Verres ionomères et prévention carieuse

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  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire n°35 - 12 octobre 2022 (page 6-7)
Information dentaire
Article analysé
• Ge KX, Quock R, Chu CH, Yu OY. The preventive effect of glass ionomer restorations on new caries formation: A systematic review and meta-analysis. J Dent. 2022 Oct;125:104272.

Si la plupart d’entre nous utilisent très régulièrement les ciments verre-ionomères modifiés par adjonction de résine (CVIMAR) pour le scellement des prothèses fixées, moins nombreux sont aussi ceux qui emploient régulièrement les ciments verre-ionomères (CVI) comme matériaux de restauration directe. Les auteurs de la revue de littérature rapportée rappellent ainsi dans leur introduction les avantages et les inconvénients des verre-ionomères classiques (CVIC), développés en 1969, et qui ne contiennent pas de résine. Parmi les avantages de ce matériau, ils notent sa capacité d’adhésion aux tissus dentaires, sa biocompatibilité, sa capacité à relarguer du fluor à long terme et sa simplicité clinique de mise en œuvre. Ses principaux inconvénients concernent sa sensibilité à l’humidité, ses faibles propriétés mécaniques et son aspect peu esthétique. Pour tenter de les dépasser, les CVI ont fait l’objet en 1989 d’une évolution notable par adjonction de résine dans leur matrice avec l’ambition de les rendre plus résistants et plus esthétiques, tout en espérant conserver leurs mêmes avantages.

Les auteurs de cet article se sont intéressés à déterminer si les CVI pouvaient avoir une action préventive vis-à-vis de nouvelles lésions carieuses par rapport aux autres types de matériaux d’obturation. Ils ont ainsi mené une revue systématique de littérature à partir d’une recherche par mots clés dans 4 bases de données remarquables employées dans le domaine de la santé (Pubmed, Web of science, Cochrane et Scopus). Sur 5456 études initialement détectées, 10 seulement ont rencontré les critères d’inclusion correspondant à la question précise posée, dont 4 ont pu être utilisées finalement pour la réalisation d’une méta-analyse. Les résultats de cette publication montrent que les patients avec des restaurations au CVIC (classiques) présentent une incidence de nouvelles caries inférieure à ceux réhabilités par d’autres matériaux, ce qui démontre une meilleure action préventive de ce matériau, tandis que les CVIMAR ne présentent pas, quant à eux, de meilleurs effets préventifs que d’autres matériaux de restauration.

L’hypothèse explicative proposée est liée à la capacité des CVIC à relarguer du fluor inclus dans leur composition, mais aussi à se recharger en fluor à partir du dentifrice employé pendant le brossage des dents pour le relarguer ensuite. En plus de son action topique sur la qualité de l’émail, le fluor peut inhiber la formation du biofilm bactérien formé par S. mutans ainsi que par d’autres espèces bactériennes. Les CVIC ont donc un meilleur effet cariostatique que les CVIMAR, ce que les auteurs expliquent par la présence de résine hydrophobe dans les CVIMAR, qui affecte négativement la cinétique de relargage du fluor qui a besoin d’un environnement aqueux hydrique pour effectuer des échanges. Dans leur discussion, les auteurs relèvent toutefois la faible période de suivi des études incluses dans leur revue, dont 7 présentent un suivi inférieur à 3 ans. Ils expliquent cela par les faibles propriétés mécaniques des CVI qui font le plus souvent l’objet de fractures ou d’usures prématurées (10 % après 2 ans).

Pour aller plus loin : découvrez l’article complet
« Les verre-ionomères de restauration, en toute simplicité ».
Par Anne Raskin et coll à paraître dans BMC 2022 ; 7(2).

Questions à…

Anne Raskin

PU-PH en biomatériaux directrice adjointe de l’École de Médecine Dentaire de la Faculté des Sciences Médicales et ParaMédicales d’Aix-Marseille Université, en charge de la recherche, chef de service et chef du pôle Odontologie

Pouvez-vous nous rappeler brièvement les caractéristiques essentielles qui différencient les verre-ionomères (CVIC et CVIMAR) des résines composites ?

Anne Raskin : Par définition, un verre-ionomère est un ciment (CVI) qui est une poudre minérale très fine, obtenue par broyage qui, mélangée avec un liquide, forme une pâte (appelée usuellement ciment) qui durcit. Dans le cas des CVI, cette poudre est de pH basique et le liquide, de l’acide dilué dans l’eau, est donc de pH acide. Ce ciment se forme selon une réaction acide-base de durcissement rapide entre une poudre de verre qui libère des ions et une solution aqueuse d’acide polyacrylique.

Les ciments verre-ionomères modifiés par adjonction de résine (CVIMAR) sont des CVI auxquels un pourcentage de résine (polymères) a été ajouté. Cette partie résineuse durcit par une réaction de polymérisation, comme les résines composites.

Une résine composite est un polymère, constitué d’une phase organique et de charges. La phase organique est la partie active du matériau puisque c’est en son sein que se passe la réaction de polymérisation. Les charges sont la partie inerte du matériau, mais n’en sont pas moins importantes, puisque c’est le renfort qui joue un rôle essentiel dans les propriétés mécaniques du matériau. La cohésion de ces deux entités indépendantes est garantie par la silanisation ou, plus récemment, par d’autres procédés plus complexes.

Quels sont pour vous les domaines d’indication privilégiés des CVI en restauration directe ?

A. R. : Les inconvénients des CVI sont leurs faibles propriétés mécaniques et l’efficacité limitée sur la libération des fluorures sur les lésions secondaires. Néanmoins, le questionnement principal doit concerner le risque carieux du patient, le stade de la lésion carieuse et son activité : un CVI peut être utilisé lorsque le patient est à risque carieux élevé ou présentant une lésion carieuse active ou si l’émail périphérique est absent. Les CVI/CVIMAR ne sont pas les matériaux de choix lorsqu’il y a une charge occlusale importante, en denture temporaire et permanente, le risque principal étant la fracture de la restauration. De ce fait, les CVI, tous les CVIMAR et certains CVI à haute viscosité (CVI-HV), plus résistants que la forme dite classique, restent des matériaux d’obturation temporaire et/ou des bases intermédiaires dans certaines situations.

La figure en illustration de cette revue de presse donne un aperçu des indications des CVI en restauration directe lorsque le risque carieux est élevé, la lésion carieuse active ou encore l’émail périphérique absent.

En votre qualité de chercheuse, quelles molécules pensez-vous pouvoir intégrer dans la formulation des futurs matériaux de restauration directe pour améliorer leur action préventive
vis-à-vis des nouvelles lésions carieuses ?

A. R. : Le fluorure diamine d’argent (SDF), malgré la coloration noirâtre qu’il engendre, donne des résultats encourageants sur l’arrêt de l’évolution des lésions carieuses. Par ailleurs, l’inclusion du monomère MDPB dans les adhésifs donne de bons résultats de par son effet anti­bactérien.

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