Du bon usage d’Internet par les chirurgiens-dentistes (Partie II)

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  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire (page 64-68)
Information dentaire
Nous vous proposons de poursuivre la réflexion sur le bon usage d’Internet par les chirurgiens-dentistes, entamée dans notre numéro du 16 avril, à travers cette réflexion proposée par une spécialiste mondiale dans ce domaine : Célia Boyer, Directrice exécutive de la Fondation Health On the Net.

Bases de la réflexion
Après vingt et un ans d’existence, le World Wide Web et Internet ont radicalement transformé les habitudes des personnes dans quasiment toutes les sphères de la vie. Le domaine de la santé n’est pas resté étranger à ce phénomène. De nos jours, il est courant de s’informer sur les questions de santé en consultant Internet et beaucoup de professionnels en font usage dans leur pratique quotidienne. La libre circulation
de l’information de santé pose néanmoins deux problèmes : la question de la qualité de l’information disponible et le contrôle du respect de la confidentialité des données privées. Les gouvernements de part
et d’autre de l’Atlantique se sont penchés sur le sujet, proposant des critères de qualité et mettant en place un certain nombre de lois qui s’appliquent principalement à la confidentialité. La qualité de l’information reste un sujet difficile à réguler et contrôler.
Cette réflexion présente une vue d’ensemble du phénomène de « l’Internet santé » au travers de la  problématique complexe des sites de professionnels de santé. Pour contribuer à améliorer cette situation, des Organisations Non Gouvernementales (ONG) telles que la Fondation Health On the Net en Suisse ont mis en place des initiatives éthiques avec lesquelles les fournisseurs d’information coopèrent volontairement afin de respecter des standards communs et s’engager auprès de leurs internautes. Finalement, cette réflexion introduit les initiatives développées par la Fondation Health On the Net.

Un outil de santé publique
La croissance fulgurante du World Wide Web a imposé Internet et a transformé radicalement les habitudes des personnes l’utilisant, à tel point qu’il est devenu un outil indispensable dans beaucoup de domaines de la vie quotidienne. Après vingt-quatre ans1 de World Wide Web, les statistiques montrent que plus de 2,4 milliards de personnes utilisent Internet (Internet World Stats, 2013). Dans le domaine de la santé, ce phénomène se reflète par la présence des centaines de milliers de sites web qui fournissent de l’information de santé. Donc, le défi n’est plus d’être présent sur Internet, mais comment attirer l’attention et avoir le plus de visiteurs. La valeur économique sur Internet est le clic des utilisateurs. 80 % des recherches d’information de santé sur le Web se font à partir d’un moteur de recherche (Pew Internet & American Life Project – 2013 report). Donc, l’optimisation des moteurs de recherche « search engine optimization » est cruciale. Elle permet d’assurer l’une des premières places dans les résultats des moteurs les plus utilisés. Cette frénésie du chiffre et de la visibilité touche tous les types de sites, y compris les sites de santé développés par les professionnels de santé. Le patient ne se fie plus uniquement aux conseils de son médecin traitant, ses amis ou voisins, mais se fait son propre jugement en visitant le site Internet du médecin ou du spécialiste ou sur la base des informations qu’il récolte sur Internet à son sujet.
En ce sens, Internet s’impose désormais comme un outil de santé publique avec de nombreux avantages, mais également avec certains dangers. L’urgence des problèmes éthiques et juridiques suit l’usage exponentiel des technologies qui sont issues et liées à Internet. La qualité de l’information de santé fournie et de la protection des données médicales des utilisateurs sera le garant de l’évolution et de l’usage de l’Internet.
C’est dans ce contexte que la Fondation Health On the Net (HON) a pour mission, depuis plus de dix-huit ans, d’accompagner les internautes vers de l’information de santé fiable en développant des outils et des services spécifiques pour mieux répondre à leurs besoins. Cet article aborde des solutions et des projets mis en place pour faire face aux besoins croissants de régulation en matière de qualité et de confidentialité, pour optimiser l’accès et la participation des citoyens à une information de santé fiable et pour que de meilleurs moyens soient disponibles pour les professionnels de santé.

