Plus fort que soi, plus fort que tout : dessiner !

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L'humanité s'habille en Charlie

Ils tapaient dur mais sur tout le monde, criaient fort mais d’une voix libre, avaient la charge grossière mais visaient juste. Ils ont porté haut « l’esprit Charlie », outrancier, dérangeant, lucide, courageux. Loin d’avoir été anéanti ce 7 janvier, il incarne désormais pour une bonne partie du monde la liberté d’expression, le droit à l’information et surtout l’irrépressibilité du rire de l’homme. Alors que paraît le deuxième numéro de la nouvelle équipe, une exposition raconte urbi et orbi les grandes heures, et les grandeurs, de l’hebdomadaire satirique.

Angoulême affine le trait

En à peine vingt jours, et sous le choc alors qu’elle préparait son 42e festival*, la capitale de la BD a su monter l’événement qui retrace l’ADN de Charlie. À côté des nombreux hommages officiels du festival (Grand Prix Spécial du Jury, Prix Charlie de la liberté d’expression, inauguration de la Place Charlie le 1er février…), les bonnes volontés se sont attelées pour bâtir cette exposition. Sans prosélytisme appuyé ni excès de pathos – quand on essuie une larme, c’est souvent de rire – elle raconte l’histoire de ce rejeton du Hara-Kiri de 1960 à partir de quelque 300 pièces rares issues des collections du musée, des dossiers de la censure (!) et de prêts de collectionneurs privés. Chacun se fait librement son idée sur la démarche du journal, sur le dessin citoyen, les influences reçues et transmises, les liens entre humour et liberté. En ville, l’exposition se prolonge par l’affichage sur des panneaux électoraux d’une quarantaine de « Unes » représentatives de l’esprit Charlie, qui n’y vont pas avec le côté « gomme du crayon ». Compte tenu des circonstances, des policiers patrouillent à proximité. On connaît des pinceaux que cette image aurait titillés…
Une histoire de Charlie Hebdo, jusqu’au 8 mars.
Exposition produite par la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image et le Festival d’Angoulême, en partenariat avec le Conseil Général de Charente.

* Grand prix du festival : le mangaka Katsuhiro Otomo pour l’ensemble de son œuvre ; Fauve d’Or du meilleur album : L’Arabe du futur de Riad Sattouf.

Le dessin, « ce grand langage »


2014, encre © Mix et Remix, collection de l’artiste.

D’humour, de presse, d’art, spontané, brut ou sans étiquette, le dessin tient ses États généraux – et généreux – à la Halle Saint-Pierre. Martine Lusardy sa directrice et Frédéric Pajak les avaient convoqués, bien avant que l’actualité ne les y engage, pour faire entendre « ce grand langage toujours surprenant, toujours renouvelé » qui depuis la nuit de la grotte Chauvet permet aux hommes de (se) dire jusqu’à l’indicible.
Pas de premiers ni de seconds crayons, pour Frédéric Pajak. Croquis fidèles ou vagues, notes de voyage ou de travail, tracés précis ou traits distraits, il les fait dialoguer sans souci de genre, d’époque ou de notoriété. Près de 700 œuvres dues à 70 créateurs se déploient ainsi sur les deux faces de la Halle, réservant bien des découvertes.
Partie prenante dans la parution en 2009 de Bête, méchant et hebdomadaire – une histoire de Charlie Hebdo, signé Stéphane Mazurier, Frédéric Pajak honore ses pairs dessinateurs, dont Reiser, Siné, Gébé, Kamagurka, Fournier et Willem. Dans la case d’a côté, Sempé, Copi, Chaval. En s’élargissant, la sélection trouve des correspondances contrastées entre Victor Hugo, Martial Leiter, Felix Vallotton, Tomi Ungerer, Alechinsky, Kiki Smith, Saul Steinberg, Fred Deux, Tal Coat, Topor, Vuillemin… Parmi les belles surprises, Francine Simonin, Pascale Hémery ; parmi les fortes, l’univers de Louis Pons, le talent inouï de Bascoulard, clochard céleste de Bourges, assassiné ; plus sombres encore, les dessins de l’écrivain Bruno Schulz, abattu dans la rue, comme ça, par un SS.

Les Cahiers Dessinés
Exposition à la Halle Saint-Pierre.
En complément, le n° 10 de la revue annuelle Le Cahier Dessiné,
catalogue de l’exposition ; Buchet-Chastel.

Dessiner contre l’oubli

L’art peut-il évoquer avec retenue, poésie, douceur, la mémoire d’hommes détruits par d’autres hommes ? Oui, tout l’œuvre d’Alain Kleinmann le prouve*. Dessinateur depuis l’enfance (y compris de presse, chemin faisant), sa pratique de plasticien fond à présent dessin, peinture et sculpture. Mais depuis près de cinquante ans il dessine comme il respire. Sous peine d’étouffer, confie-t-il dans l’un de ces aveux sensibles qui éclairent ce livre-monument, somptueuse plongée de près de 600 brasses dans les résurgences mémorielles, en compagnie d’Aragon, Jankelevitch, Elie Wiesel, Richard Dembo, Marcel Marceau, Pierre Restany, André Parinaud, Jean-Jacques Lévêque, Amos Oz, Pascale Weil, Peter Samis…
Alain Kleinmann vient de paraître chez Somogy Editions d’Art (588 pages, 1 000 reproductions).
En librairie ou en souscription auprès de l’artiste.
www.alain-kleinmann.fr


Alain Kleinmann.

* Cf. L’Information Dentaire n° 2, janvier 2014.

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