Le legs d’un patient au bénéfice de son soignant

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Information dentaire
Il n’est pas rare qu’un patient désire remercier son praticien en lui offrant une boîte de chocolats à Noël, une bouteille de vin en fin d’année et quelques autres cadeaux en fin de traitements prothétiques… S’il est recommandé aux praticiens de tenter de dissuader leurs patients de leur faire des dons, certains, notamment âgés, sans enfant, ou tout simplement reconnaissants, souhaitent faire profiter leur praticien de donations ou de largesses qui peuvent rapidement paraître suspectes.

Situation « J’ai soigné Madame Durand pendant trente ans. Aussi, lorsqu’elle est décédée, sans héritiers, je fus très affecté d’apprendre qu’elle avait effectué un acte notarié pour me léguer un petit appartement. J’ai appris que plusieurs contrats d’assurance-vie ont été souscrits par elle au profit des infirmières et des médecins qui l’avaient soignée.
Puis-je profiter de ces dispositions ? Mon intégrité sera-t-elle préservée ? Je suis heureux de constater que mes patients ont coutume de m’offrir quelques cadeaux en témoignage de leur reconnaissance, mais je reste prudent et ne veux être en aucune manière suspecté d’avoir profité de mon statut professionnel pour recevoir ces dons. Aussi, je me questionne : ma relation de soins avec mes patients en est-elle affectée ? Que puis-je accepter ? Que dois-je refuser ? »

Réflexions du Professeur Jean Vilanova

Professeur à la Faculté de Droit de Lille. Juriste de la Médicale de France

En droit, le fait pour un professionnel de santé de bénéficier de dispositions testamentaires de la part de son patient se révèle très critiquable. Même à son corps défendant, de par son rôle et son pouvoir, ce professionnel de santé exerce en effet nécessairement sur la patientèle une influence, a fortiori si le patient est diminué.
La question relève d’abord de l’éthique, mais le droit s’en est à son tour saisi, à bon escient selon nous. Ainsi, l’article 909 du Code civil stipule-t-il que « les membres des professions médicales et de la pharmacie, ainsi que les auxiliaires médicaux qui ont prodigué des soins à une personne pendant la maladie dont elle meurt ne peuvent profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires qu’elle aurait fait en leur faveur pendant le cours de celle-ci (…) ».
 
Ce même article prévoit certes quelques exceptions parmi lesquelles « les dispositions rémunératoires faites à titre particulier, eu égard aux facultés du disposant et aux services rendus (…) ». Pour autant, la règle est posée. Une autre source de droit provient du Code de déontologie médicale dont la rédaction s’inscrit bien entendu dans un cadre identique au droit commun. Mais ce code porte un éclairage encore plus précis sur l’interdit en question. Après la réaffirmation, à la suite du Code civil, de l’impossibilité de bénéficier de disposition en sa faveur pendant le temps où la personne est malade, il y est indiqué, à l’article R. 4127-52, que le médecin « ne doit pas davantage abuser de son influence afin d’obtenir un mandat ou contracter à titre onéreux dans des conditions qui lui seraient anormalement favorables ».
 
Si la démocratie sanitaire fait aujourd’hui l’objet d’un dogme très certainement opportun, en tout cas faisant consensus, elle ne peut s’appliquer à la relation entre soignant et patient. Le soignant dispose en effet d’un pouvoir et d’un savoir dont le patient est dépourvu. Le seul pouvoir dévolu au patient porte sur le consentement ou non aux soins. C’est déjà très important. Pour le reste, que cela dérange ou pas, la relation de soins, c’est le rapport du fort au faible.
 
Pour cette raison, on attend « du fort », le soignant, une attitude compassionnelle et empreinte d’humanisme avec, comme corollaire, une démarche d’une extrême prudence quant aux faveurs que viendrait à lui accorder un patient. Pour le soignant, il est impératif d’écarter tout soupçon d’un avantage obtenu du malade du fait de son statut et de son influence sur ce dernier ; une démarche très aléatoire tant la présomption de captation présente un caractère irréfragable. En d’autres termes, il est pratiquement impossible à un soignant de rapporter la preuve d’une absence d’influence sur la décision du patient à son profit.
 
Voilà un principe clair dont découle une jurisprudence sinon abondante, du moins adaptée au cas par cas ainsi que le démontre l’évocation des deux affaires suivantes.

 

1re affaire

 

Faits et décisions

En 1991, un patient âgé et souffrant d’arthrose désigne comme bénéficiaire d’un contrat d’assurance vie souscrit deux années plus tôt le médecin acupuncteur qui le suit spécifiquement pour cette pathologie. Le traitement se poursuit jusqu’au 28 avril 1995, soit 13 jours avant le décès du patient des suites d’une hémorragie digestive pour laquelle il avait été hospitalisé la veille de sa mort à la demande d’un autre médecin.
 
Les héritiers du défunt assignent le médecin acupuncteur pour violation patente de l’article 909 du Code civil. Ils estiment que la libéralité consentie à ce dernier est contraire au droit et relève de la captation d’héritage.
 
