions de prescription l’utilité clinique du test. Celle-ci peut être directe pour le patient en termes d’amélioration du diagnostic, de mesures de soins ou de prévention ou indirecte pour la famille par le biais du conseil génétique ou dans le cadre d’un projet parental avec un éventuel diagnostic prénatal ou préimplantatoire.
Il convient tout d’abord d’informer la patiente que les parodontopathies sont des maladies polyfactorielles impliquant des facteurs environnementaux et des gènes de susceptibilité dont les mutations sont des facteurs de risque. Les rares formes mendéliennes (une mutation dont la présence est nécessaire et suffisante pour donner la maladie) sont liées à des déficits immunitaires. Le gène du syndrome d’Ehlers-Danlos de type VIII, forme dominante de parodontopathie, n’a pas encore été identifié.
Cependant, pour discuter des questions soulevées par ce cas clinique, plaçons-nous dans l’hypothèse où un gène responsable d’une forme totalement génétiquement déterminée serait identifié avec donc une possibilité de test génétique.
Il faut d’emblée s’interroger sur l’utilité clinique d’un tel test. Existe-t-il une possibilité d’amélioration des soins ou de prévention de la maladie en fonction du résultat ? C’est à vous (le praticien) de répondre à cette question. La seconde question concerne le conseil génétique. Dans le contexte de la grossesse, Madame Durand dit qu’elle désire mettre en place toutes les formes de prévention. On peut logiquement en déduire qu’elle envisagerait un diagnostic prénatal. Le diagnostic prénatal n’a de sens que s’il permet une prise en charge in utero ou immédiatement après la naissance ou si l’anomalie est assez grave pour justifier d’une interruption de la grossesse. La notion de « particulière gravité » est laissée à l’appréciation d’un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal qui s’appuie le cas échéant sur l’avis d’un spécialiste. Dans le cas d’une maladie parodontale, il semble probable que l’indication d’un diagnostic prénatal au motif d’une affection de particulière gravité ne sera pas retenue.
En revanche, en réponse à sa question sur une éventuelle utilisation des résultats des tests par sa mutuelle, elle n’a pas de crainte à avoir. En France, la question des assurances vis-à-vis des textes génétiques a été réglée par l’article L. 1141-1 du Code de la santé publique (loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé). Celui-ci postule que « (les assurances) ne doivent pas tenir compte des résultats de l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne demandant à bénéficier de cette garantie, même si ceux-ci leur sont transmis par la personne concernée ou avec son accord. En outre, (elles) ne peuvent poser aucune question relative aux tests génétiques et à leurs résultats, ni demander à une personne de se soumettre à des tests génétiques (…) ». Cependant, cette disposition ne s’applique pas aux autres données cliniques, biologiques, ou familiales. Madame Durand, qui a une pathologie déclarée, a l’obligation de loyauté, celle de renseigner un questionnaire et, le cas échéant, de se soumettre à des examens complémentaires demandés par l’assureur.
Il est important de lui expliquer pourquoi il n’y a aucune indication à réaliser un test génétique. Il ne s’agit pas de lui refuser l’accès à des examens, mais, dans l’état actuel des connaissances, ces analyses ne seront d’aucun bénéfice pour elle ni pour sa famille. On peut lui proposer de participer à un programme de recherche sur le sujet, de la tenir informée des avancées des recherches et de leurs éventuelles retombées cliniques.

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