Jeunes praticiens et déserts médicaux

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  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire n°14 - 10 avril 2019
Information dentaire
La difficulté et les inégalités d’accès aux soins bucco-dentaires constituent une réalité sur l’ensemble du territoire français. Il existe cependant des mesures destinées à encourager l’installation de praticiens dans les zones qualifiées de sous-dotées.

État des lieux et aides à l’installation

Démographie médicale et odontologie

Certaines régions regroupent davantage de professionnels de santé, mais il est difficile de dresser un constat généraliste car il existe des disparités dans la répartition des chirurgiens-dentistes au sein même des départements, par exemple selon que la zone est urbaine ou plus rurale. L’un des indicateurs les plus utilisés pour évaluer la démographie médicale correspond au ratio rapportant les effectifs de praticiens à la population du territoire donné : c’est la densité médicale [1]. Toutefois, il existe d’autres indicateurs qui permettent d’étudier plus précisément les habitudes de consommation de soins des patients. C’est l’intérêt notamment de la quantification des actes consommés par canton en France car elle mène au constat qu’un grand nombre de patients doit se déplacer, parfois sur de longues distances, pour recevoir des soins dentaires. Il ne peut être nié que les flux de patients entre différents secteurs géographiques sont liés à la répartition inégale des omnipraticiens et des spécialistes, moins nombreux encore. Pour exemple, dans le département du Lot, qui compte plus de 173 000 habitants [2], 101 praticiens sont recensés, parmi lesquels aucun n’est spécialiste en chirurgie orale ou en médecine bucco-dentaire. En découlent parfois des délais d’attente assez longs et un possible renoncement aux soins non urgents de la part des patients.

Pour autant, parler de désert médical reste compliqué tant les paramètres à prendre en compte sont nombreux. Il faut en effet considérer, selon la Direction de l’Information Légale et Administrative, l’offre de soins et la mettre en rapport avec les besoins de la population, deux notions délicates à quantifier. Il n’est pas simplement question de rapport entre le nombre de professionnels de santé et la taille de la population du territoire puisque, dans cette problématique, entrent également en jeu l’attractivité économique, l’offre de services et de loisirs, ainsi que les caractéristiques socio-économiques des habitants. De plus, le ministère des Solidarités et de la Santé a revu le 10 mars 2017 les critères permettant de définir un désert médical. À la densité de personnel soignant s’ajoutent désormais quatre nouveaux critères : les besoins de soins en fonction de l’âge des habitants, le temps d’accès par la route, le volume d’activité des médecins et leur âge (pour prévoir les départs à la retraite) [3].

Par ailleurs, des zonages ont été définis pour qualifier l’offre de soins dans les différents bassins de vie. Leur objectif est, à terme, de conduire à une meilleure répartition de l’offre médicale sur le territoire. Ces zonages sont déterminés selon les dispositions de l’article L. 1434-7 du Code de la santé publique et par les agences régionales de santé (ARS) qui les établissent selon « une densité pondérée en fonction de l’offre de soins et du recours aux soins dentaires ». Le nombre de praticiens dans le secteur concerné est ainsi rapporté à la population de ce même secteur, au taux de recours aux soins (pris en compte grâce à un coefficient de standardisation) et au besoin de soins (en fonction des actes consommés, du nombre de praticiens les réalisant, etc.). Les secteurs sont ensuite classés selon cinq niveaux de dotation sur la base de leur densité pondérée pour aller de zone très sous-dotée à zone sur-dotée (fig. 1).

1. Répartition des chirurgiens-dentistes en France (carte disponible au 19 avril 2018 sur le site internet https://cartosante.atlasante.fr). Les secteurs en rouge représentent les zones très sous-dotées, en jaune les zones sous-dotées, en blanc les zones à dotation intermédiaire, en vert les zones très dotées et en bleu les zones sur-dotées.

Les aides  à l’installation

Pour tenter de palier ces déserts médicaux, des mesures peuvent être mises en place pour inciter les jeunes professionnels de santé à s’installer dans les zones sous-dotées plutôt que dans celles à forte dotation en chirurgiens-dentistes. Certaines de ces mesures peuvent être établies dès le cursus de formation initiale dans les facultés, d’autres en début de carrière.