En cela, ils prennent acte et s’appuient sur la condamnation déjà prononcée contre le praticien par la section disciplinaire du Conseil National de l’Ordre des Médecins ; une interdiction d’exercice de trois mois pour violation de l’article 52 du Code de déontologie médicale (nouvel article R. 4127-52 du Code de santé publique cité plus haut).
 
La Cour d’appel de Paris donne raison aux héritiers demandeurs et annule la libéralité litigieuse.
Le médecin acupuncteur forme alors un pourvoi devant la Cour de cassation. Il fonde sa démarche en arguant qu’il soignait le malade pour des douleurs rhumatismales sans rapport avec la pathologie digestive mortelle.
 
Cour de cassation, 1er/7/2003*
 
Les juges suprêmes rappellent le principe posé par l’article 909 du Code civil qui interdit à un médecin de profiter des dispositions entre vifs et testamentaires entreprises en leur faveur par la personne durant sa maladie.
 
Pour autant, ils n’en estiment pas moins que l’arrêt rendu par la cour d‘appel souffre de deux manquements quant à la forme :
– d’une part, l’affirmation notifiée à l’arrêt selon laquelle les soins prodigués par le médecin acupuncteur étaient en rapport avec la maladie fatale au patient demeure insuffisamment étayée. Il s’ensuit une décision privée de motif ;
– d’autre part, en s’abstenant de vérifier si la désignation par le patient du médecin acupuncteur comme bénéficiaire de l’assurance vie avait été faite au cours de la maladie, les magistrats de la cour d’appel ont ici encore privé leur décision d’une base légale. La forme de l’arrêt entraîne donc sa cassation…
 

2e affaire

 

Faits et décision

Nicole X avait en son temps souscrit un contrat d’assurance vie en désignant Mme Y comme bénéficiaire. Or, par avenant du 4 mars 1999, elle modifie la clause bénéficiaire du contrat au profit de Mme Z, sa psychiatre-psychanalyste et, à défaut, au profit du concubin de cette dernière M. A qui n’est pas un soignant. La précision concernant ce dernier, on le verra, revêt une grande importance.
Au décès de Nicole X, Mme Y, en tant que légataire universelle, demande à la justice, sur le fondement de l’article 909 du Code civil, l’annulation de l’avenant. Elle considère qu’il s’agit d’une libéralité consentie à Mme Z qui a soigné la personne aujourd’hui défunte au cours de sa dernière maladie.
 
Dans sa défense, Mme Z souligne le caractère infondé de la demande formulée par la légataire universelle. Si, par application de l’article 909 du Code civil, les dispositions entre vifs et testamentaires n’ont pas lieu de s’appliquer aux médecins ayant dispensé un traitement en vue de tenter de guérir le malade, ce n’était pas son cas dans la mesure où elle ne traitait pas le mésothéliome dont la patiente est décédée.
Les juges de la cour d’appel de Paris n’en considèrent pas moins la nullité complète de l’avenant litigieux. Ils pointent les soins prodigués par Mme Z en parallèle au traitement du cancer, soins vus comme réguliers et durables afférents à la pathologie secondaire dont se trouvait affectée la malade, cette pathologie secondaire résultant de la première, le cancer fatal.
 
Cour de cassation, 4/11/2010**
La Cour de cassation confirme la décision des juges parisiens, à savoir l’incapacité dont est frappée Mme Z de bénéficier du capital perçu au titre du contrat d’assurance vie. Cependant, elle casse l’arrêt d’appel sur la partie relative à M. A, le concubin de Mme Z. La cour d’appel en effet n’a pas donné de base légale à sa décision d’écarter M. A du bénéfice de l’assurance. Il faut rappeler en effet que M. A n’est pas un professionnel de santé. Les dispositions prévues à l’article 909 du Code civil sur lesquelles se fonde l’arrêt ne lui sont pas applicables.
 
Il n’empêche, le message de la juridiction suprême est d’une totale limpidité en ce qui concerne la relation soignant/patient en la matière.
On signalera ici que, propre à cette même affaire, la section disciplinaire du Conseil National de l’Ordre des Médecins avait déjà statué auparavant et condamné le médecin à une interdiction d’exercice de six mois dont trois mois avec sursis pour violation de l’article 52 du Code de déontologie au motif de faits contraires à l’honneur et à la probité de la profession.

 

En conclusion…

La relation de soins se noue dans un rapport ni trop proche, ni trop lointain entre le patient et son soignant. Parfois, le patient en attend davantage et cela se comprend aisément. Il aspire à manifester son attachement, sa reconnaissance envers ce soignant qui l’écoute et atténue ses souffrances. Un tel attachement de sa part ne doit pourtant opérer que dans un cadre très strict. Toute libéralité dont il souhaiterait faire bénéficier le professionnel de santé doit donner lieu, de la part de ce dernier, à un ferme refus. C’est au fond une question d’éthique avant même d’être une question de droit.
 
*Cour de cass. 1re ch. civ. ; 1/7/2003,
n° 879 FS-D ; B/Gan Vie.
**Cour de cass. 1re ch. civ. ; 4/11/2010, n° 07-2.

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