Initiatives pour unifier la présentation des sites Internet d’éditeurs de santé
On assiste à une prise de conscience de l’importance d’éduquer et guider les internautes et les fournisseurs d’information de santé sur Internet vers de l’information de santé digne de confiance. D’un côté, les institutions européennes, nationales et les gouvernements explorent le terrain et avancent avec des directives relatives à la qualité de l’information en ligne. De l’autre, les institutions non gouvernementales ont entrepris des initiatives éthiques dès les premiers pas du World Wide Web, afin que les internautes soient mieux informés. Certaines de ces initiatives sont encore actives et des institutions cherchent en permanence à s’adapter aux changements rapides d’Internet.

Régulation et initiatives en France
Les Ordres nationaux des médecins, des chirurgiens-dentistes et des sages-femmes ont reconnu que l’information sur Internet peut améliorer le service médical rendu aux patients. Ils ont pris en compte le rôle de l’Internet santé dans la relation patient-professionnel de santé. Toutefois, ces Ordres s’accordent sur le fait qu’il est impératif et travaillent afin que les principes de l’éthique et de la déontologie soient respectés. En effet, les dispositions du Code de la santé publique en France établissent clairement que l’exercice des médecins, des chirurgiens-dentistes ou des sages-femmes ne doit pas être pratiqué comme un commerce (respectivement articles R4127-192 ; R4127-215 ; R4127-310 du Code de la santé publique). En conséquence, le site d’un médecin, d’un chirurgien-dentiste ou d’un chirurgien esthétique ne doit pas être de nature publicitaire, mais doit rester un outil donnant des informations éthiques, pertinentes et de qualité au service de l’information du public, des patients, des professionnels de santé ou des confrères.
À noter que l’article R4127-310 du Code de santé publique a clairement établi que « la diffusion directe ou indirecte, notamment sur un site internet, de données informatives et objectives, qui soit présentent un caractère éducatif ou sanitaire, soit figurent parmi les mentions légales autorisées ou prescrites par les articles R. 4127-339 à R. 4127-341, soit sont relatives aux conditions d’accès au lieu d’exercice ou aux contacts possibles en cas d’urgence ou d’absence du professionnel » « ne constitue pas une publicité au sens de cet article ».
Nous allons prendre pour exemple l’Ordre National des Chirurgiens-Dentistes qui a publié en 2013 la « charte de qualité applicable aux sites web des chirurgiens-dentistes3 » permettant aux praticiens d’éditer ou d’héberger des informations médicales sur leur site tout en respectant les dispositions actuelles du Code de la santé publique quant à l’interdiction de toute forme de message à caractère publicitaire et à la garantie de fiabilité des informations médicales accessibles. Cette charte établit les limites concernant les titres et qualifications professionnelles, la présentation du cabinet et de l’exercice, ainsi que des informations médicales, la communication avec les internautes, le respect de la confidentialité entre autres.
À la connaissance de l’auteur, la charte de qualité applicable aux sites web des chirurgiens-dentistes et celles des médecins n’abordent pas la problématique des photos avant/après. Cet aspect critique sera abordé dans cet article.

La Fondation HON et la certification HONcode
La Fondation HON4 propose des règles de conduite essentielles afin d’orienter les internautes vers une information de santé respectant des critères éthiques et de qualité et optimiser leur usage du Web. Cependant, l’absence ou le manque de réglementation rend difficile d’imposer aux webmasters une application de règles éthiques minimales et uniformes. HON se veut une structure guidant et épaulant les éditeurs de sites afin qu’ils puissent respecter leur engagement éthique. En ce sens, la démarche de la Fondation est de proposer aux éditeurs de sites une adhésion volontaire à ses règles.

