Situation clinique
Une patiente de 17 ans se présente en consultation, adressée par son orthodontiste (Dr Franck Hervé, Le Mans). Elle présente une agénésie de 12 ainsi qu’une 22 riziforme. Le traitement d’orthodontie touche à sa fin, et il a été décidé de maintenir l’espace ouvert en 12 afin de remplacer la dent absente (fig. 1).
Réflexion thérapeutique
Au vu du jeune âge de la patiente, l’implant est contre-indiqué du fait de la croissance résiduelle des maxillaires pendant encore plusieurs années [1]. La couronne sur implant risquerait, quelques années plus tard, de se trouver en décalage, créant ainsi un préjudice esthétique important et une dysharmonie au niveau de la ligne des collets. Une solution collée est alors envisagée.
Cette patiente présente des dents fines et une occlusion relativement verrouillée, même s’il n’existe pas de supraclusion (overbite d’environ 3 mm). De plus, il n’existe pas de parafonctions associées.
Nous choisissons donc de lui proposer un bridge collé à une seule ailette (cantilever) tout céramique. En effet, dans une étude de 2005, Matthias Kern montre un taux de survie plus important des bridges à une seule ailette par rapport aux bridges à deux ailettes [2]. Au préalable, un éclaircissement externe peut être réalisé afin d’augmenter la luminosité des dents et faciliter ainsi l’intégration de la restauration définitive. De plus, au vu de la faible épaisseur des dents et de son occlusion, il est fortement probable que nous choisissions un cantilever avec une armature en zircone, plutôt qu’en disilicate de lithium. La zircone augmente en effet l’opacité de la pièce, l’éclaircissement externe réalisé préalablement est d’autant plus recommandé.
Réalisation clinique
Après dépose des brackets, une prothèse amovible provisoire est confectionnée ainsi que des gouttières d’éclaircissement (3 semaines environ en port nocturne, peroxyde de carbamide à 10 %) (fig. 2 à 4).
Puis, à l’aide d’une fraise boule diamantée de gros diamètre (023 bague rouge), une éviction gingivale est réalisée sous anesthésie locale. L’intrados du provisoire est immédiatement rebasé au composite afin de venir épouser étroitement le parodonte, pour recréer une émergence de l’intermédiaire de bridge la plus naturelle possible (notion d’« ovalisation » du sommet crestal). (fig. 5a-c).
Préparation et empreinte
Après 3 semaines, la préparation de la dent support et l’empreinte définitive peuvent être réalisées (fig. 6). Une préparation a minima de la face palatine de la dent support est effectuée [3].
Elle consiste en un léger congé cervical à distance de la gencive (0,6 mm), une corniche occlusale ainsi qu’une boîte de connexion proximale (dont les mesures idéales sont de 4 mm sur 3 mm) en regard de la crête édentée [1].
Le laboratoire de prothèse (Hélène & Didier Crescenzo, Laboratoire Esthetic Oral) confirme la nécessité de passer sur une armature en zircone, qui sera ensuite stratifiée. En effet, la surface de la boîte de connexion en distal de 11 est bien inférieure aux 12 mm2 recommandés pour un dispositif en disilicate de lithium [1], alors qu’une connexion de seulement 6 mm2 est possible avec la zircone.
À noter ici que la limite de préparation proximale est un peu trop étendue. Elle doit, dans la mesure du possible, rester sur la moitié palatine de la face proximale de 11. Débordant sur la partie vestibulaire de la face proximale, le risque est qu’elle soit visible, d’autant plus avec une armature en zircone, moins translucide que le disilicate de lithium.
Essai du biscuit
Un essayage du biscuit est réalisé et les photos envoyées au laboratoire afin de réaliser les dernières corrections esthétiques.
Étape du collage
Après essayage de la pièce (fig. 7) et validation de l’insertion à l’aide d’une clé de repositionnement (clé de collage) fournie par le laboratoire, un champ opératoire est mis en place, de prémolaire à prémolaire. La face palatine est sablée à l’oxyde d’alumine à 50 microns, puis le collage est réalisé à l’aide d’une colle composite (Panavia F2.0) caractérisée par ses groupements phosphates [4].
Parallèlement à cela, le laboratoire réalise un wax-up de l’incisive riziforme en 22 et fournit une clé silicone afin de pouvoir réaliser le composite stratifié sur 22 mais aussi au niveau de l’angle de 11 légèrement cassé.
Contrôle postopératoire
La patiente est revue en contrôle le mois suivant ; on apprécie à cette échéance l’intégration esthétique et parodontale (fig. 8a-b).
Le contrôle réalisé à 3 ans et demi met en évidence une bonne intégration biologique et esthétique du bridge cantilever (fig. 9). Cependant, le composite de 22 a quelque peu vieilli et le bord libre de 11 s’est de nouveau ébréché. La patiente est toutefois extrêmement satisfaite. Alors étudiante, elle reconnaît avoir tendance à mordiller ses stylos, et ce, surtout du côté droit, cela expliquant la fracture du composite. Le bridge cantilever a toutefois résisté. Nous avons fait prendre conscience à la patiente des facteurs de risques biomécaniques majeurs avec ce tic.
En conclusion, les bridges collés cantilever tout céramique nous permettent de proposer une solution fiable et esthétique aux patients présentant des agénésies des incisives latérales [5].
Ce qu’il faut retenir
• Le choix d’une armature en zircone ou d’un dispositif tout céramique de type disilicate de lithium dépend principalement de la surface de connexion disponible qui doit être supérieure à 12 mm2 pour le disilicate et supérieure à 6 mm2 pour la zircone [1].
• Un collage méticuleux sous champ opératoire est requis.
• Il faut veiller à ne pas trop étendre la préparation de la dent support en vestibulaire afin que la limite ne soit pas visible.
• Ce dispositif ne doit pas être proposé si l’occlusion ne le permet pas, ou s’il existe des parafonctions. Dans ce cas, un temps orthodontique préprothétique est nécessaire.
• Penser à proposer un éclaircissement préalable permettant souvent une meilleure intégration esthétique.
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