La plus connue est le Contrat d’Engagement de Service Public (CESP), créé par la loi « Hôpital, Patients, Santé, Territoire » (HPST) du 29 juillet 2009 [4, 5] et ouvert aux étudiants en odontologie depuis la rentrée universitaire 2013-2014 (fig. 2). Les étudiants retenus pour ce contrat perçoivent une allocation mensuelle de 1 200 e en échange d’un engagement à l’installation dans une zone sous-dotée en chirurgiens-dentistes à l’issue de leurs études. Les zones éligibles à de tels contrats sont établies par l’ARS et correspondent aux secteurs où la continuité des soins est menacée. À la suite de leur installation, les chirurgiens-dentistes doivent exercer dans la zone autant de temps qu’ils ont perçu l’allocation avec un minimum de deux ans. Ils bénéficient également d’un accompagnement individualisé durant leur formation et d’un soutien au moment de l’installation.

Ce dispositif revêt une double dimension. Sociale d’une part, car les étudiants peuvent prétendre à un CESP de la 2e année à la 6e année de formation (ou à la fin de l’internat) : le dispositif aide donc au financement des études. Citoyenne d’autre part, puisqu’il vise à augmenter l’attractivité et la maintenance d’un service de santé de proximité dans les zones sous-dotées. Le nombre de places disponibles est énoncé chaque année par arrêté. Entre 2013 et 2017, 367 contrats ont été proposés en odontologie et plus de 1 800 en prenant en compte toutes les spécialités médicales [6-8]. La liste des lieux d’installation préférentiels est établie et actualisée par les ARS et le Centre National de Gestion (CNG) en fonction des besoins dans les zones sous-dotées et de l’évolution de la carrière de l’étudiant, selon qu’il opte pour la voie de l’internat ou non. Toutefois, bien que le CNG propose 178 communes à pourvoir, le dernier arrêté du 29 novembre 2016 ne proposait que 112 places de CESP disponibles.

Depuis le 1er février 2013, le ministère des Solidarités et de la Santé a établi un contrat appelé incitatif [9], destiné aux jeunes praticiens et à ceux déjà installés dans les zones très sous-dotées. Il vise à favoriser, dans ces zones, l’installation et le maintien des chirurgiens-dentistes libéraux conventionnés. Il permet de percevoir une aide forfaitaire pour cinq ans pour toute nouvelle installation afin d’aider au financement des investissements professionnels, et de bénéficier d’une prise en charge des cotisations sociales dues au titre des allocations familiales pendant trois ans. Si le chirurgien-dentiste est déjà installé, c’est une aide au maintien en exercice. En contrepartie dans les deux cas, le praticien s’engage à exercer auprès de patients résidant dans la zone très sous-dotée et à avoir un taux de télétransmission de feuilles de soins supérieur ou égal à 70 % de son activité. L’ensemble de ces modalités est consultable sur le site internet de l’Assurance maladie (www.ameli.fr).

En outre, dans certains secteurs, les chirurgiens-dentistes peuvent prétendre à des exonérations fiscales lors de leur installation. Cela concerne les Zones Franches Urbaines (ZFU) ou Zones de Revitalisation Rurales (ZRR). Les premières correspondent à des quartiers urbains défavorisés alors que les secondes correspondent plutôt à des territoires ruraux. D’ici au 31 décembre 2020, tout praticien qui choisira de s’y installer pourra bénéficier d’une exonération d’impôt totale les cinq premières années, puis dégressive sur trois ans [10]. Il pourra également bénéficier d’une exonération de la cotisation foncière des entreprises dont la durée est comprise entre deux et cinq ans et d’une exonération pendant une année des cotisations sociales sur les salariés, en CDI ou CDD de minimum douze mois.

Enfin, il existe l’Aide aux Chômeurs Créateurs ou Repreneurs d’Entreprise (ACCRE) qui peut être demandée à l’ouverture ou à la reprise d’un cabinet. Même si elle ne concerne pas que les cabinets installés en désert médical, elle permet de bénéficier d’une exonération de cotisations sociales pendant les douze premiers mois suivant la création de l’entreprise.