Le HONcode
Il s’agit d’un ensemble de huit principes éthiques, définis dans le but de proposer un standard de transparence des pratiques dans le domaine de l’Internet santé et visant à améliorer la qualité de l’information offerte au public. Chaque principe existe en deux versions, une courte pour l’internaute lecteur (tableau 1 ci-contre) et une plus longue pour le professionnel de santé et/ou responsable de sites web.

La certification
La Fondation HON effectue l’activité de certification des sites de santé depuis 1996. La certification est fondée sur le respect des huit principes du HONcode par les sites de santé. C’est une démarche volontaire de l’éditeur du site qui, en la demandant, traduit son adhésion à ces principes et son engagement à les respecter. La certification est gratuite pour l’éditeur du site.
Le processus de certification s’appuie, entre autres, sur les éléments suivants :
– la vérification permanente du respect du HONcode : demande de certification par l’éditeur du site, révision de ce dernier par l’équipe de HON, contrôles ultérieurs au hasard et systèmes de plaintes en ligne à l’intention des internautes ;
– les moyens humains de HON ;
– une base de données des sites certifiés de 102 pays ;
– les sceaux dynamiques « HONcode » (dont les logos visibles sur les pages web des sites certifiés changent instantanément en fonction du statut de certification du site web : certifié en réexamen, invalide) ;
– d’autres outils qui soutiennent la révision, tels que la détection automatique des principes.

LE LOGO HONcode

Le sceau HONcode permet aux internautes d’identifier un site certifié. En cas de réexamen ou de non-respect des principes du HONcode, des déclinaisons du logo clairement identifiables le remplacent automatiquement pour indiquer le statut du site. A ce jour, plus de 2 100 sites de santé ont été certifiés, dont environ 200 sont des sites de chirurgie plastique, esthétique ou dentaires.
Le sceau HONcode6 apparaît sur les sites web certifiés (sur un site web donné, le mois et l’année figurent sur le sceau).
Les sites de chirurgie esthétique ou de chirurgie dentaire présentent très fréquemment des photos avant/après. Cet aspect pose la question du respect du HONcode pour le principe de justification et le principe de la transparence entre le contenu éditorial et publicitaire.
La Fondation HON a remarqué que la publication d’images avant/après pose problème, car ces images peuvent fausser la décision des visiteurs du site et banalisent l’acte chirurgical et médical ou dentaire. Le visiteur ne voit que les opérations réussies, donc ces images peuvent induire la garantie du résultat. Les résultats sont propres à chaque patient, donc la garantie du résultat dans tous les cas les pas possible. Le visiteur n’est également pas conscient des risques et peut être incité à passer à l’acte. La fragilité psychologique du visiteur a également un impact sur la décision et l’interprétation du contenu qu’il va lire.
De plus, il est difficile de garantir que ces images n’ont pas été modifiées, si elles ont été prises de la même manière (par rapport aux circonstances telles qu’éclairage, position, situation et temps), combien de procédures ont été nécessaires pour aboutir à un tel résultat, dans quel état physique et psychique se trouvait la personne avant son intervention ? Cependant, ces images sont malgré tout un outil permettant d’illustrer l’information médicale et de montrer la faisabilité de certains actes, de guider et de rassurer le patient. Donc, la question de la façon de traiter les sites web publiant des images avant/après demande à être traitée. Par conséquent, HON a décidé de lancer une étude7 auprès de ses utilisateurs pour déterminer si des directives concernant la publication d’images avant/après étaient nécessaires, ainsi que la nécessité de présenter des images avant/après sur un site de santé.
Selon les résultats de l’étude menée par HON en 2011, la majorité des 1 365 sondés représentant le grand public (70,48 %) considèrent les images avant/après montrées sur un site web comme suspectes. Néanmoins, les sondés estiment également que les sites web devraient pouvoir afficher ces images en vue d’informer le public8.
À la suite de cette enquête, la Fondation Health On the Net a évalué les pratiques sur les différents sites de santé dans le monde et a introduit en 2013 une nouvelle directive conçue pour les sites présentant des images avant/après (voir encadré page précédente). Elle vise à fournir des conseils dans la publication d’images avant/après sur les sites certifiés HONcode et les sites demandant la certification.