Les Maisons de Santé Pluridisciplinaires comme nouveau modèle de travail
Une Maison de Santé Pluridisciplinaire (MSP) est constituée de professionnels médicaux, paramédicaux et éventuellement pharmaciens. Elle assure une activité de soins sans hébergement, une coordination des soins, une meilleure accessibilité et participe à des actions de santé publique orientée vers la prévention et l’éducation à la santé. Elle permet un exercice dans une structure pluridisciplinaire qui résout ainsi le problème de l’isolement des praticiens dans les zones sous-dotées. L’augmentation du nombre de MSP créées provient de la loi HPST qui avait pour objectif de privilégier une nouvelle organisation territoriale de l’offre de soins. L’élaboration d’un projet de santé par les professionnels engagés est une étape clé de la conception de la MSP car plusieurs critères doivent être respectés pour que l’ARS soutienne le dossier, par exemple favoriser la formation des jeunes praticiens et assurer une continuité de soins pour répondre aux besoins urgents non programmés. Pour les projets les plus ambitieux, des moyens financiers peuvent être débloqués au niveau de l’ARS, de la région ou même au niveau européen. Il existe ainsi le Fonds d’Intervention Régional (FIR) ou de Nouveaux Modes de Rémunération (NMR). Le premier est applicable pour le lancement de la MSP, alors que les NMR sont davantage destinés à soutenir la phase de fonctionnement puisqu’ils vont permettre de créer un poste de secrétariat, de réaliser les actions de santé publique et de rémunérer le temps passé en réunion pluriprofessionnelle pour les patients complexes.

Conclusion

L’installation des jeunes praticiens est un élément clé pour la poursuite de leur carrière et l’enjeu des services publics est de convaincre une partie des chirurgiens-dentistes à la recherche d’un nouveau cabinet de s’orienter vers les zones sous-dotées. Outre les aides disponibles au niveau national, plusieurs régions ont aussi choisi d’apporter des moyens supplémentaires pour favoriser l’orientation vers une pratique en désert médical. En Seine et Marne, l’Union Régionale des Professionnels de Santé (URPS) propose par exemple une formation à l’installation sous la forme d’une concertation entre le demandeur et un ensemble de confrères pour lui délivrer toutes les informations nécessaires, le soutenir et optimiser sa décision d’installation. Ainsi, au-delà des moyens financiers mis en œuvre, c’est le mode d’exercice et de partage pluridisciplinaire qui est revu pour revitaliser les zones à faible dotation. La demande et le besoin de soins y sont élevés et la solution apportée par la création de projets de MSP ouvre la voie à de nouvelles perspectives, permettant un regroupement des praticiens et un travail moins isolé. Ces structures compensent l’inconvénient d’une partie des aides financières de n’être applicables qu’en cas de première installation, car la nécessaire formation de jeunes praticiens rejoignant la structure est incluse dans le projet de la maison de santé.

 

Témoignage

« Les avantages du CESP sont nombreux. Cela va de la rémunération pendant nos études à la liberté d’installation dans un large choix de zones éligibles et la possibilité de changer de zones si on le souhaite. Il y a aussi le fait de pouvoir choisir de s’installer ou d’être en collaboration.
L’inconvénient est l’obligation d’honorer le contrat immédiatement à la fin des études, et non dix ans après par exemple. Je ne vois pas d’autres d’inconvénients, tout dépend surtout des choix de vie de chacun… D’un point de vue familial, si l’on rencontre entre temps une personne qui ne peut pas nous suivre là où l’on s’est engagé, ça peut être problématique… »
Dr Romain Bacrie, Praticien à Saint-Céré (Lot)

 

Témoignage

« Les raisons qui m’ont poussée à ouvrir mon cabinet étaient l’envie de m’installer à Brassac, d’être en maison de santé, dans une équipe ultra dynamique et très jeune, et l’envie d’avoir quelque chose à moi, de pouvoir gérer mon matériel et de commander ce que je souhaite et ce dont j’ai besoin. Les aides et la maison de santé m’ont rassurée et confortée dans cette voie.
J’ai bénéficié de l’exonération fiscale en rapport avec la ZRR (exonération totale des cotisations pendant trois ans puis progressive pendant cinq ans) et j’ai aussi bénéficié de l’ACCRE pour l’URSSAF (car j’avais moins de 25 ans et créais mon entreprise).

Je n’étais pas en désert médical dentaire, donc je n’ai pas pu bénéficier de l’aide de la CPAM qui peut atteindre 25 000 e. Le zonage a été fait il y a quatre ans, quand l’ancien chirurgien-dentiste était encore dans la commune, donc, dans les faits, deux praticiens pour un village de 1 500 habitants c’est énorme. Mais en réalité, Brassac dessert toute la vallée et il faut compter les 15 000 habitants aux alentours ».
Dr Manon Gournay Coppée, Brassac (Tarn)

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