Directive : Images/vidéos avant/après concernant des traitements médicaux

1. Tant les images avant que les images après doivent être prises dans des circonstances similaires
par rapport à l’éclairage, la position du corps et de la tête, les paramétrages de la caméra, etc.

2. Les images ne doivent pas être modifiées. Les modifications sont acceptées uniquement lorsque le but
est de protéger l’identité du patient et lorsque les modifications ne présentent pas les résultats de la chirurgie de manière trompeuse.

3. Un texte doit accompagner l’image, expliquant au moins les points suivants :
– les images avant et après ont été prises dans des circonstances similaires ;
– les dates de la prise des images ;
– la/les date(s) de/des l’opération(s)
– Le nombre et le type d’opération(s) réalisée(s) ;
– une déclaration que le patient figurant sur l’image a donné son consentement écrit pour la publication des images et du texte accompagnant, i.e. que le patient atteste que les images et le texte accompagnant sont corrects ;
– une déclaration indiquant qu’un tel résultat ne peut être garanti du fait que chaque patient et chaque situation est unique.

Un consentement écrit du patient doit être obtenu avant la publication des images et du texte accompagnant.
L’organisation doit être en mesure de présenter ce consentement écrit s’il est demandé à des fins de vérification par la Fondation Health On the Net.

Conclusion
Un usage responsable d’Internet s’impose, mais encore faut-il connaître les outils, même simples. En ce sens, les efforts doivent s’intensifier pour faire connaître la diversité des dangers et des solutions et convaincre que les règles doivent accompagner les innovations.
Health On the Net a été créé pour aider à comprendre, à trouver, à vérifier et à partager l’information de santé sur internet. Son objectif est d’aider les éditeurs d’information de santé sur Internet et les usagers (individus ou institutions) dans leur démarche.
En conclusion, qui peut imaginer les usages de l’information en termes de santé dans quinze ans ? L’internet santé évolue avec une rapidité surprenante et s’il est indispensable de promouvoir et accompagner cette évolution, il est aussi nécessaire d’être responsable devant la singularité technologique dans ce domaine en commençant dès maintenant.

Notes
1. Le World Wide Web a été créé en mars 1989 au CERN, à Genève, et offre gratuitement une technologie associant internet à l’hypertexte. Un résumé est consultable sur http://info.cern.ch/default-fr.htm
2. http://www.legifrance.gouv.fr
3. Charte de qualité applicable aux sites web des chirurgiens-dentistes : http://www.ordre-chirurgiens-dentistes.fr/uploads/media/Charte_Internet_08_2012.pdf
4. Fondation HON : www.HealthOnNet.org
5. HONcode pour les éditeurs de sites web : http://www.hon.ch/HONcode/Webmasters/Conduct_f.html. HONcode pour les citoyens : http://www.hon.ch/HONcode/Patients/Concuct_f.html
6. Image du sceau d’exemple visible sur http://en.wikipedia.org/wiki/Fime:HONcodeLOGO.png
7. Résultats de l’étude menée par HON en 2011 : http://www.hon.ch/Survey/before-after-pics_f.html
8. http://www.hon.ch/Global/ped/24-11-2011-before-after-results.pdf
9. Singularité technologique : état/moment de la technologie quand celle-ci dépasse en intelligence les êtres humains, avec la possibilité d’échapper au contrôle de l’humanité et de transformer radicalement la vie humaine (en mieux dans le meilleur des cas). Prévue entre 2012 et 2045 selon les études de prospective.

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